"Ce que je sais de toi", "L'arrestation", "L'enragé"... Nos coups de cœur littéraires de 2023 pour Noël
Toute sĂ©lection est forcĂ©ment subjective, et souvent très injuste. La rĂ©daction de Franceinfo Culture a fait des choix draconiens, dĂ©laissant certains titres au profit d’autres.Â
"Ce que je sais de toi" un roman "olfactif" et bouleversant d'Eric ChacourÂ
Eric Chacour signe avec Ce que je sais de toi (Ă©ditions Philippe Rey) un premier roman bouleversant et profond. C’est l’une des plus agrĂ©ables surprises de cette rentrĂ©e littĂ©raire. D’abord, le constat : difficile de croire que Ce que je sais de toi est un premier roman tant son auteur fait preuve d’une rare maĂ®trise littĂ©raire et stylistique. Au fil de la lecture Ce que je sais de toi se rĂ©vèle un roman riche, foisonnant, envoĂ»tant. Nous sommes au Caire, en Egypte, dans les annĂ©es 1980. Tarek, jeune mĂ©decin aisĂ©, fils de mĂ©decin, a une autoroute du bonheur devant lui. Tarek aime sa femme, ses proches, son prochain. Il voyait sa vie comme un long fleuve tranquille… jusqu’à sa rencontre avec Ali. Les certitudes vacillent, volent en Ă©clats. L’inattendu fait exploser la routine, amène le chaos lĂ oĂą tout est ordre et stabilitĂ©. Affrontement de deux mondes, deux univers, deux cultures, deux classes sociales.  Ce que je sais de toi est un roman d’amour et de combat, de filiation et de renoncement. Il dit un monde en perpĂ©tuel mouvement, jonchĂ© de victimes mortes ou (sur) vivantes. Addictif.Â
"Ce que je sais de toi", Eric Chacour, Ă©ditions Philippe Rey, 22 euros
"Croix de cendres" : inquisition, peste et trahisons au XIVe siècle
Grandeurs et petitesses, tolĂ©rance et sectarisme, dĂ©sintĂ©ressement et ambitions dĂ©mesurĂ©es, Croix de cendres (Ă©ditions Grasset) se lit comme un thriller Ă©pique et philosophique. Antoine SĂ©nanque signe avec ce livre une Ĺ“uvre magistrale. Son absence dans les principaux prix littĂ©raires interroge. Nous sommes au XIVe siècle. La peste ravage l'Europe. Ă€ Toulouse, deux jeunes frères dominicains sont Ă la recherche du meilleur vĂ©lin sur lequel leur prieur, Guillaume, entend laisser Ă postĂ©ritĂ© le rĂ©cit de sa vie. Ils se retrouvent tous les deux happĂ©s par les griffes de l'Inquisition. Quels sont les secrets de Guillaume ? A-t-il une rĂ©vĂ©lation dĂ©rangeante sur la peste et comment elle s'est propagĂ©e ? Avec une Ă©criture lumineuse, Antoine SĂ©nanque donne Ă voir un univers Ă©rudit. L'auteur de Que sont nos amis devenus ? crĂ©e une atmosphère qui ne va pas sans rappeler Le Nom de la rose d'Umberto Eco. Recette : aventures, fresque historique, atmosphère monacale et polar mĂ©diĂ©val. Érudit.Â
"Croix de cendres", Antoine SĂ©nanque, Ă©ditions Grasset, 22 eurosÂ
"Les conditions idéales", le puissant et attachant premier roman de Mokhtar Amoudi
Il y a de tout dans ce premier roman de Mokhtar Amoudi, Les conditions idĂ©ales (Ă©ditions Gallimard) : une Ă©criture ciselĂ©e, un humour fin, une sincĂ©ritĂ© dĂ©sarmante, des rĂ©fĂ©rences subtiles et un espoir Ă portĂ©e de main. Il est difficile d’écrire un livre sur la banlieue sans tomber sur des clichĂ©s Ă©culĂ©s, usĂ©s jusqu’au profond ennui comme le frère dealer devenu islamiste, la jeune fille studieuse qui veut s’émanciper et les parents analphabètes taiseux, dĂ©passĂ©s et attendant la mort pour aller se reposer au bled. Des clichĂ©s et des stĂ©rĂ©otypes, Ă pleines pages, Ă saturation d’écrans. Puis une voix surgit, parce que sincère et bienveillante, et le livre devient objet littĂ©raire. Mokhtar Amoudi nous emmène sur les pas de Skander, un garçon comme les autres, vers cet Ă©trange pays frontalier de Paris, le Neuf-Trois (93). Les conditions idĂ©ales, un premier roman aussi puissant qu’attachant. Mokhtar Amoudi, naissance d’une plume subtile.Â
"Les conditions idéales", Mokhtar Amoudi, éditions Gallimard, 21 euros
"La contrée obscure" ou le génocide des Cherokees par les conquistadors
David Vann est un formidable conteur, un romancier exceptionnel. Dans son nouveau livre, La contrĂ©e obscure (Ă©ditions Gallmeister), il laisse Ă©clater tout son talent avec deux narrations distinctes : une cosmogonie, rĂ©cit mythologique de la naissance de l’univers, et une chronique sanglante d’un gĂ©nocide annoncĂ©, rĂ©cit macabre d’une extermination programmĂ©e. Au cĹ“ur des deux rĂ©cits, la violence destructrice. Le personnage principal, le conquistador Hernando de Soto, gouverneur de Cuba et marquis de la Florida, est une sorte de Don Quichotte sanguinaire mĂ©galomane, assoiffĂ© d’or et de gloire. Nous sommes le 3 juin 1539, Hernando de Soto enfonce son Ă©pĂ©e dans le sol de La Florida et se proclame gouverneur officiel, adoubĂ© par le roi Charles Quint. Avec un style incisif, David Vann dĂ©crit ce choc culturel, ce fracas des armes, nĂ© de la rencontre entre des Espagnols, avides et imbus d’une supposĂ©e supĂ©rioritĂ© morale et religieuse, surarmĂ©s, et des Cherokees vaillants, rusĂ©s et dĂ©sespĂ©rĂ©s, ne disposant que d’arcs et de flèches. Grandiose.Â
"La contrée obscure", David Vann, traduit par Laura Derajinski, éditions Gallmeister, 26 euros
"Glory", ou la ferme des "animals" de NoViolet Bulawayo
C’est le roman de tous les superlatifs. La Zimbabwéenne NoViolet Bulawayo - Elizabeth Zandile Tshele pour l’état civil - revient avec un livre qui fera date. Glory (éditions Autrement) est une fable animalière, à la hauteur de La Ferme des animaux d'Orwell (1945), sur les indépendances africaines mais le propos est universel. L’écrivaine, née en 1981, situe son récit dans son pays d’origine, le Zimbabwe, même si le nom n’est jamais cité. Elle sème des indices tout au long du roman, certains plus directs que d’autres. Ironique, bienveillante, empathique, l’écriture de NoViolet Bulawayo est éblouissante, un vrai feu d’artifice. Une fois le livre entamé, il est difficile de s’arrêter. Il était une fois, peut-être pas… Sous nos yeux se déroule l’Histoire du Zimbabwe, un pays béni des dieux et violenté par ses dirigeants. Pourtant, tout a commencé d’une façon idéale...
"Glory", NoViolet Bulawayo, traduit de l'anglais par Claro, Ă©ditions Autrement, 23,90 euros
"Panorama", ou l’utopie effrayante selon Lilia Hassaine
Lilia Hassaine a dĂ©jĂ fait montre de sa force narrative il y a deux ans avec l’excellent Soleil amer (Gallimard). Elle rĂ©cidive avec Panorama (Gallimard), un roman Ă tiroirs sur le cauchemar d’une transparence poussĂ©e jusqu’à l’absurde. Ou quand l’utopie devient un enfer. Construit comme un thriller, le livre met le lecteur sous tension dès les premières pages. Le futur imaginĂ© par Lilia Hassaine est orwellien, glaçant d’hypocrisie et de violence contenue oĂą la pierre a cĂ©dĂ© la place au verre. Les maisons-vivariums, construites pour libĂ©rer la France du mal, sont offertes aux regards trop bienveillants des voisins et des passants. RĂ©sultat : la violence diminue. Au-delĂ de l’intrigue policière, l’écrivaine dĂ©peint une sociĂ©tĂ© profondĂ©ment clivĂ©e, dĂ©chirĂ©e, guidĂ©e par la peur, prompte Ă la dĂ©lation. Une sociĂ©tĂ© dĂ©shumanisĂ©e que l’espoir a dĂ©sertĂ©e. Chapitres courts, style fluide, Lilia Hassaine nous tend un miroir pas si dĂ©formant.Â
"Panorama", Lilia Hassaine, Gallimard, 20 euros
"La nourrice de Francis Bacon" de Maylis Besserie, la biographie de cette nanny qui a protégé le peintre de tous les dangers
Maylis Besserie avait racontĂ© dans son prĂ©cĂ©dent livre la vie de Samuel Beckett Ă la maison de retraite de la rue RĂ©my-Dumoncel Ă Paris. Elle s'attaque cette fois Ă un autre Irlandais, Francis Bacon, l'un des plus importants peintres du 20e siècle. Sulfureux et scandaleux. Ă€ travers Jessie Lightfoot, sa nourrice venue des Cornouailles, la vie de l'artiste est racontĂ©e. Lorsque Jessie Lightfoot arrive en 1911 dans le comtĂ© de Kildare au sud-ouest de Dublin, chez Mr Bacon, dit le Capitaine, elle ignore que sa vie va changer. Elle sera nanny, nourrice des enfants de la famille. Et elle accompagnera toute sa vie Francis Bacon. Elle Ă©tait nĂ©e en 1871 dans les Cornouailles, et rien ne la prĂ©destinait Ă rencontrer et suivre le peintre jusqu'Ă sa mort en 1951. Quand elle travaille pour Bacon, devenu peintre en vogue Ă Londres, elle ira jusqu'Ă voler Ă l'Ă©talage dans les pĂ©riodes de vaches maigres de l'artiste. RĂ©cit douloureux et rĂ©jouissant d'une relation maternelle et joyeuse. Une autre manière de regarder l'Ĺ“uvre du peintre.Â
"La nourrice de Francis Bacon", Maylis Besserie, Ă©ditions Gallimard, 221 pages. 20 euros
La nourrice de Francis Bacon, Maylis Besserie. Éditions Gallimard. 221 pages. 20 Euros
"L'arrestation" : Dan Franck affronte un Ă©pisode dramatique de sa vie Ă l'Ă©poque d'Action Directe
L'arrestation est un roman fĂ©brile, anxieux, un retour en arrière sur une blessure jamais guĂ©rie. C’est Ă la fois un roman, une autobiographie et un essai sur les annĂ©es Action Directe. Dan Franck y rouvre deux plaies de sa vie. La trahison d'un ami qui causa son arrestation et le sĂ©jour en prison qui en dĂ©coula. Les annĂ©es 80, les annĂ©es de plomb que vĂ©cut la France sont au centre de ce roman-essai. Une Ă©poque qui hante Dan Franck mais aussi la sociĂ©tĂ© française. Ces annĂ©es, fin de la comète Mai 68 fascinent autant qu'elles interrogent. Dan Franck a vĂ©cu en octobre 1984 un Ă©vĂ©nement personnel qui reflète cette tension. Il est arrĂŞtĂ© et incarcĂ©rĂ© pour complicitĂ© avec les membres d'Action Directe. C'est cet Ă©pisode douloureux qu'il raconte dans L'arrestation aux Editions Gallimard. Nous connaissions le talent d'Ă©criture de Dan Franck, et avec cette plongĂ©e autobiographique, nous dĂ©couvrons que les blessures peuvent se guĂ©rir avec les mots de l'Ă©crivain.Â
"L'arrestation", Dan Franck, Grasset, 20 euros
"L'arrestation" de Dan Franck. Édition Grasset
"Une façon d'aimer" de Dominique Barbéris : une discrète et tenace histoire d'adultère et d'amour dans les années 50
Dominique BarbĂ©ris a remportĂ© le Grand Prix de l'AcadĂ©mie française le 26 octobre pour sa prose Ă©lĂ©gante et mĂ©lancolique dans Une façon d'aimer. Ce roman transporte le lecteur de Nantes – la ville de naissance de son hĂ©roĂŻne Madeleine – Ă Douala au Cameroun oĂą elle s'embarque avec Guy, employĂ© de la SociĂ©te des bois du Cameroun, son mari fraĂ®chement rencontrĂ©. C'est aux temps des colonies, l'ennui et l'adultère guettent Madeleine. Dominique BarbĂ©ris est l'autrice d'une dizaine de livres. Ces premiers romans sont policiers mais toujours teintĂ©s de nature et d'atmosphères provinciales. Son style et son Ă©criture : l'Ă©lĂ©gance et le dĂ©pouillement. Avec dĂ©licatesse, Dominique BarbĂ©ris raconte les doutes, les craintes, les refus et le charme de la tentation. Ce n'est pas un hasard si des annĂ©es plus tard, le livre prĂ©fĂ©rĂ© de Madeleine est Therese Desqueyroux de Francois Mauriac.Â
"Une façon d'aimer", de Dominique Barbéris, Gallimard, Collection Blanche, 19,50 euros
"Sarah, Susanne et l'écrivain" d'Eric Reinhardt, ou la longue descente aux enfers d'une femme délaissée par son mari
Sarah, mère de famille et épouse en apparence comblée, confie son histoire à un écrivain qu'elle admire afin qu'il en fasse le récit. Lorsqu'elle réalise après 20 ans de mariage, que son mari est propriétaire de 75% de la demeure familiale, Sarah tente de rétablir l'égalité économique au sein de leur couple. Pour faire réagir son époux, elle décide de quitter leur foyer quelques mois. Une décision aux conséquences inattendues et bouleversantes. À partir de ce matériau, l'auteur, l'écrivain du titre, imagine un double, Susanne, une héroïne proche en tout point de Sarah, même âge, même situation familiale, même milieu social. Le dispositif romanesque de Sarah, Susanne et l'écrivain permet au destin de ces deux quadragénaires de se répondre en écho. À tel point que parfois le lecteur ne sait plus qui, de Susanne ou de Sarah, l'écrivain (avatar d'Eric Reinhardt) raconte la vie. Eric Reinhardt décrypte avec précision l'effondrement d'une femme confrontée à l'indifférence et l'égoïsme de son mari. Le poison lent de l'isolement et du déclassement. Un récit puissant, fécond et profondément féministe.
"Sarah, Susanne et l'Ă©crivain", Eric Reinhardt, Gallimard , 417 pages, 22,00 euros
"Western" de Maria Pourchet, fabuleux roman d'amour à l'ère post #MeToo
Le titre est dĂ©jĂ une promesse d'aventures. Le Western, selon Maria Pourchet, c'est cet "endroit de l'existence oĂą l'on va jouer sa vie sur une dĂ©cision, avec ou sans dĂ©sinvolture, parce qu'il n'y a plus d'autre sens Ă l'existence que l'arbitraire". Deux ans après le puissant Feu (2021), l'Ă©crivaine vosgienne livre un rĂ©cit au vitriol des relations amoureuses contemporaines et interroge le lecteur : comment aimer après #MeToo ? Qu'est-ce qui n'est plus supportable aujourd'hui ? Western (Ă©ditions Stock) est le septième roman de Maria Pourchet. Les routes d'Aurore et Alexis se croisent par hasard, dans une maison familiale Ă flanc de falaise calcaire. Pendant trois jours, ils se livrent sans pudeur. Dehors, l'orage les attend. Profonde rĂ©flexion sur la violence de notre Ă©poque et des relations amoureuses, le septième roman de l'Ă©crivaine est une bombe littĂ©raire.Â
"Western", Maria Pourchet, Ă©ditions Stock, 20,90 euros
"L’amour" : portrait sans artifices d'un couple englouti par la routine, signé François Bégaudeau
Pour son retour en librairie, l'écrivain raconte une liaison sans histoires. Cinquante années d'une vie passée à deux, de la fin des années 1960 à aujourd'hui. Récit d'une liaison banale, l'écrivain y raconte les cinquante années de vie commune des Moreau. Une existence faite de joies et de douleurs universelles. Elle est réceptionniste à l’hôtel. Il travaille dans l’entreprise de maçonnerie de son père. Tout juste sortis de l’adolescence, Jeanne et Jacques se rencontrent un été, au début des années 1970, dans une ville près de Nantes. Entre ces deux-là , pas de coup de foudre ou de passion dévorante. Un amour pas à pas. Les balades à moto ou dans la forêt d’abord. Les baisers et les nuits à l’hôtel ensuite. Dans ce très court roman (96 pages), François Bégaudeau voulait raconter l’amour “tel qu’il est vécu la plupart du temps par la plupart des gens : sans crises ni événements”. Promesse tenue. L’auteur dresse un portrait tendre et mélancolique de ce couple sans histoires. Une vie entière passée “côte à côte, en compagnie l’un de l’autre”.
"L’amour", François BĂ©gaudeau, Ă©ditions Verticales, 14,50€Â
"Les dĂ©s" d'Ahmet Altan : le sort est jetĂ©Â
Ahmet Altan dissèque avec virtuositĂ© la mĂ©canique du crime d’honneur, et dĂ©crit une sorte de fatalisme grandiose. Et puĂ©ril. L’écrivain turc explore les mĂ©andres d’une âme enfermĂ©e dans une logique tribale. Son personnage, Ziya, court après la mort, après sa mort avec dĂ©termination. Il n’a que seize ans lorsqu’il tue l’assassin de son frère aĂ®nĂ©. Il dĂ©couvre en prison le jeu de dĂ©s. Ahmet Altan nous fait dĂ©couvrir Istanbul du dĂ©but du XXe siècle, une capitale "d’un empire en dĂ©composition, au milieu d’un peuple qui avait pour condition la misère et la peur". Dans ce court roman, on voit une Turquie agonisante et une autre tardant Ă naĂ®tre. Ziya se meut dans un univers absurde, il se noie dans le jeu, attendant sans peur une fin inĂ©luctable. Au nom des siens. Les dĂ©s, un roman puissant.Â
"Les dés", Ahmet Alta, traduit du turc par Julien Laeyre de cabanes, Actes Sud, 21,80 euros
"Le Grand Secours" de Thomas B. Reverdy : 24 heures dans la vie d'un lycée de banlieue
Le nouveau roman de Thomas B. Reverdy plonge dans le quotidien d'un lycĂ©e de Seine-Saint-Denis. L'Ă©crivain, lui-mĂŞme professeur, dresse un portrait sans concession de la situation dans les quartiers de la pĂ©riphĂ©rie, et des difficultĂ©s que rencontrent les professeurs pour accomplir leur mission. Thomas B. Reverdy dĂ©ploie ce roman Ă la manière d'un dramaturge. Avec une unitĂ© de temps : l'action se dĂ©roule sur une seule journĂ©e, un lundi entre 7h30 et 17 heures. Et une unitĂ© de lieu : tout se passe autour et dans ce lycĂ©e en REP (RĂ©seau d'Ă©ducation prioritaire) de Bondy Nord. Roman sombre, mais plein de drĂ´lerie, Le Grand Secours offre aussi un espoir, dessine des Ă©claircies fugaces et transmet cette poĂ©sie singulière et puissante qui pousse dans ces quartiers relĂ©guĂ©s.Â
"Le Grand Secours", de Thomas B. Reverdy. Flammarion, 320 p., 21,50Â euros
Robert Goolrick : les Ĺ“uvres complètes d'un grand Ă©crivain amĂ©ricain Ă dĂ©couvrirÂ
Les Ă©ditions Anne Carrière, la maison qui a fait dĂ©couvrir l'Ĺ“uvre de ce romancier amĂ©ricain Ă la France, ont publiĂ© ses Ĺ“uvres complètes Ă la rentrĂ©e, en hommage Ă celui qui Ă©tait devenu un "ami". PrĂ©facĂ© par Marie de PrĂ©monville, la traductrice, ce copieux ouvrage est composĂ© de son Ĺ“uvre autofictionnelle : FĂ©roces, La chute des princes, L’Enjoliveur (nouvelles), Trois lamentations (nouvelle), et Ainsi passe la gloire du monde, son dernier livre publiĂ© en 2019, en forme de testament, dans lequel l'Ă©crivain peint dans une très belle langue, lyrique et mĂ©lancolique, le temps qui a passĂ©, la perte, mais aussi les amours et les joies qui ont traversĂ© la vie de Rooney, tout en dressant un portrait sans concession de l'AmĂ©rique de Trump. L'ouvrage comprend aussi l'Ĺ“uvre de fiction : Une femme simple et honnĂŞte, Arrive un vagabond et Après l'incendie. Une très belle occasion de dĂ©couvrir cet auteur qui rĂŞvait de finir sa vie en France, et qui s'est Ă©teint en avril 2022 des suites du covid Ă l'âge de 73 ans.Â
"Robert Goolrick, Oeuvres complètes", traduit de l'anglais (Etats-Unis) et préfacé par Marie de Prémonville, Ed. Anne Carrière, 1424 p., 29,90 €
"L'HĂ´tel des Oiseaux", grande fresque humaine et Ă©cologique de Joyce Maynard
Dans ce roman foisonnant en forme de fresque, Joyce Maynard nous transporte en AmĂ©rique centrale dans les pas d'une jeune femme marquĂ©e par plusieurs tragĂ©dies, rĂ©fugiĂ©e dans un Ă©trange hĂ´tel entourĂ© d'un jardin merveilleux. Dans une langue très visuelle, et une construction en chapitres courts offrant de multiples bifurcations sur des chemins secondaires, la romancière amĂ©ricaine fouille l'âme humaine, nous invitant Ă un voyage en terre inconnue, comme son hĂ©roĂŻne, saisie par la beautĂ© des lieux et la diversitĂ© des caractères. L'hĂ´tel des Oiseaux chante la puissance et la beautĂ© du monde, et les hasards de la vie.Â
"L’Hôtel des Oiseaux", de Joyce Maynard, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Florence Lévy-Paoloni, Philippe Rey, 528 p., 25 €, numérique 16 €.
Prix Goncourt 2023 : "Veiller sur elle" de Jean-Baptiste Andrea, un roman d'amour populaire dans l'Italie fasciste
Si parfois le Prix Goncourt est difficile à offrir, le cru 2023 est un cadeau parfait pour les fêtes de fin d'année. Très romanesque, Veiller sur elle raconte la vie d'un sculpteur dans l'Italie fasciste. Poignante histoire d'amour entre deux enfants que tout sépare, ce roman est aussi une fresque qui retrace l'histoire de l'Italie entre les deux guerres mondiales, avec la montée du fascisme et l'arrivée au pouvoir de Mussolini.
"Veiller sur elle" de Jean-Baptiste Andrea, L'Iconoclaste, 590 pages, 22,50 €
"L'enragé", de Sorj Chalandon : la violence des bagnes pour mineurs dans les années 30
Avec L'enragĂ©, Sorj Chalandon creuse le thème de la violence exercĂ©e sur les enfants dans ce nouveau roman qui fait la lumière sur les centres d'Ă©ducation surveillĂ©s, vĂ©ritables "bagnes" pour mineurs dans lesquels on enfermait les adolescents Ă partir de 12 ans. Une histoire peu connue que le journaliste et romancier raconte Ă travers le destin d'un adolescent de 13 ans. Comme Ă son habitude, c'est avec ses tripes, d'une Ă©criture Ă la fois lyrique et tranchante, que l'Ă©crivain dĂ©crit la violence, la haine de cet enfant "enragĂ©" dont il connaĂ®t intimement la souffrance, thème rĂ©current de ses romans. "Le personnage de Jules, je l'ai construit Ă partir de mes colères", confiait l'Ă©crivain Ă franceinfo Culture Ă la rentrĂ©e.Â
"L'enragé", de Sorj Chalandon, Grasset, 416 p., 22,50 €
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"Trust", un grand roman d'Hernan Diaz sur les années 30, la puissance de l'argent et la mystification de l'Amérique
Après Au loin (La CroisĂ©e), le romancier amĂ©ricain Hernan Diaz signe un second livre qui plonge dans l'AmĂ©rique des annĂ©es 20, puis des annĂ©es 30 pendant la Grande DĂ©pression, Ă travers le rĂ©cit de la vie d'un cador de la finance. Ce roman très audacieux dans sa conception interroge sur le pouvoir de l'argent et la machine capitaliste, et sur l'automystification, celle que les hommes de pouvoir cherchent Ă imposer, mais aussi plus largement celle qui a contribuĂ© Ă construire le "rĂŞve amĂ©ricain". Du grand art.Â
"Trust", d'Hernan Diaz, traduit de l'Anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, Editions de l'Olivier, 400 p., 23,50 €.
"Le Château des Rentiers", d'Agnès Desarthe, les secrets du bonheur sont chez ses ancêtres rescapés des camps de la mort
Comment vieillir, oĂą, avec qui ? Ă€ partir de cette question, Agnès Desarthe scrute le temps qui passe et se penche sur la mĂ©moire familiale, frappĂ©e par la dĂ©portation. Comme dans une balade improvisĂ©e, de son Ă©criture vive, la romancière traverse le temps et les gĂ©nĂ©rations pour aborder avec pudeur, lĂ©gèretĂ© et humour l'Histoire, la sombre, et les questions existentielles les plus intimes. Campant dĂ©libĂ©rĂ©ment son rĂ©cit et sa rĂ©flexion du cĂ´tĂ© de la vie et de la joie, elle rend un formidable hommage Ă ses ancĂŞtres, Ă ceux qui ont pĂ©ri, Ă ceux qui ont survĂ©cu, ouvrant Ă leurs descendants (et Ă nous tous) une perspective apaisĂ©e, en forme de pas de cĂ´tĂ©, sur la question de la MĂ©moire.Â
"Le Château des Rentiers", d'Agnès Desarthe, L'Olivier, 224 p., 19,50 €
"L'enfant dans le taxi" : Sylvain Prudhomme explore le thème du secret de famille et des "enfants de guerre"Â
Ce nouveau roman de Sylvain Prudhomme raconte l'histoire d'un secret de famille autour d'un enfant né pendant la guerre d'une femme allemande et d'un soldat français. Un secret exhumé par l'opiniâtreté du personnage principal, Simon, un quadragénaire en quête de vérité et d'humanité. Sylvain Prudhomme conduit son récit à la première personne, d'une écriture tendue, organique, chaque phrase nourrie à bloc, laissant peu de place au silence (le sujet du livre, justement), se passant même à l'occasion des points et des majuscules pour dire la fulgurance aveuglante d'une annonce. Cette manière de raconter souligne l'idée d'une filiation que Simon souhaite sans ruptures, et aussi l'urgence et l'absolue nécessité de cette magnifique quête humaine.
"L'enfant dans le taxi", de Sylvain Prudhomme, Editions de Minuit, 220 p., 20 €
"La Sentence", un roman qui s'attaque aux fantômes de l'Amérique et chante le pouvoir merveilleux des livres
Ă€ travers l'histoire de Tookie, une quadragĂ©naire d'origine amĂ©rindienne, Louise Erdrich ouvre des portes sur les mondes mystĂ©rieux des autochtones, autant qu'elle jette un regard acĂ©rĂ© et effarĂ© sur l'AmĂ©rique et ses noirceurs. La Sentence est aussi un hymne aux mots, aux livres et Ă la lecture. La langue est au cĹ“ur de ce roman, Ă©galement rempli d'amour, jusqu'au dĂ©bordement. Amour pour une humanitĂ© extraordinairement riche et complexe. Amour filial, et surtout, amour des livres, dont les mots hantent les allĂ©es de la librairie oĂą Tookie doit affronter ses propres fantĂ´mes, comme l'AmĂ©rique ses spectres dans la respiration empĂŞchĂ©e d'un homme noir, Ă©tranglĂ© par un policier. Ce roman profond, tentaculaire et Ă©trange au sens oĂą il Ă©veille notre curiositĂ© d'une altĂ©ritĂ©, s'achève sur la "liste totalement partiale des livres prĂ©fĂ©rĂ©s de Tookie", invitant Ă poursuivre l'aventure.Â
"La Sentence" de Louise Erdrich, traduit de l'anglais (États-Unis) par Sarah Gurcel, Albin Michel, 448 pages, 23,90 euros.
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