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Infanticide de Berck-sur-Mer : au premier jour de son procès, Fabienne Kabou montre ses deux visages

Cette femme originaire d'une famille de notables sénégalais est accusée d'avoir noyé sa fille de 15 mois en 2013. Elle affirme avoir agi sous l'emprise de la sorcellerie.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Fabienne Kabou, lors de l'ouverture de son procès devant la cour d'assises du Pas-de-Calais, à Saint-Omer, le 20 juin 2016. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCETV INFO)

"C'est uniquement sur ce qui sera dit à l'audience que les jurés fonderont leur intime conviction." Au premier jour du procès de Fabienne Kabou, lundi 20 juin, ce rappel de la présidente de la cour d'assises du Pas-de-Calais, à Saint-Omer, sonne comme une mise en garde. De fait, il n'aura fallu qu'une matinée d'audience pour prendre la mesure de la dualité de cette femme de 39 ans, jugée pour avoir noyé sa fille de 15 mois sur une plage de Berck-sur-Mer, le 19 novembre 2013.

C'est une Fabienne Kabou élégante, cheveux relevés en chignon, gilet noir sur chemisier blanc, qui fait son entrée dans le box ce lundi matin. D'une petite voix posée, à l'accent distingué, cette femme d'origine sénégalaise est invitée à évoquer sa détention provisoire depuis deux ans et demi. Le ton employé s'accorde avec "la sérénité" qu'elle dit avoir retrouvée depuis son enfermement.

Dans l'ensemble, la détention s'est passée dans une grande dignité.

Fabienne Kabou

devant la cour d'assises du Pas-de-Calais

L'accusée, qui n'en est pas à un paradoxe près, explique comment la détention l'a "aidée à [se] sociabiliser de nouveau". "Les deux années qui ont précédé la mort de ma fille ont été les pires de ma vie. Entre 2011 et 2013, je peux compter le nombre de personnes que j'ai pu voir", précise-t-elle. A cette époque, Fabienne Kabou vit dans l'atelier d'artiste de son compagnon, Michel Lafon, à Saint-Mandé (Val-de-Marne). Ce peintre-sculpteur, de trente ans son aîné, l'héberge depuis 2007, le temps pour elle d'obtenir un doctorat de philosophie.

"Je pensais que j'avais au moins une licence"

Sauf qu'il n'en est rien. La jeune femme n'a en réalité pas encore validé sa licence. A l'évocation de ce premier gros mensonge, Fabienne Kabou est un peu moins affable. "Je pensais que j'avais au moins une licence, je suis allée en cours et j'ai validé des UV", se justifie-t-elle devant la cour, se disant "surprise" d'avoir appris au cours de l'instruction qu'elle n'avait pas décroché ce diplôme.

"On est très loin de la possibilité de faire un doctorat de philosophie", constate calmement Claire Le Bonnois. "Oui, je suis d'accord", répond Fabienne Kabou, ses grands yeux de biche plantés dans ceux de la présidente. Poursuivant sur son parcours, cette fille de bonne famille, qui a grandi dans la bourgeoisie sénégalaise catholique à Dakar, dit avoir eu "un parcours scolaire relativement classique" jusqu'à son baccalauréat en 1995. C'est à ce moment qu'elle décide de venir en France.

La situation familiale était quand même pesante. Même si en apparence tout allait bien.

Fabienne Kabou

devant la cour d'assises du Pas-de-Calais

L'apparence, chez les Kabou, semble compter. Et son corollaire – la réussite sociale, via les études – davantage encore. Fabienne Kabou dit avoir voulu fuir cette "pression" avant tout paternelle. "Je n'avais pas envie de porter je ne sais quel flambeau", énonce-t-elle, choisissant ses mots. Arrivée en France, elle cherche aussi à "s'affranchir de [sa] vie d'enfant gâtée" et fait preuve d'une certaine "désinvolture" et d'une "négligence", "surtout au niveau administratif", comme elle le reconnaîtra devant l'enquêteur de personnalité. 

"Etes-vous sortie de votre spirale mensongère ?"

Elle entame puis abandonne des études d'architecture et de philosophie puis se met à travailler en tant qu'hôtesse, avant de reprendre le chemin de l'université en 2007. Une enseignante de philosophie, dont la déposition est lue à l'audience, se souvient d'une étudiante "très belle, très assidue, élégante et soignée". Mais elle pointe une contradiction qui fait vaciller l'accusée. "A l'oral, son expression était articulée, sa langue déliée, son élocution bonne. Mais à l'écrit elle n'avait rien à dire", cite la présidente. 

La suite de ce témoignage est éloquente : "Elle parlait pour être écoutée. Mais devant une page blanche, elle ne faisait pas illusion. Elle n'était pas bonne. Il manquait une fondation, une cohérence." Piquée au vif, Fabienne Kabou ironise : "C'est bien, j'aurais eu une psychologue sans le savoir. Je ne suis pas tout à fait d'accord." Elle maintient, avec insolence, avoir même entamé un Master. Acculée, elle finit par lancer, effrontée : "Très bien, je n'ai rien, je n'ai pas un seul diplôme. Je n'ai que le baccalauréat !"

Les mots, chez Fabienne Kabou, font écran. Ils sont prononcés avec un détachement appliqué. "Pensez-vous être sortie de votre spirale mensongère ?" lui demande l'avocat de Michel Lafon, partie civile dans ce procès. L'accusée répond par une question : "Croyez-vous que la mort de ma fille n'est pas suffisante ?" L'avocat général, Luc Frémiot, bondit : "S'abriter derrière cet acte criminel pour refuser de répondre à cette question, c'est inacceptable !" 

"La sorcellerie, ce n'est pas une plaisanterie"

"Pourquoi mentez-vous sur cette thèse ? A votre père, à Michel Lafon, aux policiers ? Pourquoi mentez-vous ?" insiste le représentant de l'accusation, qui a visiblement choisi de ne pas ménager celle qui lui fait face dans le box. "Aujourd'hui, vous ne dites pas la vérité, vous continuez à raconter n'importe quoi", martèle Luc Frémiot. "Si je suis dans le mensonge, je ne suis pas censée savoir pourquoi", lui rétorque Fabienne Kabou dans un sourire. 

Mais la rhétorique ne résiste pas longtemps aux attaques de l'avocat général. "Pourquoi je gagne du temps ? Pourquoi je gagne du temps ?" hurle presque la quadragénaire au sujet de cette thèse mensongère. "Je veux enfin que Michel voie la vérité, qu'il voie ce qu'il se passe autour de nous, qu'il voie les intrigues autour de nous". Le mot est lâché. Derrière "les intrigues", il est en fait question de "sorcellerie", celle dont Fabienne Kabou se dit victime depuis le début dans cette affaire.

Tout ce qui m'arrive n'est absolument pas normal, ne me ressemble en rien.

Fabienne Kabou

devant la cour d'assises du Pas-de-Calais

Devant une assistance coite, elle déroule le fil de sa réflexion : "Quel intérêt aurais-je à me tourmenter à ce point, à ruiner ma vie, à mentir, à tuer ma fille ? Il n'y a rien de cohérent là-dedans. Il paraît que je suis intelligente. Même une personne proche du coma éthylique n'aurait pas fait ce que j'ai fait. La sorcellerie, ce n'est pas une plaisanterie !" Après cette irruption de l'irrationnel en pleine audience, l'avocate de la défense, Fabienne Roy-Nansion, demande une suspension. 

A la reprise, Fabienne Kabou s'est rassise et a presque disparu derrière les hautes parois du box. Enfermée dans sa logique. Tous les experts qui l'ont interrogée ont estimé que son discernement était altéré au moment des faits et selon certains, l'accusée souffre d'une psychose délirante chronique. Le procès de Fabien Kabou doit se poursuivre jusqu'à vendredi.

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