"L'enfant dans le taxi" : Sylvain Prudhomme explore le thème du secret de famille et des "enfants de guerre" dans un roman à l'écriture organique
Dans ce nouveau roman, l'écrivain met en scène un quadragénaire se lançant dans une enquête pour lever un secret de famille autour d'un enfant né pendant la guerre, d'une femme allemande et d'un soldat français. Paru en août aux éditions de Minuit L'enfant dans le taxi est le 8e roman de l'auteur du Prix Femina 2019 pour Par les routes (Gallimard).
L'histoire : "L'enfant dans le taxi", c'est celui qui, à l'âge de 15 ans, traverse l'Allemagne puis la France, pour rencontrer son père. À l'enterrement de Malusci, son grand-père, bien des années plus tard, Simon, la quarantaine, apprend presque par inadvertance, au détour d'une conversation avec le compagnon allemand de sa tante, l'existence de cet oncle, le fils caché de son grand-père défunt.
Ce "M.", dont il n'a jamais entendu parler, aurait été conçu quelque part au bord du Lac de Constance à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette révélation, qui opère "comme une déflagration sourde qu'il sent se propager dans tout son être", pousse Simon à se lancer dans une enquête pour démêler les nœuds bien serrés de ce secret de famille.
"Et moi qui m'étais soudain retrouvé avec le bout d'un fil entre les doigts, l'extrémité d'une pelote sur laquelle j'avais aussitôt senti que je n'aurais qu'à tirer pour faire venir à moi toute l'histoire."
Sylvain Prudhomme"L'enfant dans le taxi", p. 21
Dans son livre Par les routes (L'Arbalète/Gallimard), Prix Femina 2019, Sylvain Prud'homme nous racontait l'histoire de retrouvailles. Elles étaient amicales. Avec ce nouveau roman, il fait à nouveau le récit d'un raccommodage. Familial cette fois. Derrière ce secret de famille, c'est aussi un pan de l'histoire franco-allemande que soulève le romancier, l'histoire de ces milliers d'"enfants de guerre" nés d'une Française avec un soldat allemand, ou d'une Allemande avec un soldat français, et dont presque toujours les destins furent marqués par le rejet et la honte.
"Ne pas faire de vagues"
Que s'est-il passé dans la froideur de l'hiver allemand cette année-là, avant que Malusci ne décide de tirer un trait et choisisse de vivre sa vie dans la chaleur aveuglante de l'Algérie ? C'est par une scène d'une extrême vivacité, une scène d'amour, que le romancier ouvre ce roman. Cette "scène primitive, à jamais manquante" fait resurgir par les mots la sensualité d'une naissance rayée de la carte par une famille entière.
"Scène du désir plus fort que tous les interdits, avec sa déraison, son scandale, ses effets pendant des décennies ensuite."
Sylvain Prudhomme"L'enfant dans le taxi" p. 13
Bravant les interdits, et notamment celui d'd'Imma, la grand-mère, la femme de Malusci, Simon se lance dans cette enquête comme dans une aventure, presque un jeu auquel il associe ses deux jeunes enfants. Il voyage, il cherche, il creuse, il interroge, emprunte de fausses pistes, recadre... À force, il lève peu à peu le voile sur cette histoire que certains sont soulagés et heureux de pouvoir enfin exhumer sans la crainte de "faire des vagues".
Avec ce travail d'enquêteur, d'historien, Simon finit par réhabiliter l'absent, le faisant passer du statut de fantôme caché sous une initiale à celui d'être de chair et de sang. Sa quête, le temps qu'il y consacre et les bribes qui surgissent ici et là au fil de ses recherches et qu'il retisse... Tout cela réinscrit l'oncle relégué à une place d'indésirable dans une généalogie familiale dont il avait tout bonnement été gommé.
Chaînon manquant
À travers cette quête, c'est aussi sa propre vie que cherche à recoudre Simon, fraîchement divorcé et père de deux garçons qu'il voit désormais par intermittence. C'est donc à lui-même, et à toute sa famille, mais aussi à tous les enfants nés pendant la guerre de parents "ennemis", que Simon fait le cadeau de ce chaînon manquant.
En remontant le fil de l'histoire, à rebours à travers l'enquête de Simon, l'écrivain décortique les mécanismes qui se mettent en place, année après année, couche après couche, pour transformer l'existence d'un enfant en secret de famille.
Sylvain Prudhomme conduit son récit à la première personne, d'une écriture tendue, organique, chaque phrase nourrie à bloc, laissant peu de place au silence (le sujet du livre, justement), se passant même à l'occasion des points et des majuscules pour dire la fulgurance aveuglante d'une annonce. Cette manière de raconter souligne l'idée d'une filiation que Simon souhaite sans ruptures, et aussi l'urgence et l'absolue nécessité de cette magnifique quête humaine. Un beau roman à ne pas rater de cette rentrée littéraire d'automne.
"L'enfant dans le taxi", de Sylvain Prudhomme (Editions de Minuit, 220 p., 20 €)
Extrait :
"Je veux vivre le présent Simon tu comprends.
La mère et son goût des murs blancs, des grands bacs de douche, des baies vitrées. La mère et son aspirateur sans fil. La mère et sa débroussailleuse, parée chaque printemps à monter à l'assaut du talus pour le ratiboiser, pantalon et haut instantanément repeints en vert chlorophylle, lunettes pailletées de brins d'herbe d'échiquetés, exaltée, heureuse, exultant de régler quel différend avec le monde, de passer sur les fourrés quel inépuisable besoin d'araser. La mère qui n'avait jamais voulu voir M. jamais voulu entendre parler de M., jamais voulu se demander si son refus de le rencontrer était légitime ou non, simplement que c'était ainsi, cela lui coûtait trop de repenser à tout ça, elle ne voulait repenser à rien et pourquoi aurait-il fallu qu'elle se force. La mère dont l'inclination, en tout, toujours, consistait à faire place nette. Des ronces. Des vieux objets. Des blessures. Des souvenirs." ("L'enfant dans le taxi", p. 88)
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