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Amiens. La CGT a-t-elle conduit Goodyear au suicide ?

Le syndicat est pointé du doigt, au lendemain de l'annonce de la fermeture de l'usine Goodyear d'Amiens, qui employait plus de 1 100 salariés. 

Article rédigé par Bastien Hugues
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des salariés de Goodyear manifestent devant leur usine d'Amiens (Somme), le 2 juin 2009. (BAZIZ CHIBANE / SIPA)

En défendant l'emploi et les acquis sociaux à l'usine Goodyear d'Amiens (Somme), la CGT a-t-elle en réalité conduit l'entreprise et ses 1 173 salariés au suicide collectif ? Au lendemain de l'annonce par la direction du groupe de la fermeture prochaine de l'usine, jeudi 31 janvier, la question est sur toutes les lèvres. Même sur celles du nouveau secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, qui reproche à la CGT "une position dogmatique". Et le successeur de François Chérèque d'accuser l'organisation syndicale de "porter une responsabilité dans ce qui se passe" à Goodyear, "à part égale" avec la direction.

Six ans de combat juridique entre la CGT et la direction

Pour comprendre cette accusation, il faut remonter dans le temps. En proie à des difficultés financières, le groupe Goodyear Dunlop Tires France décide en 2007 de restructurer ses deux sites amiénois. L'entreprise demande à ses salariés de travailler plus, sur des cadences plus importantes. Emmenés par une CGT ultra-majoritaire, les salariés refusent lors d'un référendum interne de passer des 3x8 aux 4x8. En réponse, la direction annonce un premier plan social prévoyant la suppression de 402 emplois.

La CGT locale décide de traîner la direction de Goodyear devant les tribunaux, et choisit pour conseil Fiodor Rilov, un avocat spécialiste des plans sociaux, connu pour être la bête noire des DRH. Rilov obtient une première victoire en novembre 2008, lorsque le tribunal de Nanterre interdit à Goodyear de mettre en œuvre son plan social. Rebelote en 2009, lorsque la direction annonce un nouveau plan social prévoyant 817 licenciements, plan que la justice suspend au motif que "les informations données au comité central d'entreprise sont incomplètes".

Des salariés de l'usine Goodyear en grève sur le site d'Amiens (Somme), le 2 juin 2009. (MAXPPP)

Le combat juridique se poursuit, y compris lorsque le groupe américain Titan se dit intéressé pour reprendre les activités agricoles de Goodyear-Dunlop, s'engageant à maintenir 537 emplois sur Amiens-Nord pendant "deux ans minimum". Pas suffisant pour la CGT, qui réclame cinq ans d'engagement, puis sept ans ! Désarçonné par ce jusqu'au-boutisme, Titan finit par jeter l'éponge, et retire son offre. 

Parallèlement, en juin 2012, Goodyear annonce l'abandon des licenciements sur son site picard. Ni une ni deux, la CGT salue "une victoire historique". "Il a fallu se battre avec nos tripes pendant presque six ans contre la plus grosse multinationale de pneus au monde", se félicite Mickaël Wamen, le leader de la CGT Goodyear. "C'est la démonstration qu'on peut faire reculer une multinationale et lui imposer un changement radical par la lutte", s'emballe Fiodor Rilov, comme si l'usine et ses salariés étaient définitivement sauvés. Fort de sa "victoire" syndicale, Mickaël Wamen, lui, se présente aux législatives, adoubé par l'ancien député PCF de la circonscription, Maxime Gremetz. En vain. Le cégétiste ne recueille que 6,3% des voix au premier tour. 

Un ouvrier : "La CGT trompe tout le monde"

Loin de l'enthousiasme de la CGT, la situation économique de l'entreprise ne s'améliore pas. Face à la guérilla que lui impose le syndicat, la direction n'investit plus dans son entreprise. Peu à peu, l'outil devient obsolète. La crise du marché automobile n'arrange rien. De 20 000 pneus par jour à la belle époque, la production chute à 2 700 pneus par jour. Résultat : quelque 60 millions d'euros de pertes par an rien que sur le site amiénois, selon la direction. Sans grande surprise, l'entreprise finit par annoncer sa fermeture, jeudi 31 janvier, laissant sur le carreau près de 1 200 salariés.

Auréolée de ses succès juridiques passés, la CGT veut croire que cette annonce, une fois de plus, ne sera pas suivie d'effet, contestant déjà son bien-fondé juridique et dénonçant les "mensonges" de la direction. Mais "la CGT trompe tout le monde, tance un technicien de maintenance, cité par Le Parisien. L'usine est délabrée. On dirait un cadavre suspendu à une corde. C'est illusoire de croire que la justice va interdire la fermeture".

Le délégué syndical CGT-Goodyear, Mickaël Wamen, devant le siège du groupe à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), le 11 juin 2009. (MAXPPP)

En face, pour sauver leurs emplois, les salariés de Dunlop ont accepté de dures concessions, mais aucun plan social n'est à l'ordre du jour. Au contraire, l'entreprise a investi ces dernières années 40 millions d'euros dans le site. Claude Dimoff, le délégué syndical CGT-Dunlop qui avait signé l'accord en 2008 contre l'avis de la fédération CGT de la Somme, a depuis été exclu par son syndicat. "C'est plus facile de brandir des drapeaux que d'agir de façon responsable. (...) Nous n'avons pas les moyens d'être au chômage", estimait-il dans L'Usine nouvelle, contrairement à ses camarades de la CGT-Goodyear. 

Elu local dans cette circonscription, le communiste Jean-Claude Renaux refuse néanmoins de jeter la pierre à la CGT-Goodyear : "Ce sont des représentants syndicaux qui ont été élus démocratiquement. Mickaël Wamen a sa personnalité, mais à la base, les salariés devaient être licenciés dès 2007. La CGT a réussi à leur faire gagner six ans de salaires !"

Wamen regrette-t-il aujourd'hui d'avoir bloqué la reprise du site par le groupe Titan ? Le journal Les Echos affirme que la question lui a été posée par un journaliste. Réponse de l'intéressé : "Je regrette votre question." Pour quelle raison ? "Elle est con." 

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