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Grève des urgences : les "revendications ne sont pas suffisamment prises au sérieux par la ministre"

La sociologue Fanny Vincent était invitée de franceinfo alors que les personnels des hôpitaux ont une fois de plus manifesté pour réclamer de meilleures conditions de travail.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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La manifestation des personnels des hôpitaux mardi 11 juin à Paris. (SADAK SOUICI / LE PICTORIUM / MAXPPP)

Les personnels hospitaliers une fois de plus dans la rue mardi 11 juin. Quatre syndicats avaient appelé à cette "journée de mobilisation et de grève nationale", pour "élever le rapport de force" face à la ministre de la Santé. Agnès Buzyn a reçu une délégation dans l'après-midi. Les grévistes réclament de meilleures conditions de travail et notamment une revalorisation des salaires.

Des revendications qui ne sont pas suffisamment prises au sérieux par le gouvernement selon Fanny Vincent, sociologue et chercheuse au Centre d'études de l'emploi et du travail du Cnam.

franceinfo : Vous cosignez une tribune dans Libération intitulée "Il faut d'urgence écouter les soignants" où vous exhortez les pouvoirs publics à réagir. Selon vous, ce n'est pas pris au sérieux jusqu'à maintenant ?

Fanny Vincent : On pense qu'en effet ces revendications ne sont pas suffisamment prises au sérieux par la ministre [Agnès Buzyn]. Quand on voit son discours, elle s'adresse d'ailleurs principalement aux urgentistes. Elle dénigre la légitimité des arrêts maladie en raison des épuisements professionnels de la part d'un nombre croissant de soignants. Plusieurs équipes de plusieurs hôpitaux se sont mises en arrêt maladie parce qu'elles sont épuisées. En effet, les avances de la ministre ne sont pas à la hauteur de ce que revendiquent les soignants et de ce qu'ils demandent.

Dans ce que vous avez observé, est-ce que ce malaise est le résultat d'un épuisement qui est généralisé à l'hôpital ?

Absolument. Alors, il est vrai que les urgences sont la porte d'entrée de l'hôpital et sont souvent prises comme un révélateur ou un miroir grossissant des tensions. Mais derrière, il y a tout un tas de services hospitaliers qui sont également à flux tendus et qui sont, eux aussi, à bout de souffle. Et ça, ce n'est pas visible qu'aux urgences. Dans les chiffres, on voit que tous les indicateurs sont au rouge car il y a de plus en plus de choses à faire et de moins en moins de temps pour le faire. De moins en moins de temps, c'est-à-dire des pauses qui diminuent, des temps de transmission qui diminuent, des moyens qui diminuent et des soignants qui sont épuisés.

Il faut, selon vous, des réponses immédiates à la réalité de ce qui se passe dans l'hôpital aujourd'hui…

Tout à fait. Agnès Buzyn dit qu'il n'y a pas de solution miracle. En effet, il n'y a pas de solution miracle, mais il y a des solutions et ce sont les revendications que portent les soignants. Les trois principales revendications en termes de créations de postes, de revalorisation du point d'indice et l'arrêt de la fermeture des lits d'hospitalisation sont des revendications à court terme. Et puis, en effet, il y a une nécessité de repenser l'organisation du système de santé dans sa globalité. Mais cela n'empêche pas que l'hôpital a aussi besoin de plus de moyens. Réorganiser le système de santé n'équivaut pas à dire qu'il n'y a pas besoin de moyens supplémentaires.

Est-ce que le fonctionnement de l'hôpital aujourd'hui obéit à une logique comptable ?

Oui, je pense qu'on peut le dire, notamment avec les modes de financement. En effet, l'hôpital est passé d'une entité budgétaire avec une dotation globale de financement à ce qu'on appelle la tarification à l'activité, donc à une entité financière qui se pense comme devant être productive, comme investissant dans des services qui sont censés être rentables. Donc véritablement, ça contraint la charge de travail, ça pèse lourdement sur les professionnels. Je pense que ce mouvement [de protestation] montre que ce n'est pas possible de tenir comme ça et qu'on peut même s'étonner que ce mouvement arrive si tard. Ça aurait pu exploser au niveau national depuis bien longtemps. Ce qu'il faut mettre en regard, c'est l'explosion du nombre de passages aux urgences. En vingt ans on est passé de 10 millions de passages aux urgences à plus de 20 millions. Et parallèlement, le taux de pauvreté a augmenté de 50 voire 60% selon les chiffres de l'Observatoire de la pauvreté. En effet, il y a une détresse sociale qui se retrouve aux urgences et qu'on ne peut pas déplacer ailleurs en disant "les urgences ne sont pas pour vous."

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