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A Monflanquin, le village qui fait mine de ne pas s'intéresser

Evidemment, tout le monde connaît la famille Védrines, dont onze membres sont appelés "les reclus de Monflanquin" après avoir été manipulés par un "gourou". Mais de là à parler de ce qui leur est arrivé... Reportage. 

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le château de Martel, où onze membres de la famille Védrines ont vécu reclus des mois durant, à Monflanquin, dans le Lot-et-Garonne.  (SALOME LEGRAND / FTVI )

PROCES DE MONFLANQUIN – Il y a deux petits tronçons de rue commerçante, de part et d'autre de la place carrée, à Monflanquin (Lot-et-Garonne). Mais les Védrines, famille implantée depuis trois siècles et dont onze membres ont été manipulés durant dix ans, "on connaît pas tant que ça". Leur "gourou", l'invraisemblable Thierry Tilly, est jugé depuis lundi 24 septembre devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Les quotidiens régionaux, gros titres sur "les reclus de Monflanquin" en une, traînent sur tous les comptoirs, mais la plupart des 2 000 âmes de ce village médiéval accroché à un coteau esquivent le sujet. Bien qu'ils n'en pensent pas moins. Reportage.

"Ils se sont fait avoir comme des bleus !"

"Oui, on les croisait, 'bonjour, bonjour', mais de là à vous en parler", botte en touche Jean-Luc, le vendeur de jouets en bois à qui tout le monde vous conseille de vous adresser. "Je peux vous dire qu'ils ont deux bras, deux jambes, et même des cheveux", se marre-t-il, pommettes hautes sous sa casquette de toile grise floquée "région Aquitaine". Dans le café attenant, Claude*, qui vérifie que "c'est bien l'heure", avant de commander "un petit jaune", a "côtoyé les Védrines", ils étaient "ses clients". "Enfin, pas eux, mais leurs cousins", rectifie-t-il rapidement en entretenant le flou pour éviter toute question.  

Comme à l'époque des faits, les habitants de Monflanquin jouent la prudence. "C'était un peu les hobereaux du coin. Quand j'y suis allé en reportage en 2003, tout le monde savait ce qui se passait [au château de Martel, à trois kilomètres de là], mais personne ne disait rien, ils respectaient cette famille, figure locale", décrypte un journaliste de la presse régionale qui suit le dossier. Et s'ils ont vendu le château, les Védrines possèdent encore deux propriétés dans les parages. 

Pull à losanges aux couleurs passées, sourire aussi large que la calvitie, Claude reconnaît : "C'est difficile, ici, de parler de la famille." "C'est privé et ça n'a aucun intérêt", tente à deux reprises son copain d'apéro, qui s'est contenté d'un café. Mais bon, ça les intéresse suffisamment pour qu'ils connaissent nombre d'éléments du dossier. Certains avérés, comme le remariage de Ghislaine de Védrines avec Jean Marchand, séparés pendant huit ans (la première a été manipulée, l'autre a été écarté par le gourou). Et d'autres plus fantaisistes, sur Thierry Tilly, le manipulateur, notamment : "C'est un bon hein, il a même siphonné tout le pognon de sa femme qui était très riche !" Un détail qui ne figure nulle part. "En tout cas, c'est sûr, si on nous mène en bateau, nous, on n'a pas 5 millions de côté à se faire piquer !" se marrent-ils.

"Ils se sont fait avoir comme des bleus", s'exclame d'emblée une minuscule mamie recroquevillée dans son fauteuil chez le coiffeur, des papillotes en aluminium bleu roi sur tout le crâne. "Quelle histoire, c'est pas possible, il y avait des médecins, des avocats, c'était des gens hors du commun, quand même", poursuit-elle, incrédule, les yeux brillants. "Secte, pas secte, c'est très confus", souligne la jeune coiffeuse qui lui tartine les mèches de pâte de teinture mauve. 

"Personne n'a compris"

"Dans le village, personne n'a compris", confirme Pierre*, jeune quinqua croisé sur la place principale, une baguette à la main. "C'est une histoire qui dépasse tout le monde, c'est pas fait pour des conversations de café, c'est tellement énorme", poursuit-il. Lui était invité au cocktail du mariage "en grande pompe" de Guillemette, en septembre 2001. Une semaine jour pour jour avant qu'une partie de la famille ne commence à s'enfermer dans le château. "Personne n'a rien vu venir, personne n'a compris", répète-t-il. 

Il y a bien les gendarmes, dont les yeux pétillent à l'évocation de l'affaire, qui raconteraient volontiers tous ces gens bien défilant au commissariat pour porter plainte les uns contre les autres. Mais ils n'ont pas l'accord de leur hiérarchie. 

"C'est vraiment extraordinaire, mais ça arrive, hein", commente à côté une joviale commerçante, brushing blond paille et ronds roses aux joues. Elle-même, d'ailleurs, aurait très bien pu se faire embobiner par un petit jeune qui lui faisait les yeux doux. "Si ça se trouve c'est ça, c'est de là que c'est parti", s'emballe une cliente de passage. Elles se lancent avec gourmandise dans des théories extravagantes qui vont de "l'histoire de fesses" à la querelle de famille qui tourne mal, tout en vérifiant régulièrement qu'on ne "note pas n'importe quoi".

"Ils ont des avocats, tout ça… Quand ça reste au sein du village, déjà, ça fait des problèmes, mais on ne sait pas ce qui peut leur prendre quand ils seront sortis [du procès]", se justifie la commerçante, qui ne veut pas insulter l'avenir. Un peu comme Jean-Luc, le vendeur de jouets en bois dont on imagine aisément qu'ils ont dû faire le bonheur de quelques générations de Védrines à Noël, qui, officiellement du moins, se "demande juste si parler autant de Monflanquin, ça ne pourrait pas faire un peu de pub !"

* A leur demande, les prénoms de certains habitants ont été modifiés afin de préserver leur anonymat.  

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