Paris : la fin des voitures à essence en 2030, est-ce (vraiment) faisable ?
Transports, constructeurs automobiles, état du réseau électrique... Franceinfo passe au crible les éléments qui rendent cet objectif tenable et ceux qui, au contraire, tendent à prouver que ce sera très compliqué.
La capitale accélère. "La ville de Paris souhaite prendre les devants, parce que le temps presse." La mairie a annoncé, jeudi 12 octobre, qu'elle souhaitait, après l'interdiction des voitures diesel d'ici à 2024, aller vers la fin des voitures à essence dans la capitale à l'horizon 2030, sans toutefois les interdire. "Il s'agit d'une stratégie qui vise à définir une ville neutre en carbone à moyen et long terme", estime sur franceinfo Christophe Najdovski, adjoint EELV aux transports de la maire de Paris. Dans Le Parisien, Anne Hidalgo précise que cet objectif contenu dans son plan climat sera assorti d'"une votation citoyenne", tout en assurant que "nous sommes en capacité de le faire". Vraiment ? Franceinfo jauge si la baisse drastique du nombre de véhicules à moteur thermique dans la capitale d'ici à 2030 est tenable.
Des transports franciliens efficaces ?
La mairie de Paris assure être confiante. "L'offre de transports en commun se renforce, y compris en grande couronne, avec les chantiers du Grand Paris Express en cours de réalisation", écrit-elle. Le Grand Paris Express est un réseau de 200 km de lignes de métro en rocade autour de la capitale. La métropole du Grand Paris l'a présenté dans cette vidéo (à partir de 1 minute).
Sa construction a été lancée en mai 2016. Quatre nouvelles lignes doivent voir le jour. La première, entre Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) et Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), doit être achevée en 2024 ; la dernière, en 2030. Les lignes seront à 85% souterraines et les rames doivent circuler toutes les 2 à 3 minutes en moyenne, et jusqu'à une rame toutes les 90 secondes aux heures de pointe.
Mais ce réseau va-t-il être suffisant pour transporter ceux qui vont devoir abandonner leur voiture à moteur thermique ? "Aujourd'hui, la circulation automobile dans Paris est constituée de beaucoup de personnes qui vivent en banlieue. On peut peut-être les convaincre de changer avec une importante politique de transports en commun et avec de bons parkings qui permettent de se rapprocher pour les utiliser", commente auprès de franceinfo Benjamin Dessus, ingénieur et économiste, président et fondateur de l'association Global Chance, qui regroupe des experts indépendants du domaine de l'énergie et de l'environnement.
En effet, la question de l'accessibilité des stations de ce nouveau réseau est un enjeu important : des parkings assez grands sont-ils prévus à proximité des nouvelles gares ? Un maillage de bus assez efficace permettra-t-il de s'y rendre aisément ? Marc Pelissier, président de l'Association des usagers des transports Fnaut Ile-de-France confie à franceinfo être "un peu inquiet sur cette question. Cela va se jouer au niveau des mairies. Or, elles préfèrent avoir des logements ou des bureaux près des gares plutôt que des parkings ou des gares routières", explique-t-il. Marc Pelissier souligne également, auprès de franceinfo, que l'objectif du Grand Paris Express est d'abord de faciliter les trajets de "banlieue à banlieue", avant d'améliorer l'accès à Paris depuis la grande couronne.
Sans compter que des retards sont déjà prévus sur certaines lignes. Des élus du Val-d’Oise, de Seine-Saint-Denis et de Seine-et-Marne se sont rassemblés, jeudi matin, devant Matignon pour réclamer le respect des délais et le tracé des lignes 16, 17 et 18, qui traversent le nord et le nord-est de la banlieue parisienne. Pas sûr, donc, que le Grand Paris Express puisse absorber, à l'horizon 2030, tous les automobilistes qui circulent dans Paris et qui viennent de la grande couronne.
Une production de voitures électriques suffisante ?
La mairie de Paris se montre confiante sur ce point. "C'est tout à fait faisable. Un certain nombre de constructeurs automobiles ont annoncé la fin du diesel et se tournent résolument vers des motorisations électriques", a assuré sur franceinfo Christophe Najdovski.
En effet, de nombreux constructeurs s'orientent vers l'électrique. Ils sont encouragés par de nombreux gouvernements à travers le monde, de la Chine à l'Europe, qui durcissent leurs normes environnementales et affichent de fortes ambitions en matière d'écologie. Par exemple, l'Américain Ford a annoncé, le 4 octobre, investir 4,5 milliards de dollars (environ 3,8 milliards d'euros) pour développer des voitures tout-électrique. D'autres grands constructeurs comme Volkswagen, Volvo et Aston Martin ont également fait des annonces allant dans ce sens.
Tony Seba, économiste à l’université de Stanford (Californie, Etats-Unis), estime que le marché du véhicule à essence va s'effondrer d'ici sept à huit ans, rapporte Numerama. Une échéance peut-être trop courte. Le groupe Renault, en pointe dans le secteur des voitures électriques, table sur une hypothèse de 5% de ses ventes en "zéro émission" à l'horizon 2022. "On est tous convaincu que ça va progresser très fort", a expliqué le 6 octobre Carlos Ghosn, PDG de Renault. Le niveau de 5%, "à mon avis, c'est un peu conservateur", a-t-il ajouté.
Il y a une très grande poussée sur le véhicule électrique en Europe, nous le sentons au travers des commandes.
Carlos Ghosn, PDG de Renaultlors d'une conférence de presse
En clair, il devrait être possible de se détourner des voitures à essence d'ici à 2030 : les constructeurs ont déjà amorcé le mouvement. Reste un problème : "Les gens qui vont acheter des voitures au cours des prochaines années, achèteront des voitures qu'ils ne pourront plus utiliser dans Paris à court terme", résume sur franceinfo Flavien Neuvy, économiste, directeur de l'observatoire Cetelem de l'automobile.
Un réseau électrique assez puissant ?
Cet aspect est parfois oublié. Or, il est fondamental pour que le projet soit viable. Flavien Neuvy rappelle une étude de France Stratégie. D'après cette institution rattachée au Premier ministre, "si on n'avait que des voitures électriques en France, il faudrait 30 millions de bornes de recharge, (...) ça coûte entre 25 et 30 milliards d'euros. Qui paye ? On n'a pas la réponse. Si on n'a que des voitures électriques, il faudra augmenter la production électrique, très clairement. Comment on fait ?", s'interroge-t-il.
A un niveau plus local, celui d'une ville comme Paris, Benjamin Dessus rappelle que le nombre important de voitures électriques peut poser des "vrais gros problèmes" pour le réseau lors des recharges : "A mon avis, on butera terriblement sur les problèmes de charge et le réseau électrique parisien risque le black-out."
Joint par franceinfo, Réseau de transport d'électricité (RTE) note qu'il sera possible d'accompagner le développement des voitures électriques en France à deux conditions : mettre en place un "signal tarifaire" et des prises de recharge intelligentes. Le signal tarifaire doit inciter les utilisateurs à ne pas recharger à 13 heures et 19 heures, les moments où la consommation électrique est maximale en France, mais à les décaler plus tard dans la soirée. Les prises de recharge intelligentes "permettraient de piloter la recharge du véhicule" en fonction du niveau de sa batterie. Concrètement, "vous avez votre véhicule électrique qui a roulé 15 km dans la journée, vous vous branchez le soir dans votre parking, en rentrant, à 19 heures. Le boîtier intelligent constate que votre batterie de véhicule est encore chargée à 70-75%, qu'à cette heure-ci le tarif est élevé, et que le réseau est très sollicité. Le boîtier intelligent va alors déplacer automatiquement la recharge à un horaire n'ayant pas d'impact sur le réseau électrique", explique l'entreprise de services qui gère le réseau public de transport d'électricité haute tension en France métropolitaine. Mais ce type de dispositif a un coût élevé. "Des investissements très importants sont à faire sur le réseau électrique, mais cela n'a pas été anticipé, visiblement", explique Benjamin Dessus.
Un autre problème se pose : comment concilier la multiplication des voitures électriques et la fermeture de 17 réacteurs nucléaires voulue par le gouvernement ? Selon RTE, il n'y aura pas de souci de production et de distribution grâce aux boîtiers intelligents. Mais Benjamin Dessus note une "antinomie" entre les deux objectifs et doute que le gouvernement tienne ses promesses sur ce point, rappelant que la fermeture de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) n'a toujours pas eu lieu alors qu'elle avait été promise par François Hollande en 2012.
François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, est réservé. S'il se dit "très favorable à la diminution du nombre de voitures à essence à Paris", il estime néanmoins que "cet objectif est incompatible avec celui de la réduction du nucléaire". "Si la priorité, c'est le climat, on ne doit pas fermer de centrales nucléaires car, pour l'instant, fermer des centrales nucléaires fait augmenter nos émissions de CO2". "Diminution du CO2, diminution du nucléaire et augmentation de la consommation électrique, nous ne pouvons pas faire tout ça ensemble, tranche-t-il. Nous sortirons du nucléaire quand nous serons sortis de l'énergie fossile, le pétrole et le charbon."
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