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Au procès du meurtre de la policière Aurélie Fouquet, son collègue pleure "Pitchoune"

Thierry Moreau a été entendu jeudi devant la cour d’assises de Paris. Ce policier de 46 ans ne s’est toujours pas remis de la fusillade de Villiers-sur-Marne et se sent coupable d’y avoir survécu.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Reproduction réalisée le 21 mai 2010, à la mairie de Villiers-sur-Marne, de la photo ouvrant le registre de condoléances d'Aurélie Fouquet, la policière municipale tuée. (AFP / MAIRIE DE VILLIERS-SUR-MARNE)

Elle caresse son ventre rond, nerveusement. La compagne de Thierry Moreau est assise dans le public de la cour d’assises de Paris, jeudi 17 mars. A la barre, l’ex-collègue d’Aurélie Fouquet, l’homme qui partage sa vie, vient de dire qu’il aurait préféré perdre la sienne, le 20 mai 2010, à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne).

Le policier est entendu dans le cadre du procès fleuve de neuf accusés, dont le braqueur multirécidiviste Rédoine Faïd, jugés depuis trois semaines pour un braquage avorté qui s’est soldé par la mort de la policière municipale dans l’exercice de ses fonctions.

Il aurait fallu tuer les deux, pas une seule.

Thierry Moreau, policier municipal

devant la cour d'assises de Paris

Thierry Moreau souffre de ce que l’on appelle la "culpabilité des survivants", concept théorisé après les camps de concentration de la seconde guerre mondiale, comme l’a délicatement expliqué à la barre l’experte-psychologue Elisabeth Cédile. Depuis le drame, cet homme de 46 ans vit et revit l’instant où sa jeune collègue, de vingt ans sa cadette, est tombée sous les balles d’un commando armé.

Tout en réserve et en pudeur, le policier, vêtu de noir, l’énonce d’ailleurs clairement : "J’ai un sentiment de culpabilité. Pourquoi elle et pas moi ?" Ce jour-là, "Aurélie" et lui sont appelés pour une fusillade sur l’A4. Arrivés boulevard de Friedberg, devant le restaurant Buffalo Grill, à Villiers-sur-Marne, les deux policiers aperçoivent "un utilitaire couché en travers de la chaussée". "On s’est demandé 'qu’est-ce que c’est que ce bordel ?'" se souvient Thierry Moreau. "On a mis le gyrophare, sans le son, on s'est dirigé sur les lieux et là, ça a été l’enfer."

"Je peux l’appeler 'Pitchoune' ?"

Les quatre ou cinq membres du commando en fuite, cagoulés, sont en train d’abandonner leur fourgon blanc pour une voiture car-jackée. Le policier aperçoit "deux hommes" les mettre en joue, alors qu’ils sont encore dans leur véhicule sérigraphié. Les rafales commencent. Pour Thierry Moreau, "ça a duré une éternité". "Je me suis couché en entraînant ma collègue derrière moi." Il entend les balles perforer la carrosserie, il sent la fumée, l’odeur de poudre, et celle du sang. "Celui de ma collègue". Longue pause à la barre.

Quand il se redresse, il se retourne vers "Aurélie". Les mots sont crus. "Je vois ses mains avec les doigts arrachés. Le cuir chevelu est complètement décollé." Il ouvre la porte passager et l’aide à sortir, "ce qu’elle fait sans difficulté malgré ses blessures". Thierry Moreau interrompt sa déposition. "J’en ai marre de l’appeler 'Aurélie'. Je peux l’appeler 'Pitchoune' ? On l’appelait 'Pitchoune'."

"Pitchoune" est grièvement blessée à la tête. Thierry Moreau entend encore "ses derniers mots".

Continue à tirer Thierry, continue à tirer, j’ai pas envie de mourir.

Aurélie Fouquet, citée par Thierry Moreau

devant la cour d'assises de Paris

La balle toujours logée dans sa poitrine

Aurélie Fouquet sombre rapidement dans l'inconscience. Thierry Moreau, abrité à l’arrière gauche du véhicule, aperçoit "un individu qui les regarde, la kalach à la hanche". "Il avait l’air surpris qu’il y ait des survivants. Je me suis dit qu’il allait nous achever." Le policier tire, pour la première fois de sa carrière. "Cinq cartouches, avec la certitude d’en avoir touché un."

Du sang a été retrouvé dans les véhicules de fuite de l’équipée. Il appartient à Olivier Tracoulat, l’un des accusés, absent à ce procès. L’enquête n’a pas pu établir avec certitude qu’il était mort mais il existe de fortes présomptions.

Thierry Moreau a lui aussi été grièvement blessé, au côté droit de la poitrine. La balle y est toujours logée. Le policier, enlevant sa veste, montre l’endroit aux parties civiles, aux jurés et, machinalement, aux accusés dans le box. A l’image de cette balle, le témoin est figé. Dans sa vie. Dans son "stress post-traumatique", comme le souligne l’experte.

L’attente "dangereuse" d’un procès à l’issue incertaine

A l'instar de ses collègues de la police nationale la veille, Thierry Moreau confie n’être plus le même. Six ans après, "je ne dors pas, j’ai peur de m’endormir". Mais à l’inverse de certains, qui ont demandé leur mutation, le collègue d’Aurélie Fouquet s’inflige de rester dans le même service, au même endroit.

"Vous passez tous les jours devant le carrefour rebaptisé Aurélie-Fouquet, pourquoi ?" demande doucement une avocate de la partie civile. "Je pense que 'Pitchoune', là où elle est, n’aurait pas aimé que je baisse les bras. Tant que les coupables n’auront pas eu le courage d’avouer, pour elle, sa famille et son fils Alexis, je ne partirai pas de Villiers", répond le témoin, ajoutant qu’il s’agit d’une "promesse" faite à la victime.

Dans son rapport, l’expert notait que dans le cas de Thierry Moreau, "seul le procès marquera une étape décisive qui lui permettra de commencer à reconstruire sa vie et à regarder l’avenir". A la barre, la psychologue Elisabeth Cédile confirme. Mais elle prévient : "Cette parenthèse dans le temps, entre les faits et le procès, est dangereuse pour la victime. L’issue d’un procès, on ne la connaît jamais." Dans le cas présent, l'audience n’a pas permis, pour l’instant, de préciser les responsabilités présumées de chacun des accusés. Les débats doivent durer encore quatre semaines.

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