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Au Sénégal, les baobabs sont menacés par l'industrie du ciment

Au Sénégal, on trouve partout des baobabs. Un arbre qui est, avec le lion, l'un des symboles du pays. Est-il en train d'être sacrifié sur l'autel du développement
industriel ?

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 4 min
Baobabs dans la forêt de Bandia, au sud de Dakar au Sénégal, le 25 septembre 2019. (JOHN WESSELS / AFP)

"On s’y retrouve pour palabrer, pour se marier ou implorer la pluie de tomber. Dans le pays, le baobab est partout et sert à tout", explique Courrier International. De fait, ses usages sont multiples. Ses feuilles se mangent (bouillies), comme ses fruits. Il a des vertus médicinales. Problème : malgré ses nombreuses qualités et son importance dans la culture africaine, l'arbre est menacé. Notamment par les carrières alimentant l'industrie du ciment. Ainsi à Bandia (65 km au sud de Dakar), qui fut l'une des plus belles forêts de baobabs du Sénégal, il ne reste qu'un paysage mortifère de cratères abandonnés. Et les projets d'extension d'une cimenterie qui exploite le sous-sol depuis 20 ans font craindre aux populations locales une désolation plus grande encore.

La commune de Bandia et ses 10 000 habitants, répartis en plusieurs villages, bordent la forêt classée du même nom, à une heure de voiture de Dakar. En 2002, Les Ciments du Sahel, l'une des trois entreprises de cimenterie sénégalaises, y ont implanté leur usine, alimentée en calcaire grâce à l'exploitation d'une vingtaine de mines à ciel ouvert dans les environs.

Dans ce pays d'Afrique de l'Ouest, où le secteur de la construction est en pleine croissance, l'annonce dans la presse locale que cette entreprise avait obtenu une licence d'exploitation de 236 hectares supplémentaires a suscité la colère et l'inquiétude des habitants et des associations de protection de l'environnement. Cette autorisation n'est pas définitive et les projets d'extension sont "en suspens", affirme un responsable gouvernemental. Mais pour les riverains de la forêt, le mal est déjà fait.

Symbole de vie et de mort

Ici, "il y avait des manguiers, des eucalyptus, des acacias, des baobabs. Regardez, il n'y a plus une fleur, plus un animal. La nature ne pourra plus jamais reprendre ses droits", se désole devant l'AFP Mame Cheikh Ngom, professeur de géographie à l'université de Dakar, en observant autour de lui l'un des rares baobabs encore debout. Selon lui, il ne reste plus de la forêt que 2 000 hectares, un cinquième de sa superficie originelle. Originaire du village, il pointe du doigt une ancienne carrière, des engins de construction rouillés et des abris de béton abandonnés aux lézards et aux serpents après le départ des industriels.

Carrière fournissant une cimenterie près de la forêt de baobabs de Bandia (sud de Dakar) le 25 septembre 2019 (JOHN WESSELS / AFP)
"Maintenant, les mamans disent aux petits de ne plus jouer dans la forêt, elles ont trop peur qu'ils se fassent écraser", soupire le professeur, avec en arrière-plan l'ombre fantomatique de la cimenterie, flottant dans un nuage de poussière d'où émerge un va-et-vient incessant de poids lourds.

Arbre emblématique du Sénégal, le baobab associe des symboles forts, évoquant la vie et la mort. Si ses feuilles servent, entre autres choses, à la confection de tisanes médicinales et ses fruits de remèdes pour les nouveau-nés, les anfractuosités de son large tronc ont longtemps fait office de linceul pour les griots.

"Lynchage médiatique"

L'attribution d'hectares supplémentaires aux Ciments du Sahel serait un "désastre écologique", estime l'ONG Nebeday. En septembre, les habitants ont manifesté pour demander au président Macky Sall d'intervenir, rencontrant un large écho dans la presse.

De leur côté, les dirigeants de la cimenterie dénoncent quant eux un "lynchage médiatique". "L'activité industrielle est loin d'impacter négativement la vie des populations, le village étant situé à près de cinq kilomètres" de l'usine, ont-ils assuré dans un communiqué. Sollicitée par l'AFP, la direction n'a pas souhaité accorder d'interview.

Les déflagrations des explosifs dans les carrière font bel et bien trembler les murs des maisons, assurent les habitants. "A chaque mine qu'ils font exploser, nos murs se fissurent", explique à l'AFP Khady, une octogénaire drapée dans un voile blanc, en posant un regard éteint sur le mur éventré de sa chambre. Et de raconter qu'il lui arrive de se réveiller la nuit avec l'impression d'avoir échappé à une bombe.

La poussière de calcaire omniprésente a aussi des conséquences pour la santé, affirme Mariama Diéne, infirmière au dispensaire du village. "On a constaté une augmentation terrifiante des cas de bronchite, pneumonie et tuberculose. Des bébés aux vieillards, personne n'est épargné", dit-elle. "Les carrières devaient protéger les populations en arrosant les routes pour empêcher la poussière de se lever, mais ils ne le font pas", constate l'infirmière.

La protection des forêts face à l'industrialisation du Sénégal

"Il y a eu une étude d'impact environnemental et social réalisée par la direction de l'Environnement qui a permis à l'entreprise de démarrer ses activités", se défend le ministre de l'Environnement, Abdou Karim Sall. Il souligne aussi que le gouvernement doit faire la part des choses entre la nécessité de protéger ses forêts et celle de poursuivre l'industrialisation du Sénégal, qui figure parmi les 25 pays les plus pauvres au monde.

Abdou Karim Sall relève que la cartographie des forêts classées remonte à l'époque coloniale et que "rien ne peut s'opposer" à une déclassification jugée nécessaire. Si c'est le cas, "on s'engage à reboiser dans d'autres parties du territoire", affirme le ministre de l'Environnement, en citant plusieurs projets récents de reboisement.

Un homme passe à côté d'un baobab avec ses ânes près de la forêt de Bandia (Sénégal) le 25 septembre 2019. (JOHN WESSELS / AFP)
Les autorités auraient toutefois été prises de court par le rythme effréné de la production de ciment, les trois cimenteries qui dominent ce secteur clef tournant à plein régime, selon une source gouvernementale. "Les cimenteries écoulent même leur production à l'étranger", relève ce responsable.

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