Cinq questions autour de la "taxe Google"
Google menace de bannir de son moteur de recherche les sites d'information français, qui lui réclament une participation financière. FTVi décrypte ce conflit.
INTERNET - Google va-t-il devoir rétribuer les sites d'information français ? Cet épineux sujet revient régulièrement sur la table. En 2010, une "taxe Google" avait même été votée au Parlement, abandonnée avant même son entrée en vigueur. L'élection présidentielle passée, les éditeurs de presse en ligne reviennent à la charge pour tenter de faire payer les moteurs de recherche qui indexent leurs contenus. FTVi résume ce bras de fer en cinq questions.
1Pourquoi les journaux en veulent-ils à Google ?
Pour s'informer, de nombreux internautes ont pris l'habitude d'utiliser le service Google Actualités (en anglais, Google News) plutôt que de naviguer directement via la page d'accueil de leurs sites favoris. Cette page pioche, parmi des milliers de sources, des articles qui sont ensuite classés selon leur thème et leur pertinence, cette dernière étant calculée grâce à un algorithme propre à Google. Lorsque l'internaute clique sur un titre, il est redirigé vers le site d'information correspondant.
Une note du Conseil d'analyse stratégique affirme que "40% des visites de pages d'information généraliste se feraient par accès indirect [moteurs de recherche et agrégateurs de données] et Google porterait à lui seul 28,4% des consultations des principaux sites d'information".
Les éditeurs de presse soulignent que Google se sert de leurs contenus pour attirer indûment un fort trafic et des recettes publicitaires. En clair, que le géant américain s'enrichit sur leur dos pendant que la presse traditionnelle, sur le déclin, ne récupère pas un centime de la richesse ainsi créée.
2Pourquoi est-il difficile de taxer Google ?
Google, comme d'autres multinationales du secteur des nouvelles technologies (Apple, Microsoft, Facebook...), pratique l'évasion fiscale en toute légalité. En 2011, Google a ainsi payé seulement 5 millions d'impôt sur les sociétés en France, selon Le Figaro.fr. Une somme dérisoire à comparer avec son chiffre d'affaires de 1,3 milliard d'euros dans l'Hexagone. La technique ? Déclarer tous ses revenus européens en Irlande, où l'impôt sur les sociétés est 2,7 fois moins élevé qu'en France, puis faire transiter les fonds par des sociétés offshore basés dans des paradis fiscaux, comme l'explique Ecrans.fr.
Difficile, dans ces conditions, de toucher Google, que ce soit par le biais de l'impôt ou d'une taxe comme celle qui a failli être mise en œuvre en 2011. Si elle a finalement été abandonnée, c'est parce que ce prélèvement de 1% sur les investissements publicitaires réalisés en France aurait davantage pénalisé les start-up françaises que les multinationales, championnes de l'évasion fiscale.
3Pourquoi la "lex Google" proposée par les médias fait débat ?
Consciente de la relative inefficacité d'une éventuelle "taxe Google" au sens strict, l'Association de la presse d'information politique et générale (IPG), présidée par une dirigeante du Nouvel Observateur, Nathalie Collin, propose au gouvernement un autre système pour toucher Google au porte-monnaie, sur le modèle de la "lex Google" en cours de discussion en Allemagne.
La proposition de projet de loi imaginée par IPG (révélée en septembre par Télérama) s'appuie sur la notion de droits voisins du droit d'auteur. Concrètement, chaque éditeur de presse recevrait une rémunération calculée en fonction du nombre de clics provenant d'un moteur de recherche.
Soutenu par le Syndicat de la presse quotidienne nationale, ce mécanisme provoque une levée de boucliers. A commencer par ceux de Google, qui affirme rediriger chaque mois "quatre milliards de clics" vers les contenus en ligne des éditeurs français. Comprendre : sans Google, le trafic de ces sites serait bien moindre, et leurs revenus publicitaires aussi. "Exiger de Google une rémunération au motif que son moteur de recherche dirige des lecteurs vers les sites de presse n'a pas plus de sens que d'exiger d'un taxi qui conduit un client à un restaurant de rémunérer le restaurateur", argumente l'entreprise.
Les éditeurs indépendants de presse en ligne (Spiil, regroupant essentiellement des "pure players" comme Slate.fr, Rue89 ou Mediapart) sont eux aussi opposés à cette proposition. "De telles mesures placeraient la presse numérique sous la tutelle quasi exclusive" de Google, craignent-ils. Si cette mesure voyait le jour, les éditeurs seraient selon eux "soumis à une double dépendance : dépendance pour l'audience et dépendance pour les recettes".
4Google et la presse française peuvent-ils divorcer ?
Face aux vélléités des médias français, Google a sorti l'artillerie lourde. Dans un courrier adressé à plusieurs ministères, Google menace purement et simplement de ne plus référencer les sites d'information français en cas d'instauration de cette contribution. "Et sur la toile, ne pas être référencé, c'est sortir du radar, ne manque pas de souligner Google. La presse française et de langue française y perdrait évidemment en visibilité."
Qui aurait le plus à perdre dans un divorce entre Google et les sites d'info français ? Ces derniers, visiblement... En Belgique, les sites d'information ont obtenu en 2011 une condamnation de Google, à qui ils reprochaient d'indexer leurs articles dans Google Actualités. Se retranchant derrière cette décision de justice, la firme américaine a alors décidé de les bannir non seulement de son portail d'actualité, mais aussi du moteur de recherche classique. "C'est mesquin", avait protesté Le Soir.be. Trois jours plus tard, les sites belges avaient trouvé un accord avec Google pour être à nouveau référencés.
Seules face à Google, la Belgique, la France ou l'Allemagne ne pèsent pas bien lourd. Difficile toutefois de prédire si face à un front uni de plusieurs grands pays, Google se montrerait aussi intransigeant.
5Quelle est la position du gouvernement ?
Entre les desiderata des éditeurs de presse et le refus catégorique de Google, l'exécutif a du mal à s'accorder sur une ligne claire. "Parmi les outils qu'il me semble important de pouvoir développer, je pense qu'il y a cette idée de créer un droit voisin pour les éditeurs de presse, ce que l'on a appelé un peu facilement la 'Lex Google', qui me semble extrêmement pertinente", a déclaré mercredi la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, devant la commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale. Avant de répliquer vertement à la missive de Google : "Ce n'est pas avec des menaces qu'on traite avec un gouvernement."
Sa collègue de l'Economie numérique, Fleur Pellerin, se montre beaucoup plus mesurée. Lors d'une visite à Berlin précisément consacrée à ce sujet, vendredi, elle s'est dite favorable à "une discussion apaisée pour voir de quelle manière les éditeurs et Google pourraient se mettre d'accord sur un arrangement y compris financier pour le référencement des articles". Dans le même temps, des représentants de Google France étaient reçus à son cabinet. Pour recoller les morceaux ?
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