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Où en est l'enquête sur la tuerie de Chevaline ?

Un mois et demi après, les enquêteurs n’ont toujours pas percé le mystère de ce quadruple assassinat.

Article rédigé par Benoît Gadrey
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Sur les lieux du meurtre de trois membres d'une même famille et d'un cycliste français, à Chevaline (Haute-Savoie), le 8 septembre 2012. (PHILIPPE DESMAZES / AFP)

TUERIE DE CHEVALINE – Pas un nom. Pas une piste prioritaire. Pas une trace ADN qui permettrait d’identifier le tueur. Un mois et demi après la tuerie de Chevaline, les enquêteurs n’ont toujours pas percé le mystère de ce quadruple assassinat.

Et ce n’est pas faute de moyens. Car pour élucider cette affaire qualifiée de "hors norme" par le procureur d’Annecy (Haute-Savoie), la gendarmerie a déployé un dispositif exceptionnel. Soixante gendarmes sont affectés en permanence à ce dossier, soit le double de l’effectif habituel de la section de recherche de Chambéry, en charge de l’enquête. Même mobilisation au tribunal d’Annecy, où le procureur Eric Maillaud et deux juges d’instruction consacrent la majeure partie de leur temps à cette enquête.

Outre-Manche, les policiers britanniques ne sont pas en reste. Une trentaine d’entre eux tentent de mettre au jour les secrets de la famille Al-Hilli. Ainsi, depuis le drame, 700 personnes ont été entendues, des centaines de documents ont été saisis, de multiples prélèvements placés sous scellé, des commissions rogatoires envoyées dans plusieurs pays d’Europe (Italie, Espagne, Suède, Suisse) et même aux Etats-Unis, où siège la société informatique au sein de laquelle Saad Al-Hilli stockait ses données. Mais à ce jour, peu de certitudes et beaucoup d’hypothèses.

Le scénario du crime

Le premier objectif des gendarmes était de reconstituer le scénario des assassinats. Dans la voiture des victimes britanniques, les enquêteurs ont retrouvé un appareil photo. Sur les clichés pris dans le hameau d'Arnand, près de Chevaline, on voit les membres de la famille Al-Hilli poser tour à tour, là devant une maison fleurie, plus loin le long d’un torrent. La famille semble détendue. Sur l’un des clichés, Saad Al-Hilli sourit, sa fille juchée sur ses épaules. Difficile d’imaginer qu’une demi-heure plus tard, à 4 km de là, leur vie va basculer sous le feu nourri d’un tireur déterminé.

Sur la petite route qui les mène vers leur destin funeste, les Al-Hilli vont croiser deux maçons, les dernières personnes à les avoir vus en vie. Ces témoins affirment que le véhicule des vacanciers n’était pas suivi. Un fait loin d’être à ce jour établi.

La tuerie a été fulgurante. De Zainab, la fillette de 7 ans laissée pour morte et entendue une nouvelle fois il y a quelques jours, les enquêteurs attendaient beaucoup. Espoir déçu car si la présence d’un seul tireur a été confirmée, l’aînée des sœurs Al-Hilli ne garde avant tout que des impressions : des pleurs, des cris, un acte soudain, une irruption.

L’arme utilisée est un modèle plutôt ancien que les experts en balistique ont rapidement identifié. Un pistolet semi-automatique, une arme peu courante en France, utilisée autrefois par l’armée suisse. En revanche, l’ordre de tir reste impossible à déterminer, en partie parce qu’une scène de crime en extérieur offre peu de repères.

Les enquêteurs sont toujours à la recherche d’une moto aperçue ce jour-là. Le conducteur roulait non loin du lieu de la tuerie quand il a été interpellé par des agents de l’ONF (Office national des forêts). Ces derniers lui ont demandé de quitter la zone car la forêt de la Combe d’Ire abrite en partie une réserve naturelle, où la circulation est interdite.

Or un cycliste anglais aurait croisé cette même moto plus bas, quelques instants plus tard, avant de découvrir les corps des victimes. Le pilote est-il l’assassin ? Seule certitude, ce motard est passé à proximité du véhicule des Al-Hilli dans le créneau horaire du drame. En dépit des appels à témoins, il ne s’est toujours pas manifesté.

La piste familiale

Les enquêteurs se sont rapidement intéressés au volet britannique de l’affaire, en particulier à la vie de Saad Al-Hilli. Cet ingénieur d’origine irakienne entretenait des rapports tumultueux avec son frère aîné, Zaid. Objet du litige, l’héritage paternel, estimé à plusieurs millions d’euros. Le père défunt avait ouvert un compte en Suisse, sur lequel figure une somme de près d’un million d’euros.

Au lendemain du drame, Zaid Al-Hilli s’est rendu de lui-même dans un bureau de police. Après avoir précisé qu’il n’avait pas séjourné en France depuis plusieurs années, il a affirmé qu’il entretenait de bonnes relations avec son frère Saad. Des "éléments objectifs", révélés depuis par l’enquête, prouvent l’inverse. Il semble que le père ait même tenté de déshériter le fils aîné. Pour les enquêteurs, Zaid Al-Hilli a menti, ce qui pour autant ne fait pas de lui l’auteur ou le commanditaire d’un quadruple meurtre. Mais en France, ce comportement lui aurait valu une garde à vue, une perquisition au domicile et des écoutes téléphoniques.

Au Royaume-Uni, où la justice érige en dogme la garantie des libertés individuelles, la police emprunte une autre voie, moins coercitive. "Un choc de cultures" résume un magistrat français. Ajouter à cela les différences de forme concernant la procédure, en grande partie orale au Royaume-Uni, entièrement écrite en France. Ainsi, près de 1 100 procès-verbaux ont été versés au dossier d’instruction côté français, à peine une vingtaine outre-Manche. En dépit des efforts consentis de part et d’autre, ce fossé culturel ralentit sensiblement l’enquête.

Un tueur de la région ?

La piste locale fait aussi partie des hypothèses de travail. "Elle figure au même niveau que les autres", précise-t-on au palais de justice d’Annecy. La vie de Sylvain Mollier, le cycliste français abattu avec la famille Al-Hilli, a été ainsi disséquée. La perquisition menée à son domicile et vécue douloureusement par la famille n’a rien donné. A ce jour, il reste pour le procureur d’Annecy "la victime collatérale" de ce drame.

Sur la trace d’un éventuel "tireur fou", les gendarmes ont par ailleurs interrogé les hôpitaux psychiatriques, visité les clubs de tir, rencontré les associations de chasseurs. Ils ont aussi procédé à des recoupements avec des affaires de braquages ou de stupéfiants. Là encore, sans résultat.

Et s’il demeurait un doute infime concernant l’implication du cycliste anglais qui a découvert les corps, il a été levé il y a quelques jours par un expert acousticien. L’ancien militaire de la Royal Air Force affirmait qu'il n’avait pas entendu de détonation alors qu’il s’approchait de la zone de crime. En procédant à des tirs dans la forêt, l’expert mandaté par le juge d’instruction a confirmé ses dires. Les enquêteurs attendent encore de nombreux résultats d’expertises. L’exploitation de ces données devrait prendre plusieurs semaines. "Il faut se hâter lentement", dit-on souvent chez les militaires. Avec l’espoir non dissimulé de trouver rapidement une piste. 

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