Foot : les clubs français vont-ils faire grève contre la taxe à 75%?
C'est la menace brandie par plusieurs présidents. Ils estiment que ce prélèvement sur les salaires de plus de 1 million d'euros par an pourrait mener plusieurs clubs au dépôt de bilan.
"C'est ça, ou mourir", lâche le président de Lyon, Jean-Michel Aulas, sur Eurosport. "Quand quelqu'un est au bord de l'agonie et de mourir, il est prêt à beaucoup de choses", menace Jean-Pierre Louvel, le président du syndicat des clubs (UCPF), sur RTL. D'après Le Journal du dimanche, les présidents de clubs professionnels français sont prêts à boycotter la journée de L1 et L2, prévue du 25 au 27 octobre, pour protester contre la taxe à 75%... dont les députés ont débuté l'examen. Simple parole en l'air ou véritable menace ?
Oui, les présidents se disent "au bout du rouleau"
On devine les trémolos dans la voix de Jean-Pierre Louvel, longuement interrogé sur RTL. "C'est un vrai danger pour une filière qui pèse 25 000 emplois. (...) Nous n'avons pas employé le mot 'grève', mais il arrivera un moment où on sera au bout du rouleau." Les patrons des clubs craignent le pire. D'autant que le projet de loi, qui prévoit de taxer à 75% tous les salaires supérieurs à un million d'euros par an, a été durci par la commission des Finances de l'Assemblée nationale.
Aux dernières nouvelles, les footballeurs forment le gros du bataillon des quelques milliers de personnes touchés par cette taxe en France. Et ce sont leurs clubs qui vont devoir régler l'addition. Pour en atténuer l'impact, Pierre Moscovici, le ministre de l'Economie et des Finances, a décidé d'un plafonnement à 5% du chiffre d'affaires des clubs, qui espéraient, eux, 3%, note L'Equipe.fr. Comme l'a montré Slate.fr, le PSG ne paiera plus que 19 millions d'euros, contre 43 millions sans plafonnement. Idem pour un club plus modeste, Rennes, qui passe de 3,3 millions à 2,1.
Est-ce encore pour rogner sur ce chiffre qu'ils brandissent la menace d'une grève ? Pas vraiment, à en croire Jean-Pierre Louvel. Si la taxe est maintenue, et même avec le plafonnement, "je suis sûr qu'un ou deux clubs de L1 seront en dépôt de bilan, prophétise-t-il. Cinq ou six clubs obligés de vendre très rapidement pour pouvoir faire face. En Ligue 2, il y aura des dégâts collatéraux."
Non, c'est de l'esbroufe pour faire pression sur l'Assemblée
Cette prédiction pessimiste paraît très excessive au spécialiste de la fiscalité du sport, Jacques Saurel, contacté par francetv info. "Cela va engendrer quelques difficultés pour les clubs, mais rien de plus, assure-t-il. C'est plus une question de principe. Vu que la question est sur le tapis depuis 2012, les clubs, dont l'exercice comptable s'est achevé en juin 2013, auraient pu provisionner une somme pour faire face à la taxe. La menace brandie par les clubs est très exagérée, mais c'est de bonne guerre."
Pascal Perri, consultant économique pour l'agence RMC Sport, pense que c'est surtout un moyen pour exprimer un ras-le-bol fiscal. "C'est particulièrement douloureux pour ce qu'on pourrait appeler 'la classe moyenne du football français', Lyon, Rennes, Saint-Etienne... explique-t-il. Ces clubs disposent d'un budget moyen, très dépendant des droits télé, et n'ont que peu de capacité à augmenter leurs revenus immédiatement. Que représentent les 2 millions d'euros que Rennes doit payer ? C'est le prix d'un joueur. Pour les finances publiques ? Ce n'est rien du tout. Cette taxe est un facteur aggravant de l'appauvrissement des clubs français. Elle est aussi en totale contradiction avec le discours ambiant." Valérie Fourneyron, ministre des Sports, n'a-t-elle pas mis sur pied une commission pour réfléchir à la compétitivité du sport français ?
Oui, les joueurs sont solidaires (pour le moment)
Peut-on vraiment imaginer une grève décidée par les patrons des clubs et appliquée par les joueurs, ce qui serait du jamais-vu ? "L'UNFP, le syndicat des joueurs, est solidaire de la position de l'UCPF, le syndicat des présidents, affirme Stéphane Saint-Raymond, représentant de l'UNFP, contacté par francetv info. Sans aller jusqu'à soutenir un mouvement de grève. Les présidents doivent décider de la suite des opérations le 24 octobre. "Nous n'avons pas décidé de la conduite à suivre au cas où les présidents mettraient leur menace à exécution, nuance Stéphane Saint-Raymond. Le football français n'est pas aveugle, il est au courant que c'est la crise."
Malgré leur image de sportifs "trop payés" (96% des Français le pensent, d'après un sondage pour l'émission "Capital", sur M6), les footballeurs ont plusieurs fois envisagé de se mettre en grève ces dernières années. En 2008, on a frôlé l'arrêt de travail, en raison d'un conflit avec les présidents sur le pouvoir au sein de la Ligue de football professionnel. A l'époque, le représentant des joueurs, Sylvain Kastendeuch, ne croyait pas à l'impopularité du mouvement. "On n'est pas sur des revendications salariales, mais sur des valeurs très respectables qui peuvent parler au grand public, expliquait-il à Libération. Avant de nuancer : "On ne pourra pas empêcher que cette jalousie vis-à-vis du salaire des footballeurs puisse être, pour certains, un frein rédhibitoire."
Non, les présidents nous ont déjà fait le coup il y a trois ans
En 2010, quand l'Assemblée nationale a supprimé le droit à l'image collective (DIC), un avantage fiscal pour les clubs de football, les présidents s'étaient bornés à monter au créneau, sans menacer de faire grève. Leur discours de l'époque rappelle étrangement ce qu'on entend aujourd'hui. Jean-Michel Aulas avait annoncé qu'il devrait se priver "d'un ou deux bons joueurs", quand Alain Smadja, qui représente les ligues professionnelles, estimait que "l'existence de plusieurs clubs est en danger." L'année suivante, Jean-Michel Aulas cassait sa tirelire pour acheter Yoann Gourcuff pour 22 millions d'euros. Et aucune faillite de club n'était à imputer à la fin du fameux DIC...
La dernière grève du foot français remonte à 1972 : les joueurs défendaient alors leur contrat de travail. En Italie, le dernier mouvement social est plus récent : les footballeurs ont fait grève à l'été 2011 au sujet de l'application, entre autres, d'une "taxe de solidarité" qu'ils devaient payer. Les footballeurs transalpins voulaient en savoir plus sur les modalités de cet impôt, mais étaient, eux, disposés à le payer.
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