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Arnaques, bluff et pactole : le travail en eaux troubles des chasseurs de trésors

Une société sud-coréenne a entrepris de fouiller un navire retrouvé par plus de 400 m de fond, réveillant les espoirs des rêveurs. De tout temps, des expéditions ont tenté d'arracher des trésors à la mer, avec des fortunes diverses.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le plongeur et chercheur de trésors argentin Ruben Collado, le 29 avril 2010 dans un musée de Montevideo (Uruguay), devant une maquette du "Lord Clive", un navire anglais coulé en 1763 par les Espagnols. (DANIEL CASELLI / AFP)

Un fabuleux magot se cache-t-il sous l'océan ? La perspective de découvrir un trésor de 130 milliards de dollars a été ranimée par une société sud-coréenne, Shinil Group, qui affirme depuis la mi-juillet avoir localisé l'épave russe du Dmitri Donskoi, sabordé en 1905 lors de la guerre russo-japonaise, à plusieurs centaines de mètres de profondeur.

Pour l'heure, il ne s'agit que d'une rumeur et les observateurs sont réservés sur l'éventuelle présence de lingots à bord. "En général, les entreprises qui pensent avoir réellement trouvé le magot ne communiquent pas", glisse Michel L'Hour, directeur du département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM). Mais Shinil Group n'est pas la seule société à tenter sa chance dans les profondeurs des océans. Franceinfo s'est plongé dans le monde des chasseurs de trésors.

A qui appartient le magot ?

Parmi les spécialistes de la discipline émerge le nom de Cosmix Underwater Research, basée à Dubaï. En 2004 et 2005, cette société dirigée par le Belge Luc Heymans a notamment réalisé 22 000 plongées pour fouiller une épave du Xe siècle au large de Jakarta (Indonésie), truffée d'objets précieux, avec l'accord des autorités. Articles en cristal de roche, verrerie de Perse, perles, bronze, or, porcelaines… Le trésor avait été évalué à 60 millions d'euros.

Le groupe américain Odyssey Marine Exploration, lui, revendique la découverte de plusieurs épaves, dont celles du HMS Victory, un trois-mâts britannique coulé en 1744, et du SS Republic, un bateau à aubes américain englouti lors d'un ouragan en 1865. En 2010, le ministère des Transports du Royaume-Uni lui a accordé un contrat de récupération exclusif pour la cargaison du SS Gairsoppa, un cargo britannique de 125 mètres torpillé au large de la Floride en 1941. Jackpot assuré. A ce jour, plus de 110 tonnes d'argent ont été extraites du navire et la société a pu conserver 80% des lingots.

Une image prise en juillet 2012 et ensuite diffusée par Odyssey Marine Exploration présente des lingots d'argent à bord du SS Gairsoppa, un cargo britannique qui a coulé en février 1941 au large de la Floride. (HO / ODYSSEY MARINE EXPLORATION / AFP)

Mais la situation tourne parfois au vinaigre. En 2007, Odyssey Marine Exploration annonce avoir découvert l'épave du Nuestra Señora de las Mercedes, une frégate espagnole coulée en 1804 au large du Portugal. Quinze tonnes de pièces d'argent, des pièces d'or, des objets divers… Seul hic : l'Espagne compte récupérer le trésor car les navires militaires appartiennent à leur pays d'origine. "Le droit du pavillon s'exerce. Cela signifie que l'Etat garde la propriété sur les navires", explique Michel L'Hour. La justice américaine a donné raison à Madrid, qui a obtenu un pactole de 500 000 pièces d'argent évalué à 350 millions d'euros.

Trois millions d'épaves inexplorées

Mais certains ne prennent pas la peine de respecter la loi et le pillage atteint des proportions inquiétantes. Seules 5% des épaves anciennes connues le long des côtes françaises restent inviolées et toutes les épaves connues au large des côtes turques ont été pillées avant 1974. Malgré tout, l'Unesco estime (PDF) que 3 millions d'épaves n'ont pas encore été découvertes au fond des océans.

En vertu de la convention sur le patrimoine culturel subaquatique de 2001, les pays signataires s'engagent à contrôler l'activité de leurs ressortissants dans les épaves historiques, âgées d'au moins 100 ans. La France est encore plus stricte. "On considère que même des navires perdus dans les années 1950 ou 1960 sont historiques, explique Michel L'Hour. On interdirait par exemple le ferraillage du Ravenel", un chalutier disparu en 1962 au large de Saint-Pierre-et-Miquelon avec quinze hommes à bord, qui n'a jamais été localisé.

Des pièces découvertes à bord du Nuestra Señora de las Mercedes sont présentées par le ministère de la Culture espagnol, le 27 février 2012. (SPANISH MINISTRY OF CULTURE / AFP)

Les projets illégaux sont souvent menés au large de pays insuffisamment organisés pour répondre à la menace.

Des recherches peuvent être réalisées sous un autre prétexte, comme de prétendues études en vue d'installer un club de vacances.

Michel L'Hour, membre du conseil scientifique de la convention Unesco

à franceinfo

"On joue du magnétomètre et du sonar en Inde, à Madagascar ou au Mozambique... Là où il manque d'archéologues et de gardes-côtes." Là, également, où la corruption des autorités permet de s'en tirer avec quelques billets. "Ces chasses au trésor me font penser à l'expérience des collectionneurs nantis du XIXe siècle. C'est une autre forme de colonisation."

Des recherches qui peuvent durer des années

Le travail d'exploration débute avec des chercheurs qui travaillent pour le secteur privé, en marge des institutions publiques. "Les Européens et les Français sont bons... On trouve des Sud-Africains, des Américains, des Australiens et de plus en plus de Chinois." Ces passionnés mettent parfois des années à constituer un dossier d'archives. Car il ne suffit pas de savoir en quelle année a été perdu un navire. Il faut encore déterminer si l'épave a été découverte entre-temps. Si la cargaison est susceptible d'avoir été fouillée, pas la peine de monter une opération mercantile.

Une société comme Odyssey Marine Exploration assure elle-même la recherche, mais plusieurs entreprises privées proposent des services off-shore dans les grands projets, comme le Canadien Nuytco Research – et ses réputés sous-marins DeepWater –, Sub Sea Research ou The Woods Hole Oceanographic Institution, qui a par exemple travaillé sur l'épave du San José, un galion espagnol disparu en 1708 avec une cargaison d'or et d'émeraudes. Leur travail consiste à localiser et à explorer l'épave à l'aide de petits submersibles avant d'en remonter le contenu. Ces appareils peuvent disposer de paniers pour transporter des objets. Si la cargaison est trop volumineuse, les équipes peuvent recourir à des parachutes de levage.

Les difficultés se poursuivent à l'air libre, en raison de l'oxydation. Là encore, des experts doivent entrer en jeu pour le traitement de désalinisation. "Il faut traiter à l'électricité tout ce que vous remontez, explique l'historien Gérard Piouffre, spécialisé dans la marine. Les parties métalliques et en bois se chargent en chlorure, qui se transforme en cristaux de sel à l'air libre. Le volume initial augmente alors." En 1840, lors d'une vente aux enchères d'objets tirés de l'épave du Mary Rose, les boulets de canon ne pesaient plus que 19 livres, contre 32 lors de leur découverte ! Une chance, tout de même : l'or est inaltérable.

"Personne n'a fait fortune"

Cette chasse au trésor est-elle rentable ? "Je connais plusieurs chercheurs de trésors, j'éviterai de vous donner leur nom. Personne n'a fait fortune, mais ils en vivent correctement, poursuit Gérard Piouffre. Leurs revenus viennent par exemple de la porcelaine trouvée dans des vaisseaux de la Compagnie des Indes. En général, ils s'entendent avec les pays et négocient la moitié ou un tiers du butin."

C'est notamment le cas du plongeur argentin Ruben Collado. En 1993, le trésor du navire portugais Nuestra Señora de la Luz a été vendu à New York pour environ 3 millions de dollars, dont la moitié reversée à l'Etat uruguayen. Mais sa plus grande trouvaille est peut-être le Lord Clive, un navire anglais coulé par les Espagnols en 1763. Il a négocié avec le gouvernement urugayen d'obtenir la moitié du butin, estimé à 100 000 pièces d'or. Danilo Astori, ministre de l'Economie et des Finances, a d'ailleurs classé le sauvetage "d'intérêt ministériel" en septembre 2016.

David Mearns, lui, a découvert 24 épaves majeures dans sa carrière. Géologue de formation, il a débuté dans l'US Navy, où il a reçu pour mission de localiser le Lucona, qui avait coulé en 1977, entraînant la mort de six personnes. Son travail a permis de montrer que l'accident était une fraude à l'assurance. Sa dernière trouvaille ? Le plus vieil astrolabe nautique connu, découvert au large d'Oman en 2014 dans une épave de la seconde expédition de Vasco de Gama, en 1502 ou 1503. Le navire Esmeralda a été fouillé en collaboration avec le ministère de la Culture local et l'artefact a été identifié trois ans plus tard par une équipe universitaire.

Une image de l'astrolabe découvert à bord d'un navire espagnol du début du XVIe siècle au large d'Oman. L'objet a été identifié en 2017 par une équipe universitaire. (DAVID L. MEARNS / BLUE WATER RECOVERIES / AFP)

De l'or changé en plomb

Mais les désillusions sont tout aussi fréquentes. Michel L'Hour se souvient du cas d'un navire coulé pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu'il rapatriait des blessés. Des chercheurs de trésors étaient convaincus de mettre la main sur des bijoux à bord. "Les robots ont découpé l'épave, mais une fois à l'intérieur, ils ont simplement découvert des pansements", sourit l'expert.

Gare aussi à l'esbroufe. En 2015, quand l'explorateur américain Barry Clifford annonce avoir retrouvé le butin du capitaine Kidd, un célèbre pirate, dans les eaux de Madagascar, Michel L'Hour tique. Sur place, il rencontre dans son bureau le chef de l'Etat, qui détient une barre d'argent de 50 kg. "J'ai passé la main sur le lingot pendant vingt secondes. Cela m'a suffi pour être convaincu qu'il s'agissait de plomb." Ce verdict décevant a ensuite été confirmé par deux analyses. Barry Clifford est coutumier du fait, puisqu'il avait déjà revendiqué à tort la découverte de la Santa Maria, mythique navire de l'expédition de Christophe Colomb.

Des soldats surveillent une prétendue barre d'argent de 50 kg, dont la découverte est revendiquée par l'explorateur Barry Clifford, le 7 mai 2015, sur l'île Sainte-Marie (Madagascar). (MANJAKAHERY TSIRESENA / AFP)

Certaines histoires sont encore plus rocambolesques. En 1980, l'homme d'affaires Ryōichi Sasakawa monte une expédition pour récupérer la cargaison de l'Amiral Nakhimov, un cuirassé russe coulé lors de la bataille de Tsushima, en 1905. Le businessman japonais va même publier des images de lingots d'or et de platine, accompagnés de pierres précieuses, pour un montant total estimé à 3,8 milliards de dollars. Magnanime, il propose de restituer le trésor à l'URSS contre la rétrocession des îles Kouriles au Japon. Manque de chance, les lingots de platine étaient en réalité faits de plomb, ce qui valut de très lourdes pertes au magnat. Comme le résume Michel L'Hour, "il y a plus d'argent à perdre qu'à gagner dans les épaves".

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