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A l'ombre de Norman ou de Cyprien, ces youtubeurs qui veulent aussi gagner des millions (d'abonnés)

Franceinfo a interrogé des jeunes talents qui sont déjà implantés sur la plateforme de partage de vidéos et comptent bien faire leur entrée dans la cour des grands.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Capture d'écran d'une vidéo de SouleyMan, youtubeur lyonnais. (SOULEYMAN / YOUTUBE)

Des youtubeurs en prime time. EnjoyPhoenix a participé à "Fort Boyard", sur France 2. Natoo, Norman et Cyprien jouent dans Presque adultes, une mini-série qui débute samedi 8 juillet sur TF1. A eux quatre, ils cumulent 26 618 193 abonnés sur YouTube. Mais dans l'ombre de ces stars qui affolent les compteurs et gagnent confortablement leur vie, il existe une foule de youtubeurs humoristes qui galèrent et cherchent à se faire une place au soleil.

Le cap fatidique des 100 000 abonnés

Plus de cent chaînes YouTube en français ont passé la barre du million d'abonnés, alors qu'elles n'étaient qu'une dizaine à ce stade en 2014. Mais le seuil fatidique pour être considéré comme influent se situe bien en deçà. "Quand t'as 100 000 abonnés, t'es dans le 'game'. Tu commences à intéresser des gens, des marques", indique à franceinfo Fannyfique, youtubeuse de 26 ans, qui fait dans "l'humour et le 'feelgood'". Et avec 100 000 abonnés, l'auteur peut commencer à se dégager un petit revenu puisque les 1 000 vues sont rémunérées environ 80 centimes d'euros. Google France confirme et estime auprès de franceinfo que l'on devient un youtubeur de poids lorsque ce cap est franchi.

Depuis avril, Fannyfique, qui enregistre 46 000 abonnés, se consacre à 100% à sa chaîne YouTube, lancée il y a six ans. Après avoir été journaliste, puis avoir fait des vidéos pour le site Madmoizelle, la jeune femme, qui a brièvement suivi le cours Florent – la célèbre école de théâtre parisienne – pendant ses études, a décidé de faire le grand saut. 

Mon objectif, très clairement, c'est d'en vivre.

Fannyfique

à franceinfo

"Je peux faire ça grâce à mon statut d'intermittente qui me permet, pendant quelques mois, de me laisser une chance. Et j'ai des économies, confie-t-elle. Pour l'instant, les pubs sur les vidéos me rapportent 150 euros tous les mois et demi. Je me laisse jusqu'à décembre pour atteindre les 100 000 abonnés et voir si ça va s'enchaîner." "A un moment, si je suis rattrapée par la réalité des choses, le travail, bah voilà..." lâche-t-elle.

"Quand je suis en société et que je dis que j'ai quitté mon travail pour faire des vidéos sur YouTube, il y a un petit : 'Ah... OK !' J'irai voir, raconte cette Parisienne, amusée. YouTube se professionnalise, mais pour l'instant, ça reste rare. En soirée, le pote de pote qui a lâché son boulot pour se lancer sur YouTube, tu en as forcément entendu parler, parce qu'il n'y en a qu'un."

Devenir professionnel de YouTube est plutôt risqué, estime Jean-Baptiste Viet, yoububeur amateur, spécialiste du marketing numérique chez Orange et auteur de YouTubeur : créer des vidéos et des millions de vues sur YouTube (éditions Eyrolles, 2016). "Le modèle publicitaire de YouTube n'est pas assez satisfaisant. Et il faut faire des vidéos tout le temps : il peut y avoir un phénomène de lassitude de l'auteur", argumente-t-il auprès de franceinfo. Et de marteler : "C'est une plateforme, c'est super dangereux de ne dépendre que de ça."

Du bricolage tout seul

SouleyMan, 24 ans, fait tout seul de A à Z : écriture, tournage, montage et promotion. Comme Fannyfique, il a été sélectionné par YouTube pour participer à Next Up, une sorte de résidence de "créateurs", selon le terme employé par Google. Pendant une semaine, au YouTube space Paris, dans les locaux du siège français de Google, douze youtubeurs, sélectionnés sur dossier parmi plusieurs centaines, sont formés sur des fondamentaux de la vidéo, du son, du montage, de l'écriture, de la mise en scène. Objectif : s'améliorer pour attirer toujours davantage d'abonnés. 

Fannyfique, qui a participé à la première session, en 2016, a réussi à gommer les nombreux flous parfois présents dans ses vidéos, explique-t-elle. SouleyMan, heureux participant de la deuxième session qui s'est terminée vendredi 7 juillet, a apprécié les conseils sur le montage, qu'il souhaite plus "fluide et punchy".

Pour l'instant, je monte les vidéos sur mon iPhone, avec iMovie.

SouleyMan

à franceinfo

Le Lyonnais, dont le compteur affiche quelque 66 000 abonnés après dix-huit mois d'activité, réalise ses vidéos tel un bricoleur : "Je me filme avec un téléphone, je fais le son avec un autre et j'ai juste mes écouteurs. Mais ça marche bien", sourit-il.

Mais la bidouille, c'est terminé. Avec le bon d'achat de 1 900 euros offert à chaque participant du Next Up, il compte investir dans une caméra et un ordinateur pour faire du montage dans les règles de l'art : "Je vais passer au niveau au-dessus." Du matériel adapté qui ne remplacera pas l'avantage de travailler en équipe. "Une fois, j'ai posé mon téléphone et j'ai filmé pendant vingt minutes. Sauf qu'après, je me suis rendu compte que ça n'enregistrait pas. J'avais mal appuyé, j'étais dégoûté, rigole-t-il. Faire tout, tout seul, c'est dur, quand même."

Assis sur une banquette en cuir en face de la salle de montage du YouTube space parisien, polo blanc sur les épaules et casquette noire sur la tête, il raconte ne pas encore vivre de son activité sur YouTube, et être comédien depuis 2013, sans avoir pris de cours : "J'ai passé un casting et j'ai été pris. Depuis, on me prend souvent." 

Films, clips, publicités, SouleyMan ne s'interdit rien. Surtout, il jubile car il vient d'être retenu pour jouer dans une nouvelle série, dont il ne connaît pas encore le nom, qui va être diffusée par TV5 Monde "et une chaîne africaine". Il ne compte pas pour autant abandonner sa chaîne YouTube, qui lui offre une liberté de ton, et espère, à long terme, pouvoir s'entourer d'une équipe pour se concentrer uniquement "sur l'écriture et le jeu".

"Boulot alimentaire par-ci, par-là"

Sophie Riche, 28 ans, est également seule à mener sa barque. L'ancienne "rédactrice web" à temps plein a lancé sa chaîne en mars 2016 et compte désormais 87 000 abonnés. Son plus beau coup ? Sa Night routine, je rentre bourrée où elle "parodie avec beaucoup de bienveillance les youtubeuses beauté". "Je voulais montrer que ce n'était pas grave de ne pas être parfaite", sourit-elle.

Sophie Riche ne vit pas encore de ses vidéos. Elle tente de devenir comédienne, fait des interventions rémunérées sur la chaîne Rose Carpet, et est parfois contrainte de prendre un "boulot alimentaire par-ci, par-là". Sa chaîne vient également de rejoindre un network, sorte d'agence de youtubeurs, comme l'explique Slate, qui va potentiellement lui permettre de gagner davantage d'argent. "Il y a des mois où ça se passe très bien et d'autres moins. Je pense que c'est le cas de beaucoup de youtubeurs".

Mon rêve, c'est de vivre de YouTube et d'être comédienne. De jouer sur les deux tableaux. A la Natoo, ce serait idéal.

Sophie Riche

à franceinfo

Pour elle, la question de trancher entre les deux voies ne se pose pas : "Incarner un rôle et être sur YouTube, ce sont deux exercices différents", fait-elle valoir. Reste qu'elle souhaite que les choses s'accélèrent. "Comme je suis de nature impatiente, j'en ai marre d'attendre les rôles, j'ai très envie de faire des fictions, des formats courts de type websérie, ou fiction en one shot", poursuit-elle.

"Si un jour on pouvait en vivre, ça serait génial"

Mais les youtubeurs ne sont pas forcément seuls. Hugo, 20 ans, a "une petite société de production". Il est derrière la caméra pour filmer Morgan, 26 ans, comédien. Ils se sont rencontrés par l'intermédiaire d'un ami commun et ont lancé Les Vs de Morgan, en janvier. La chaîne comptabilise déjà 95 000 abonnés.

On gagne 1 000 abonnés par jour en moyenne.

Morgan

à franceinfo

Leur créneau : "On compare des choses. On compare quelque chose de classique, quelque chose d'insolite et quelque chose qui coûte très cher. Avec un ton humoristique", explique Hugo. "Par exemple, on a comparé des sushis à 3-4 euros avec des sushis à 200 euros. On a fait pareil pour le vin. Dernièrement, on a comparé le meilleur burger de France avec le Big Mac, le burger le plus vendu au monde", détaille Morgan, précisant qu'ils invitaient un youtubeur pour chaque vidéo.

Et ils ne sont pas que deux : "On a une monteuse, qui est dans ma boîte de prod, et un ingénieur du son. S'il y a deux caméras, on essaie d'avoir quelqu'un en plus. Ça peut être ma copine ou un pote", détaille Hugo. "Il y a mon frère aussi. Il a plein d'idées, il connaît tous les youtubeurs, il nous aide beaucoup", complète Morgan.

Chaque vidéo demande une importante phase de travail. "Les textes, il n'y a rien qui est écrit. On tourne en continu. On peut tourner durant une heure et demie et ne garder que dix minutes pour la vidéo. On ne refait jamais les prises, pas la moindre phrase", abonde Morgan. En revanche, il réalise un "gros travail de préparation" pour contacter les lieux de tournage. "Je passe beaucoup d'heures au téléphone pour expliquer ce qu'on fait. Un restaurant qui fait des sushis à 200 euros n'a pas forcément envie d'apparaître dans nos vidéos", explique-t-il. "Comme c'est de l'humour, les gens ont du mal à nous faire confiance", rebondit Hugo.

Chacun a déjà des revenus : Morgan enchaîne les tournages, et vient de terminer un film avec notamment Catherine Deneuve. Hugo gagne déjà de l'argent avec sa société montée à 18 ans et va s'associer pour en faire une plus importante, à la rentrée. Ils ont également participé à la deuxième session du Next Up mais, pour eux, vivre de leur chaîne n'est pas un impératif. "On est sur YouTube plus par passion et par kif que pour l'argent. On s'éclate, on fait des trucs de fous", affirme Morgan. "Si un jour on pouvait en vivre, ça serait génial parce que c'est vraiment très fun à faire", poursuit Hugo. 

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