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Pourquoi les entreprises choisissent de se financer grâce au crowdfunding

En un an, les fonds collectés par le crowdfunding, ou financement participatif, ont été multipliés par trois en France, selon une étude du cabinet CompinnoV. Rencontre avec trois entrepreneurs qui ont choisi ce mode de financement.

Article rédigé par Jéromine Santo-Gammaire
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Pierre Battelier et Yoann Belingard ont obtenu 3 000 euros de prêt grâce au crowdfunding alors que les banques leur refusaient tout financement. (ERIC JACQUIN)

La France bientôt pionnière en matière de crowdfunding ? Arnaud Montebourg, le ministre de l'Economie, a présenté, mercredi 28 mai, en conseil des ministres, l'ordonnance visant à encadrer et assouplir les conditions de financement participatif. Celle-ci reprend dans les grandes lignes les propositions annoncées à la mi-février par l'ancienne ministre du développement numérique, Fleur Pellerin. Les décrets d'applications seront publiés en juillet pour une application de la loi à partir du 1er octobre 2014.

Les entreprises, elles, sont de plus en plus nombreuses à se tourner vers les plateformes internet de crowdfunding pour lancer ou développer leurs projets. Que ce financement prenne la forme de dons, de prêts rémunérés ou de prise de participation au capital.

Francetv info a rencontré trois entrepreneurs pour comprendre ce qui les a menés à choisir le crowdfunding.

Parce que les banques ne veulent pas les soutenir

Pierre Battelier est ingénieur du son. Il crée Les Petits Cinéastes en 2013 avec un ami, Yoann Belingard, réalisateur, avec l'idée de parcourir les classes d'Ile-de-France. Objectif : enseigner aux élèves de 6 à 18 ans la réalisation de films mais surtout les aider à dompter leur rapport à l'image. "C'est aussi un prétexte pour leur enseigner certaines valeurs humaines et aborder un tas de sujets de manière ludique, précise Pierre Battelier. Ça permet à des élèves de se valoriser différemment."

Le choix d'une coopérative semble alors logique aux deux amis parce que cela correspond à l'idée du projet. Le recours au crowdfunding s'impose dès le début. Le binôme apporte 7 000 euros de fonds personnels avant de se tourner vers les banques, qui lui refusent tout financement. "Je venais de terminer mes études, se remémore Pierre Battelier. Nous n’avions pas suffisamment de revenus pour prétendre à un crédit... et un taux d'endettement trop élevé."

L'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie), qui octroie des microcrédits à ceux qui ne parviennent pas à accéder au système bancaire, accepte alors de les soutenir, moyennant une petite présentation du projet et des garants. Elle leur prête 3 000 euros. Une somme que l'Adie a récupérée après coup grâce à un prêt solidaire (non rémunéré) via la plateforme de crowdfunding Babyloan avec qui elle collabore.

Si les entrepreneurs ne parviennent pas à rembourser, l'Adie prend en charge les pertes et retourne l'argent à Babyloan et aux particuliers prêteurs. "Elle se base beaucoup sur la confiance et sur la bonne foi. Si elle aime le projet, elle le soutient", explique Pierre Battelier. L'association propose aussi un accompagnement autour des questions de communication et de marketing grâce à l'appui d'une communauté de bénévoles. De son côté, Babyloan se charge de promouvoir le projet et trouve les prêteurs, dont la plupart font déjà partie de son réseau. En vingt jours, c'est plié.

Avec l'argent, les jeunes entrepreneurs peuvent acheter le matériel de base et payer une partie de leur cotisation à l'Union régionale des sociétés coopératives. Des idées plein la tête, le binôme compte monter dans les prochains mois une nouvelle campagne de crowdfunding, par le don cette fois. "L'avantage, c'est que l'on a un retour concret sur le projet avant même de l'avoir débuté."

Parce qu'ils ont besoin de fonds rapidement

L’idée de créer la start-up Ticatag naît chez Alcatel-Lucent, dans la tête d’un de ses ingénieurs, Yann Mac Garry, qui souhaite relier les objets de notre environnement à notre smartphone. Avec deux de ses collègues, il élabore ti'Be, un porte-clé connecté que l'on accroche à ses affaires (son trousseau, par exemple) pour ne plus les perdre. Grâce à l’application, le propriétaire peut les géolocaliser dans un rayon de 40 m. La communauté d'utilisateurs peut aussi signaler l’objet perdu s’ils le retrouvent.

Un produit grand public qui se prête bien au crowdfunding. "Pour développer notre start-up, il nous fallait de l’argent rapidement et le financement par les banques ou par des 'business angels' [des investisseurs providentiels] prend trop de temps, justifie Sophie Tron, cofondatrice de l'entreprise. Nous voulions que tout soit prêt pour présenter notre start-up, avec le lancement de notre ti'Be, à plusieurs salons high-tech qui se tiennent dès le mois de mai."

Le concept leur apporte également de la visibilité, en France comme à l'étranger. "Lever des fonds grâce au crowdfunding, c'est aussi mener une campagne de presse tous supports confondus."

Ils postent début janvier leur projet sur Kiss Kiss Bank Bank, un site de crowdfunding dédié aux dons, et récoltent plus de 34 700 euros en trois mois, alors que leur demande initiale était de 25 000 euros.

Avec leur collecte, les trois collaborateurs ont pu financer presque entièrement la fabrication des produits. Alors que la collecte a pris fin au mois de mars, la toute jeune start-up a mis en ligne les pré-commandes des ti’Be et se prépare à exposer au festival d'innovations numériques Futur en Seine qui se tient en Île-de-France du 12 au 22 juin.

Parce que c'est aussi un outil de communication

Ils sont deux "quinquas" à avoir fondé Ennesys, Pierre Tauzinat et Christine Grimault. Amis de longue date, possédant chacun des expériences en tant que chef d'entreprise, ils se sont lancés en 2010, en s'appuyant sur leurs fonds propres. Située à Nanterre, en banlieue parisienne, leur société utilise la culture de micro-algues afin de recycler les eaux usées et de transformer les déchets organiques en source d'énergie.

En 2013, après plusieurs financements traditionnels, l'entreprise se heurte au refus des banques, qui financent rarement des projets très innovants dont la rentabilité n'est pas assurée. Les deux entrepreneurs optent alors pour le crowdfunding via la plateforme d'investissement WiSeed qui les a sollicités. 

"C'était intéressant pour nous en termes de communication, explique Christine Grimault, directrice du développement de l'entreprise. D'abord, ça valide l'acceptation de notre technologie par le public, et ensuite, ça montre aux instances de financement publiques et privées traditionnelles que si elles ne veulent pas financer l'innovation, d'autres moyens existent." Le crowdfunding permet également de jouer sur le côté "belle histoire" et de mettre en avant la réussite de l'entreprise.

Les deux entrepreneurs sont aussi séduits par le fait que l'argent appartienne à des particuliers, et non à des investisseurs professionnels qui auraient pu les contraindre dans leurs décisions futures.

En décembre, une opération éclair est menée. En quinze jours, l'entreprise obtient un financement de 300 000 euros, soit 10% de l'argent investi dans Ennesys. Un succès. Avec cette somme, la société compte se développer à l'étranger, avec pour objectif de s'imposer sur le marché mondial du recyclage et de la valorisation des déchets. 

François Hollande et Anne Lauvergeon, à la tête de la commission "Innovation 2030", dans les locaux de l'éco-entreprise Ennesys, à Nanterre (Hauts-de-Seine), le 11 octobre 2013. (IAN LANGSDON / AFP)

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