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Match Canal+ - Al Jazeera : 1 partout, la balle au centre

La chaîne cryptée déplore la stratégie de conquête de sa concurrente qatarie ? Il y a 30 ans, elle avait pourtant utilisé les mêmes techniques pour faire sa place sur le terrain audiovisuel.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3 min
Le joueur du Real Madrid Cristiano Ronaldo quitte le terrain après un match entre le club espagnol et l'Ajax Amsterdam, le 15 septembre 2010 à Madrid (Espagne). (ANGEL MARTINEZ / GETTY IMAGES EUROPE)

Depuis trois mois, Al Jazeera est devenu le grand méchant loup du PAF. Si les journalistes de Canal+ vont voir ailleurs, c'est la faute à la chaîne qatarie, dont la déclinaison sportive française, qui n'a pas encore de nom, est attendue mi-2012 sur les écrans français. Si Canal+ a perdu une grande partie de la Ligue 1 de football et des Coupes d'Europe, c'est la faute aux insondables poches d'Al Jazeera. A entendre les dirigeants de la chaîne cryptée, la patrie est en danger. Pourtant, un petit coup d'œil dans le rétroviseur montre que Canal+ n'a pas hésité à utiliser les mêmes méthodes quand il s'est agi de se faire une place dans les plateaux télé des Français. 

• Soutien gouvernemental : Al Jazeera 1 - Canal+ 1

On reproche aux Qataris d'Al Jazeera (mais aussi à ceux qui ont acheté le PSG) de bénéficier du trésor de guerre de l'Etat qatari pour favoriser son rayonnement culturel. C'est vrai. Mais Al Jazeera n'est pas la seule à avoir bénéficié de ressources étatiques pour aider à son accouchement. 

En 1982, Canal+ a été portée sur les fonts baptismaux par François Mitterrand en personne, qui voulait créer une nouvelle chaîne centrée sur la culture, mais pas financée par la redevance. C'est tout sauf un hasard si un de ses directeurs de cabinet, André Rousselet, en a pris la présidence, et si l'Etat a fait travailler l'agence Havas, dont le même Rousselet fut le patron, pour définir ce que serait la chaîne. 

La politique sportive de Canal avait été, à l'époque, basée sur un sondage affirmant que les hommes voulaient voir plus de foot sur le petit écran, alors que les femmes n'aspiraient qu'à s'enthousiasmer devant la gymnastique et le patinage artistique. Conclusion des décideurs : "Nous devons déclencher l'abonnement en visant celui qui paye, le chef de famille, et donc privilégier le football plutôt que le patinage", expliquait en 1994 un ancien directeur des programmes de la chaîne dans le livre d'Eric Maitrot Sport et télé, les liaisons secrètes. Depuis, des études montrent régulièrement que le foot est la première motivation de l'abonnement à Canal+, et de très loin. 

• Surenchère sur les droits : Canal+ 1- Al Jazeera 1

Al Jazeera pratique "une politique de surenchère avec des logiques de rentabilité différentes", écrit le président de Canal +, Bertrand Méheut, mardi 6 mars, dans une tribune au Monde. Même son de cloche chez Rodolphe Belmer, le dircteur de Canal+. "Al Jazeera agit en dehors de toute rationalité économique", dénonce-t-il dans L'Equipe. Ainsi, Al Jazeera a récupéré en novembre la majorité des affiches de Ligue des Champions en doublant l'offre de Canal+. Ces méthodes sont-elles nouvelles ? Non. 

En 1985, la chaîne cryptée achète son premier match de Coupe d'Europe, un Bordeaux-Dniepr (les Girondins étaient champions de France en titre) pour 1,25 million de francs, "quasiment le double des tarifs pratiqués par TF1 et Antenne 2 ", écrit Eric Maitrot dans Sport et télé, les liaisons secrètes. Et de souligner : "Charles Biétry s'impose comme l'acheteur de droits le plus habile de la place de Paris" à l'époqueL'ouvrage date du milieu des années 90, mais la citation n'a pas pris une ride. Sauf que cette fois, le journaliste a changé de camp pour devenir directeur de la future chaîne sportive française d'Al Jazeera.

• Débauchage de journalistes : Canal+ 1 - Al Jazeera 1

"C’est une forme d’impérialisme qui semble presque surnaturelle. Cette attaque porte sur les acquisitions de droits, le débauchage massif de journalistes", s'écrie Cyril Linette, patron des sports de Canal+, dans L'Equipe

A ce jour, trois journalistes de la chaîne cryptée ont quitté le navire; dont deux têtes d'affiche : Darrent Tulett, grand ordonnateur des après-midi de foot anglais, et Christophe Josse, l'un des commentateurs vedettes de la chaîne. D'autres noms connus sont en approche. En 1982, Canal+ avait, elle aussi, débauché massivement dans le PAF : Pierre Lescure venait d'Antenne 2 et Michel Denisot présentait alors "Téléfoot" sur TF1. En dehors des ces stars, la patte Biétry époque Canal a consisté à recruter des jeunes pour qu'ils imposent un nouveau ton. Dans une interview au Parisien en février, on sent que la même méthode sera appliquée pour Al Jazeera. 

Canal+ pourrait bientôt ne plus être à la seule à se lamenter bruyamment. D'après le quotidien britannique The Guardian, Al Jazeera envisage d'acheter les droits du foot anglais pour le Royaume-Uni, la poule aux œufs d'or des chaînes Sky Sports et ESPN. 

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