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Info France 2 Attentats de janvier 2015 : Hayat Boumeddiene vivante ? Une enquête ouverte après qu'une jihadiste affirme l'avoir croisée dans un camp en Syrie

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Terrorisme : révélations sur Hayat Boumeddiene
Terrorisme : révélations sur Hayat Boumeddiene Terrorisme : révélations sur Hayat Boumeddiene
Article rédigé par France 2 - Sophie Neumayer et Eric Pelletier
France Télévisions

Une jihadiste présumée, incarcérée dès son retour en France à la fin de l’année dernière, affirme que l'épouse du terroriste ayant mené l'attentat de l'Hyper Cacher, Amedy Coulibaly, était encore vivante en octobre 2019.

Hayat Boumeddiene était présumée morte. Personnage central des attentats contre le journal Charlie Hebdo et le magasin Hyper Cacher, à Paris en janvier 2015, elle avait pris la fuite en Syrie. La jeune femme, aujourd'hui âgée de 31 ans, pourrait avoir échappé aux forces arabo-kurdes à l'automne dernier et serait bel et bien vivante quelque part dans la zone irako-syrienne. Elle est, depuis la fin du mois d'avril, visée par une enquête pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", a appris France 2 de sources concordantes. 

Hayat Boumeddiene est recherchée dans le cadre de l'enquête sur les attentats de janvier 2015.  (FRANCE 2)

Ce rebondissement repose sur un témoignage couché sur procès-verbal en mars. Une jihadiste présumée, incarcérée dès son retour en France à la fin de l'année dernière, affirme qu'Hayat Boumeddiene était encore vivante en octobre 2019. Les deux femmes se seraient croisées alors qu'elles étaient toutes deux retenues dans l'immense camp d'Al-Hol, dans le nord-est de la Syrie, là où vivent dans des conditions précaires bon nombre de familles de combattants islamistes de toutes nationalités. Bien que visée par un mandat d'arrêt international, Hayat Boumeddiene n'aurait pas été identifiée lors de son séjour dans le camp.

Un témoignage jugé "crédible"

Elle aurait réussi à s'évader en octobre dernier en se faisant passer pour une autre grâce à un réseau de complicités au sein du camp. Ce témoignage est jugé "crédible", selon plusieurs sources au sein de la communauté du renseignement car il "corrobore des indications antérieures", remontant à l'été 2019. Pour l'heure, la justice ne disposerait cependant d'aucune preuve matérielle, telles que des empreintes digitales ou génétiques, des photos ou vidéos, susceptibles de corroborer ces déclarations.

Les dernières images connues d'Hayat Boumeddiene ont été prises à l'aéroport de Madrid, le 2 janvier 2015. Le système de vidéosurveillance la montre passant le filtre de sécurité avant d'embarquer sur un vol Air Pegasus à destination d'Istanbul, en Turquie, à 14h25. Elle a été conduite jusqu'à Madrid en voiture par Amedy Coulibaly, l'homme avec lequel elle est mariée religieusement.

Hayat Boumeddiene est filmée à l’aéroport de Madrid, le 2 janvier 2015.  (IMAGES DE VIDEOSURVEILLANCE / FRANCE 2)

Pour la justice, cette fuite, quelques jours seulement avant les attaques, ressemble à une mise à l'abri. Le 8 janvier 2015, à Montrouge (Hauts-de-Seine), Coulibaly tue une policière municipale. Le lendemain, il se retranche à l'Hyper Cacher, assassinant quatre clients de confession juive avant d'être tué à son tour par les forces de l'ordre lors de l'assaut. Au total, les attaques de janvier 2015, menées par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, ont fait 17 morts.

Elle donne des nouvelles à ses proches jusqu'en 2015

La présence en Syrie de la "veuve" de Coulibaly est alors mise en scène par les services de propagande de l'Etat islamique. Dans une interview à la revue Dar Al islam, le magazine francophone du groupe terroriste, Hayat Boumeddiene se félicite de "vivre sur une terre qui est régie par les lois d'Allah". La Française, veuve d'un jihadiste présenté comme un martyr, acquiert immédiatement "un statut et une protection particuliers au regard des actes terroristes commis par Amedy Coulibaly", selon l'ordonnance de mise en accusation, le document qui résume les charges à l'encontre des 14 accusés. "[Boumeddiene] s'est revendiquée de ce groupe terroriste en précisant qu'elle était armée et qu'elle suivait des cours religieux au sein de l'organisation."

En septembre 2015, les services de renseignement français entendent le son de sa voix pour la dernière fois. A cette époque, la fugitive donne encore régulièrement des nouvelles à ses proches, décrivant la situation dans le califat autoproclamé : "Si tu savais ce qu'il y avait ici. […] Wallah si tu savais... […] Ils s'occupent de moi comme si j'étais une princesse. […] Ils prennent des précautions pour ma sécurité." Lors d'un de ses appels, les fonctionnaires affectés aux écoutes sursautent : ils entendent un tir d'arme. Boumeddiene, armée, vient de lâcher accidentellement un coup de feu.

"Elle a été tuée"

Au fur et à mesure que les années passent et que les combats succèdent aux combats, les nouvelles se raréfient. En mars 2019, après la chute de la dernière grande poche de résistance des jihadistes face aux forces arabo-kurdes, à Baghouz, Dorothée Maquere, l'épouse du jihadiste français Jean-Michel Clain, accorde un entretien à des journalistes européens. Elle donne Hayat Boumeddiene pour morte : "Elle a été tuée […]. On ne peut pas vous dire les conditions, les heures, c'était quand, tout s'est précipité ces derniers jours", explique-t-elle. Et réaffirme: "Elle a bien été tuée en tout cas." Sans que l'on sache s'il agissait de protéger une "sœur" en livrant une fausse version.

Hasard du calendrier, le procès des attentats de Charlie Hebdo, des meurtres de Montrouge et de l'Hyper Cacher devait se tenir ce mois-ci. Mais il a dû être reporté au 2 septembre pour cause de pandémie de Covid-19. Les audiences devant la cour d'assises spécialement composée, compétente en matière de terrorisme, sont prévues pour durer plus de deux mois. Hayat Boumeddiene, mise en examen pour "financement du terrorisme" et "association de malfaiteurs terroriste en vue de préparer des crimes d'atteintes aux personnes", figure parmi les accusés.

Pour les juges d'instruction spécialisés, cette dernière a participé activement à la préparation des attaques, en se livrant à des escroqueries pour se procurer des voitures grâce à de faux bulletins de salaires et à de faux avis d'imposition : "Elle ne pouvait ignorer que l'argent ainsi obtenu frauduleusement puis retiré en espèces sur son compte bancaire à partir du mois d'octobre 2014, allait être utilisé à des fins terroristes", estiment les juges dans leur ordonnance de mise en accusation. Hayat Boumeddiene pourrait être jugée par défaut si elle reste introuvable d'ici à l'ouverture de l'audience.

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