"L’amour" : portrait sans artifices d'un couple englouti par la routine, signé François Bégaudeau

Pour son retour en librairie, l'écrivain raconte une liaison sans histoires. Cinquante années d'une vie passée à deux, de la fin des années 1960 à aujourd'hui.
Article rédigé par Juliette Pommier
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
En 2023, François Bégaudeau publie son nouveau roman "Amour". Ici, l'écrivain en 2016. (JOEL SAGET / AFP)

Un an après la sortie de son roman grinçant Ma cruauté, François Bégaudeau publie L'amour aux éditions Verticales. Récit d'une liaison banale, l'écrivain y raconte les cinquante années de vie commune des Moreau. Une existence faite de joies et de douleurs universelles.

Elle est réceptionniste à l’hôtel. Il travaille dans l’entreprise de maçonnerie de son père. Tout juste sortis de l’adolescence, Jeanne et Jacques se rencontrent un été, au début des années 1970, dans une ville près de Nantes. Entre ces deux-là, pas de coup de foudre ou de passion dévorante. Un amour pas à pas. Les balades à moto ou dans la forêt d’abord. Les baisers et les nuits à l’hôtel ensuite.

La routine, la routine et... encore la routine

Les années défilent et on s’apprivoise. Dans les petites attentions, les disputes, les habitudes que l’on se crée. On se marie, un enfant naît, on emménage dans une maison avec jardin. Et puis déjà l’an 2000. Dans la chambre de leur fils Daniel, le poster de Kasparov a cédé sa place à celui de Kurt Cobain. Encore une décennie plus tard, devenu ingénieur informatique, Daniel s’envole pour la Corée avec sa femme et leurs enfants. “On risque de ne plus voir beaucoup les petits-enfants. On les aime tellement même s’ils bouffent des saloperies et regardent des dessins animés qui cassent les oreilles.” Restent les copains, les après-midi loto et la Formule 1 à la télé.

Dans ce très court roman (96 pages), François Bégaudeau voulait raconter l’amour “tel qu’il est vécu la plupart du temps par la plupart des gens : sans crises ni événements”. Promesse tenue. L’auteur dresse un portrait tendre et mélancolique de ce couple sans histoires. Une vie entière passée “côte à côte, en compagnie l’un de l’autre”.

Classe ouvrière devenue classe moyenne

Révélé par son roman Entre les murs (2006), adapté au cinéma par Laurent Cantet et primé à Cannes, François Bégaudeau renoue ici avec les thématiques du vide et de l’ennui, déjà abordées dans Vers la douceur (2009) et Un enlèvement (2020). L’inévitable routine qui s’installe dans le quotidien des Moreau est bien souvent étouffante. Quand "Jacques énerve Jeanne à mettre des cornichons avec tout, à manger la peau du saucisson sec, à remettre un tee-shirt sale", "Jeanne énerve Jacques à répéter qu'il n'en fout pas une alors que dès qu'il aide elle l'engueule, à nager la tête hors de l'eau pour garder les cheveux secs, à sortir l'aspirateur pour une miette". Lucide sur les failles du couple, Bégaudeau ne juge toutefois jamais ses personnages.

Tableau classique d’une fin de siècle, L’amour immortalise aussi l’avènement d’une classe ouvrière devenue classe moyenne. Dans les années 1970, le foyer s’équipe en lave-vaisselle, frigidaire et télévision. Part en vacances en bord de mer, s’autorise quelques sorties, comme un concert de Richard Cocciante au Palais des sports. Chronique pudique d'une relation banale, L'amour est le dix-huitième roman de l'écrivain.

François Bégaudeau présente son nouveau roman "L’amour". (Editions Verticales)

L’amour, François Bégaudeau (éditions Verticales - 96 pages - 14,50€, parution le 17 août 2023)

Extrait : “On s’organise pour alterner les sorties personnelles. Un coup c’est Jacques qui enterre une vie de garçon, un coup c’est Jeanne qui va dîner chez Guillaume et Nathalie revenue au pays pour passer en libéral. Avec le temps, comme les amis de l’un sont les amis de l’autre, les sorties personnelles se font rares. Les sorties tout court. Les téléphones sont à touches, les bouteilles de soda en plastique, les mouchoirs en papier, les têtes d’hommes nues, les machines à coudre envolées, le papier peint suranné, les baguettes tradition, les wagons non-fumeurs, les shorts de foot longs, et Jeanne et Jacques préfèrent le plus souvent lambiner pieds nus sur la moquette qu’ils ont choisie épaisse et vert d’eau.”

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