"Une façon d'aimer" de Dominique Barbéris : une discrète et tenace histoire d'adultère et d'amour dans les années 50

Dominique Barbéris a remporté le Grand Prix de l'Académie française le 26 octobre pour sa prose élégante et mélancolique dans "Une façon d'aimer".
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
Dominique Barberis, autrice de "Une façon d'aimer" aux Editions Gallimard (Francesca Mantovani ©Gallimard)

Avec Une façon d'aimer, Dominique Barbéris transporte le lecteur de Nantes – la ville de naissance de son héroïne Madeleine – à Douala au Cameroun où elle s'embarque avec Guy, employé de la Sociéte des bois du Cameroun, son mari fraîchement rencontré. C'est aux temps des colonies, l'ennui et l'adultère guettent Madeleine.

Dominique Barbéris est l'autrice d'une dizaine de livres. Ces premiers romans sont policiers mais toujours teintés de nature et d'atmosphères provinciales. Son style et son écriture : l'élégance et le dépouillement. Son dernier roman a été distingué par le Grand Prix de l'Académie française, le 26 octobre 2023. "Ça ne supprimera pas le doute quant à la qualité de ce que j'écris. Mais j'ai derrière moi 30 ans d'écriture, et Dieu sait si c'est une merveilleuse reconnaissance", a-t-elle déclaré en recevant cette récompense. Des mots qui reflètent avec justesse Une façon d'aimer, ce roman mélancolique et élégant.

L'histoire : Dans Une façon d'aimer résonnent de nombreuses chansons. Comme à l'époque du transistor. Nous sommes dans les années 50 et dans le roman, on écoute Guy Beart, Patachou ou Dalida. Cette bande son musicale sert de décor. Madeleine est belle comme Michèle Morgan. Le mystère entoure cette grande et mince jeune fille, aux "robes claires, d’été, à la mode (...) un imprimé fleuri dont on ne distingue pas le motif, une jupe large et froncée de type 'parachute', l'ourlet à la cheville." Elle n'est pas hautaine, elle est timide, provinciale. "L'élégance est dans le maintien" : slogan traditionnel et si conventionnel repris par Dominique Barbéris pour décrire cette jeune femme de 27 ans. Une rencontre, enfin, semble soupirer la famille, un mariage et le couple part à Douala.

Dans ce Cameroun à la violence sourde qui aspire à l'indépendance, le petit milieu des "expats" vit au rythme des soirées sur les grandes terrasses ou "de l'intérieur du jardin éclairé, on apercevait en hauteur, comme des ombres en relief, les palmes des cocotiers qui bordaient le mur du côté du trottoir." L'insouciance est partout dans ce climat, où les hommes travaillent et les femmes organisent les réceptions. Cependant Madeleine ne se sent pas à sa place. Les rumeurs de violence ne transpercent pourtant pas les hauts murs des résidences des colonisateurs. Un soir, Yves Prigent, mi-agent secret, mi-fonctionnaire au charme terrible, invite Madeleine à danser. Au rythme du mambo, sa vie va basculer. Une pente légère, mais vertigineuse.

Dans le secret de Madeleine

L'histoire de Madeleine est racontée près de 70 ans plus tard quand sa nièce rassemble les pièces disjointes du puzzle de la vie de cette discrète femme. Des photographies aux bordures cannelées, des correspondances, des coupures de journaux précieusement conservées... Le temps s'évapore et la mémoire est floue. Mais sous la plume de Dominique Barbéris, le récit entremêle avec fluidité les moments de vie de Madeleine : de l'après-guerre à Nantes – période de sa jeunesse et des tourne-disques – au Cameroun, qui se bat pour son indépendance à la fin des années 50 jusqu'à aujourd'hui. Jusqu'au dévoilement d'un secret. "Tu ne crois pas que nous avons toutes nos secrets ?", lance Sophie, la fille de Madeleine 50 ans plus tard. "Elle a failli en faire une, et une grosse (de bêtise). Tu gardes ça pour toi, bien sûr." La grosse bêtise, c'est l'adultère.

Avec délicatesse, Dominique Barbéris raconte les doutes, les craintes, les refus et le charme de la tentation. Ce n'est pas un hasard si des années plus tard, le livre préféré de Madeleine est "Therese Desqueyroux" de Francois Mauriac.

En parcourant les pages de la vie de Madeleine, on pense à Modiano pour les temps qui s'évaporent et se confondent, parfois à Duras pour les descriptions pluvieuses de ce Cameroun colonisé et les terrasses des soirées de ce monde qui vacille, où les Francais vivent si loin des populations. Dans chaque vie se cacheraient des rencontres secrètes, comme le chantait Mouloudji. "Un jour tu verras/ on se rencontrera". Chanson de 1954. On admire surtout chez Barbéris, cette volonté d'offrir à Madeleine une existence romanesque et libre en nous livrant les inavouables secrets de cette femme si réservée.

"Une façon d'aimer", de Dominique Barbéris (Gallimard, Collection Blanche, 202 p., 19,50€)

"Une façon d’aimer" de Dominique Barbéris (Collection Blanche, Gallimard). (EDITIONS GALLIMARD)

Extrait :

La marge de blanc a jauni. Les cocotiers forment une contre-allée pittoresque et majestueuse dans laquelle un vélo circule. Le cycliste (probablement noir) est vu de dos. De chaque côté aussi, probablement mais on ne les voit pas, des "cases" enfouies dans la végétation. Celles du quartier européen. Elles sont toutes sur le même modèle : blanches, avec des fenêtres à claustra, des toits en pente pour permettre l’écoulement des pluies, des galeries en bois surélevées pour protéger l’intérieur des maisons de l’intrusion d’animaux, de serpents ou d’iguanes. La terre est sombre : c’est cette poussière rouge foncé de la couleur de l’écorce d’eucalyptus, la latérite. En bas de la photo, on peut lire, d’une écriture fine difficilement déchiffrable : Douala, allée des Cocotiers, 1958.
Ma tante est prise d’assez loin ; elle a vingt-sept ans, ou vingt-huit. Elle porte une de ces robes claires, d’été, à la mode dans les années cinquante : un imprimé fleuri dont on ne distingue pas le motif, une jupe large et froncée de type "parachute", l’ourlet à la cheville. Je suppose que ce nom, "parachute", venait de la guerre encore proche. La mode s’empare de tout, même du pire. En la voyant, on se rappelle les principes de l’époque : l’élégance est dans le maintien. (Une Façon d'aimer, p 17)

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