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RĂ©cit Coupe du monde de football : le dĂ©but d'une aventure Ă  l’autre bout du monde aprĂšs six mois mouvementĂ©s sur la planĂšte Bleues

Article rédigé par Gabriel Joly, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Hervé Renard félicite ses joueuses, lors de la rencontre amicale face au Canada, au Mans le 11 avril 2023. (FRANCK FIFE / AFP)
Le coup d'envoi du Mondial 2023 est donné en Nouvelle-Zélande et en Australie, jeudi. Pour l'équipe de France, qui joue dimanche contre la Jamaïque, c'est l'amorce d'un tournoi attendu aprÚs une longue période orageuse.

Un premier saut dans l'inconnu. ArrivĂ©es le 15 juillet Ă  Sydney oĂč elles ont Ă©tabli leur camp de base, les Bleues vont observer derriĂšre leur tĂ©lĂ©vision les premiers pas des co-hĂŽtes nĂ©o-zĂ©landaises (contre la NorvĂšge) et australiennes (face Ă  l'Irlande) dans leur Coupe du monde, jeudi 20 juillet, avec en ligne de mire, leur propre entrĂ©e en lice face Ă  la JamaĂŻque dimanche 23 juillet. Une nouvelle aventure qui vient ponctuer plusieurs mois mouvementĂ©s. 

Pour mener cette expédition océanienne, le sélectionneur Hervé Renard n'est pas forcément celui qui était attendu. Car au sortir de l'Euro 2022, l'avenir de Corinne Diacre semblait scellé. Pour la premiÚre fois depuis dix ans, l'ex-internationale, pourtant décriée pour ses pratiques managériales, venait de mener un groupe tricolore jusqu'au dernier carré d'une grande compétition. De quoi lui garantir une prolongation jusqu'aux Jeux olympiques de Paris 2024, auxquels elle ne participera pas.

Un climat pestilentiel de longue date

Depuis sa prise de fonction en 2017, les relations entre Corinne Diacre et son vestiaire ont rarement Ă©tĂ© de tout repos. Les sĂ©quelles post-Mondial 2019 Ă  domicile, qualifiĂ© d'"Ă©chec sportif" aprĂšs l'Ă©limination contre les AmĂ©ricaines au stade des quarts de finale (2-1) ont marquĂ© un tournant. MĂȘme s'il a fallu attendre pour que les langues se dĂ©lient timidement. "Je vais ĂȘtre honnĂȘte, c'est une cicatrice qui n'est toujours pas refermĂ©e, cette Coupe du monde", lĂąchait ainsi la gardienne Sarah Bouhhadi, annonçant faire une pause avec la sĂ©lection, fin juillet 2020.

C'est finalement Amandine Henry, qui crĂšve l'abcĂšs pour de bon lors d'une interview diffusĂ©e le 15 novembre 2020 par Canal+. Mise au courant de sa non-sĂ©lection lors du prĂ©cĂ©dent rassemblement par un appel de "14 ou 15 secondes" de la sĂ©lectionneuse, sans qu'aucune raison sportive ne lui soit donnĂ©e, la milieu de l'Olympique lyonnais rĂ©vĂšle s'ĂȘtre entretenue plus tĂŽt avec NoĂ«l Le GraĂ«t, encore prĂ©sident de la FFF, au sujet des "retours pesants et nĂ©gatifs" de ses coĂ©quipiĂšres lors de la Coupe du monde 2019.

"Humainement, je voyais des filles pleurer dans leur chambre. Moi, personnellement il m'est arrivé de pleurer dans ma chambre car j'avais envie de vivre cette Coupe du monde, mais ça a été un chaos total".

Amandine Henry, ex-capitaine des Bleues

Ă  Canal+

Rappelée dans la foulée, elle ne remettra ensuite plus les pieds en sélection du mandat de Corinne Diacre. En dépit de la présence de nombreuses Lyonnaises au sein de l'effectif national, aucune fronde ne se déclenche alors. Presque surprenant au vu de la situation.

Kadidiatou Diani et Marie-Antoinette Katoto apportant leur soutien à Aminata Diallo lors d'une célébration de but aprÚs l'agression de Kheira Hamraoui, le 22 février 2022. (FRANCK FIFE / AFP)

Le climat chez les Bleues se dégrade de nouveau lorsque l'ancienne coach de Clermont sélectionne la joueuse du PSG Kheira Hamraoui en février 2022. Prise dans un guet-apens et frappée à coups de barre de fer quatre mois, la milieu voit, depuis le banc de touche, ses coéquipiÚres en club, Kadidiatou Diani et Marie-Antoinette Katoto, célébrer un but contre les Pays-Bas en formant un "A" avec leurs doigts. Une maniÚre de protester contre le choix de Corinne Diacre en apportant leur soutien à une autre Parisienne, Aminata Diallo, soupçonnée d'avoir commandité l'agression et absente de la sélection.

L'Ă©tincelle Wendie Renard

Tous ces incidents passĂ©s auraient pu faire Ă©clater une crise bien plus tĂŽt au sein de l'Ă©quipe de France. C'est finalement la capitaine Wendie Renard, Ă  qui Corinne Diacre avait initialement retirĂ© le brassard lors de son arrivĂ©e, qui met le feu aux poudres. "Ce type de match, ce n'est pas possible. Ça doit alerter", peste la dĂ©fenseure Ă  l'issue de deux dĂ©faites inquiĂ©tantes contre l'Allemagne et la SuĂšde Ă  l'automne 2022. AprĂšs de nouvelles prestations poussives au Tournoi de France, l'influente Lyonnaise annonce se mettre en retrait de la sĂ©lection, le 24 fĂ©vrier. 

"Je ne peux plus cautionner le systĂšme actuel bien loin des exigences requises par le plus haut niveau. C’est un jour triste mais nĂ©cessaire pour prĂ©server ma santĂ© mentale", Ă©crit-elle sur ses rĂ©seaux sociaux. Elle est bientĂŽt rejointe par plusieurs de ses partenaires Ă  cinq mois du Mondial, dont l'attaquante titulaire Marie-Antoinette Katoto, mais aussi Kadidiatou Diani, qui avait prĂ©fĂ©rĂ© "s'abstenir de tout commentaire pour Ă©viter d'ĂȘtre vulgaire" quelques jours plus tĂŽt alors que l'AFP lui demandait de commenter un Ă©niĂšme retour de Kheira Hamraoui.

"La capitaine est intervenue en rĂ©alisant qu'on ne pouvait pas gagner une grande compĂ©tition dans ces conditions", analyse aprĂšs-coup Patrice Lair, l'entraĂźneur des Bordelaises, regrettant tout de mĂȘme qu'aucune joueuse n'ait "suivi Amandine Henry deux ans et demi plus tĂŽt". Outre la dĂ©nonciation d'un "systĂšme", cette prise de position est l'occasion de mettre la pression sur Corinne Diacre au moment oĂč son principal alliĂ©, NoĂ«l Le GraĂ«t, apparaĂźt fragilisĂ© au sein de la FĂ©dĂ©ration.

Corinne Diacre et Noël Le Graët à Clairefontaine, le 4 juin 2019. (FRANCK FIFE / AFP)

"C'est une histoire de bon timing. Non seulement NoĂ«l Le GraĂ«t Ă©tait mis en difficultĂ© du cĂŽtĂ© de la FFF. Mais en plus, le seul Ă  mĂȘme de reprĂ©senter le football fĂ©minin français, Jean-Michel Aulas, s'apprĂȘtait Ă  quitter l'OL. Corinne Diacre ne correspondait pas au nouveau dĂ©corum qui allait s'installer", rĂ©sume Hubert Artus, historien du foot fĂ©minin et auteur du livre Girl Power : 150 ans de football au fĂ©minin.

"Avec un peu de recul, on peut dire que Wendie Renard l'a jouĂ©e Ă  la suĂ©doise poursuit-il en poussant l'analyse. Dans les pays latins comme la France, le fĂ©minisme s'affirme davantage sur la revendication de libertĂ©s liĂ©es au corps et Ă  la sexualitĂ©. Mais dans les pays scandinaves, il consiste plutĂŽt Ă  intĂ©grer la tĂȘte des institutions et Ă  y prendre le pouvoir. En menaçant de ne pas jouer, c'est exactement ce qu'a fait Wendie Renard. C'est assez fin stratĂ©giquement car elle a fini par frapper lĂ  oĂč cela faisait le plus mal, en visant la sĂ©lectionneuse."

Hervé Renard pour faire revivre le vestiaire

L'onde de choc fait rapidement son effet. Si un communiquĂ© de la FFF rappelle "qu'aucune individualitĂ© n'est au-dessus de l'institution Ă©quipe de France", Corinne Diacre est remerciĂ©e le 9 mars "au regard du conflit largement mĂ©diatisĂ© l'opposant Ă  des joueuses". PropulsĂ© Ă  la prĂ©sidence par intĂ©rim de la 3F, Philippe Diallo – aidĂ© d'Aline Riera et de Jean-Michel Aulas en sa qualitĂ© de patron de la commission du foot fĂ©minin – doit rapidement trouver l'identitĂ© de son successeur.

C'est alors que HervĂ© Renard, pourtant sans expĂ©rience avec une Ă©quipe fĂ©minine, contacte "JMA". "Je crois savoir qu'il n'y a pas cru au dĂ©but, jusqu'Ă  ce que je lui confirme mon intĂ©rĂȘt de vive voix, dĂ©taillera plus tard le tacticien dans un entretien Ă  L'Equipe magazine. C'est moi qui ai fait passer le message que j'Ă©tais postulant. MĂȘme si personne n'avait pensĂ© Ă  moi, j'espĂ©rais qu'il y ait un Ă©cho favorable."

HervĂ© Renard Ă  la tĂȘte de l'Arabie saoudite contre la Pologne lors de la Coupe du monde masculine au Qatar, le 26 novembre 2022. (KHALED DESOUKI / AFP)

Une fois arrachĂ© Ă  la sĂ©lection saoudienne, Ă  la tĂȘte de laquelle il a fait chuter l'Argentine au Qatar, le Cannois d'adoption est intronisĂ© Ă  la tĂȘte des Bleues, Ă  l'occasion d'une confĂ©rence de presse, le 31 mars. "Il va falloir crĂ©er un groupe uni. On est ensemble, on n’est pas divisĂ©, martĂšle alors l'homme aux chemises blanches repassĂ©es au cordeau. Le staff et moi sommes trĂšs motivĂ©s. On peut rĂ©ussir de grandes choses si on est uni, qu’on a un Ă©tat d’esprit remarquable. C’est ce sur quoi je vais m’attacher." 

Mais pas seulement, comme il l'a lui-mĂȘme dĂ©clarĂ© Ă  L'Equipe magazine en se dĂ©signant comme "une sorte de VRP pour le football fĂ©minin", HervĂ© Renard est Ă©galement venu pour donner une image neuve Ă  cette Ă©quipe de France.

"HervĂ© Renard est un bon communicant. Pour le moment, les signaux sont bons. Il coche toutes les bonnes cases, notamment celle d'ĂȘtre plus ouvert avec la presse que ne l'Ă©tait sa prĂ©dĂ©cesseure."

Hubert Artus, écrivain et historien du football féminin

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De la parole aux actes dÚs le premier rassemblement d'avril, durant lequel l'attention est portée aux moindres détails. D'une part, le double vainqueur de la Coupe d'Afrique des nations permet à Amel Majri d'amener son bébé, Maryam, à Clairefontaine. De quoi attendrir et souder le groupe autour de sa mascotte. D'autre part, il rappelle des joueuses écartées de longue date, tandis qu'Amandine Henry, indisponible, est annoncée de nouveau éligible.

Eugénie Le Sommer et Hervé Renard aprÚs l'égalisation de la Lyonnaise à 2-2 contre la Colombie, le 7 avril 2023. (FRANCK FIFE / AFP)

Cette nouvelle ambiance paie sur le terrain. Pour sa premiĂšre sur le banc, HervĂ© Renard voit ses filles, un temps dĂ©sarçonnĂ©es, revenir de 0-2 Ă  5-2 face Ă  la Colombie, grĂące notamment Ă  un doublĂ© de la revenante EugĂ©nie Le Sommer. "C'est lui qui m'a fait revenir, je me devais de lui renvoyer la balle. C'Ă©tait un petit geste pour lui dire merci", commente la meilleure buteuse de l'histoire de la sĂ©lection, aprĂšs avoir fĂȘtĂ© son Ă©galisation avec le nouveau tacticien.

Une nouvelle victoire de prestige face aux Canadiennes championnes olympiques en titre (2-1), la passe de trois réalisée en Irlande (0-3) et voilà le capital confiance des Bleues regonflé, nonobstant la courte défaite contre l'Australie à Melbourne (1-0), vendredi, pour clore la préparation.

Une cascade de blessures plonge les Bleues dans le flou

Un bilan suffisant pour viser le titre mondial ? C'est moins évident au vu des absences majeures à chaque ligne. Si Kadidiatou Diani s'est remise à temps de sa fracture de la clavicule, Delphine Cascarino et Amandine Henry sont venues s'ajouter au dernier moment aux forfaits de longue date de la défenseure Griedge Mbock et de la buteuse Marie-Antoinette Katoto.

Victime d'une entorse de la cheville contre l'Australie (0-1), la polyvalente Selma Bacha, qui partait avec une étiquette de cadre du haut de ses 22 ans, a été conservée dans le groupe et conserve un espoir de faire son retour en cours de compétition.

"Il va nous manquer beaucoup de nos top joueuses. Mais je pense qu'Hervé Renard a néanmoins un don pour sublimer les équipes. Il est toujours parvenu à galvaniser ses groupes chez les garçons. Il a la possibilité de compenser sur autre chose".

Patrice Lair, entraĂźneur des Girondines de Bordeaux

Ă  franceinfo: sport

"Il ne faut pas oublier que la fédération a implicitement un double objectif, tempÚre également l'écrivain Hubert Artus. Bien figurer à la Coupe du monde est important mais pas essentiel. Ce qui est capital, c'est de gagner les JO ou a minima, de faire une médaille."

Reste que l'objectif annoncé pour cet été est celui d'atteindre les demi-finales. L'équipe de France serait donc bien inspirée de briller et d'acter définitivement son rebond au pays des kangourous avant de se projeter sur Paris 2024. Cela passe avant tout par une entame de Mondial bien négociée, avec un plan de bataille largement remanié.

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