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Droits humains, environnement, audiences... Le Qatar a-t-il réussi sa Coupe du monde ?

Article rédigé par Raphaël Godet, Pierre Godon - Envoyés spéciaux au Qatar
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
L'émir du Qatar, Tamim Ben Hamad Al-Thani, remet de meilleur joueur de la Coupe du monde à l'Argentin Lionel Messi, le 18 décembre 2022, à Doha. (FRANCK FIFE / AFP)
Après un mois de compétition, il est l'heure de tirer le bilan du Mondial de l'émirat gazier.

Quatre semaines de compétition, douze ans de préparation depuis l'attribution au congrès de la Fifa en 2010, 64 matchs, des buts légendaires, des matchs qui resteront dans les mémoires dont cette finale incroyable entre l'Argentine et la France... C'est le moment de tirer le bilan de cette édition 2022 pour le Qatar, lundi 19 décembre, au lendemain de son épilogue, avec le sacre de Lionel Messi et de l'Albiceleste. En choisissant cinq axes où l'émirat était particulièrement attendu, après les polémiques à répétition de ces derniers mois.

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Du point de vue sportif : non

Battu par l'Equateur lors du match d'ouverture, puis par le Sénégal (3-1), et enfin par les Pays-Bas (2-0), le Qatar a réalisé le pire bilan d'un pays hôte dans toute l'histoire de la Coupe du monde. Pas le moindre point pris, un seul but marqué et sept encaissés. Avant lui, l'Afrique du Sud avait aussi échoué à rallier les huitièmes chez elle en 2010. Mais les Bafana Bafana avaient au moins pris quatre points. "On ne peut pas comparer la Coupe du monde à la Coupe d'Asie, a reconnu le désormais ex-sélectionneur qatari, Felix Sanchez Bas, après l'élimination des "Bordeaux" en poules. Nous sommes venus au Mondial en essayant de jouer à notre meilleur niveau. Nous voulions être compétitifs et nous y sommes parvenus par moments." 

Cinquantièmes au classement Fifa, les locaux présentaient avant le début du tournoi l'un des pires bilans des 32 équipes qualifiées. Seuls le Ghana (61e) et l'Arabie Saoudite (51e) possédaient un classement inférieur. Mais il n'y a pas que le niveau de jeu du Qatar qui a fait parler. Le comportement de certains de ses supporters a aussi été largement commenté. Souvenez-vous : lors du match d'ouverture contre l'Equateur, une partie de son public a quitté le stade Al Bayt dès l'heure de jeu

Du point de vue de l'organisation : oui

Oubliez les batailles rangées de supporters ou même les canettes qui volent. Au Qatar, pas une oreille n'a dépassé. Autour des stades ou des fan zones, il n'y avait pas un centimètre sans un policier, sans un gendarme ou sans un agent de sécurité. Au total, plusieurs dizaines de milliers de personnes, plus ou moins discrètes, étaient mobilisées. "En calculant le ratio entre le nombre de fans et le nombre de policiers, vous arrivez à un chiffre jamais vu dans l'histoire de la Coupe du monde", estime Andreas Krieg, spécialiste des pays du Golfe et enseignant-chercheur au King's College de Londres.

"Des brigades de police ont été créées spécialement pour ce tournoi. C'est probablement la Coupe du monde la plus sécurisée de l'histoire."

Andreas Krieg, spécialiste des pays du Golfe

à franceinfo

Afin de garantir la sécurité de l'événement et des visiteurs, des accords avaient d'ailleurs été signés entre l'émirat et de nombreux pays. La France a ainsi dépêché 220 gendarmes sur place. Aussi, pour la première fois, un centre international de services consulaires a été mis en place pour les visiteurs. Une quarantaine d'ambassades, dont celle de la France, y ont tenu une permanence en cas d'incidents, vols, bagarres ou agressions. "Très franchement, à part des histoires de passeports perdus, c'est très, très calme. Il ne s'y passe absolument rien", confiait une source française sur place.

Du point de vue environnemental : non

Entre les stades climatisés et les vols quotidiens pour s'y rendre, l'impact environnemental colossal ne permettra pas à la première Coupe du monde en terre arabo-musulmane de briller. Les émissions de gaz à effet de serre s'élèvent à 3,6 millions de tonnes équivalent CO2, selon une estimation livrée par la Fifa elle-même. Ce chiffre, qui demeure très contesté par les ONG, permet au moins de comparer les éditions puisque la fédération internationale de foot établit un bilan depuis 2014. L'estimation de 2022 est ainsi nettement plus élevée que celle des éditions précédentes : +70% par rapport au Mondial en Russie il y a quatre ans, par exemple.

Dans le détail, les transports sont à l'origine de plus de la moitié des gaz à effet de serre émis, dont 90% sont imputables au seul transport aérien international. Incapable de loger le million de supporters attendu sur son sol, l'émirat a en effet faire de la place dans le ciel en mettant en place un pont aérien avec ses voisins du Golfe : 60 rotations quotidiennes pour Dubaï, 48 pour Muscat (dans le sultanat d'Oman), 40 pour Ryad (Arabie saoudite), 20 pour le Koweït. Pour cela, le pays a même dû rouvrir son ancien aéroport. Situé à 10 km du nouveau, il ne servait depuis 2014 qu'à faire décoller l'émir et sa famille, les personnalités ou les appareils de l'armée de l'air.

Après les transports, l'accueil et le logement des personnes arrivant pour la compétition constituent le deuxième poste d'émissions et les constructions permanentes le troisième.

Du point de vue des droits humains : non

S'il s'est targué d'avoir accepté plusieurs avancées en matière de droits humains avant le début de la compétition sous l'impulsion notamment de l'Organisation internationale du travail et de la pression de nombreuses ONG, le Qatar n'a pas cédé un pouce de terrain pendant la durée de la Coupe du monde. Le fameux fonds d'indemnisation aux familles des travailleurs décédés n'a jamais vu le jour, malgré la pression de nombreuses fédérations, dont la FFF. 

Pendant la compétition, le comité d'organisation a finalement reconnu un nombre de travailleurs morts autour des chantiers liés à la compétition dix fois supérieur à ce que l'émirat avait initialement concédé (plus de 400 contre 37 au départ). Son patron, Nasser Al-Khater, s'est même fendu d'un commentaire particulièrement maladroit après le décès d'un électricien philippin pendant la compétition : "La mort fait aussi partie de la vie." Avant que son collègue en charge de l'héritage de cette Coupe du monde, Hassan Al-Thawadi, ne rectifie le tir quelques jours plus tard sur Sky Sports : "Chaque décès est un décès de trop."

Il n'empêche. Les travailleurs migrants craignent que les belles promesses deviennent lettre morte une fois les journalistes du monde entier repartis. Moses, rencontré par franceinfo, a déjà subi une baisse arbitraire de 10% de son salaire en décembre. Pour l'ONG FairSquare, "le Qatar représente un formidable modèle pour l'Arabie saoudite qui ambitionne d'organiser le tournoi en 2030". Même si la Fifa a mis en chantier une charte avec l'Organisation internationale du travail pour que les droits humains figurent au cahier des charges des prochains candidats à l'organisation du Mondial.

Du point de vue des audiences : difficile à dire

Malgré les nombreux appels au boycott et la gêne qu'ont ressentie nombre de supporters devant leur petit écran, les audiences du Mondial ont été dans la norme de ce qu'on pouvait attendre pour une équipe de France qui se hisse en finale (à quelques subtilités de calcul près). Dimanche 18 décembre dans la soirée, il y a eu 24,08 millions de téléspectateurs devant la finale, confirmant le côté rouleau compresseur des Bleus dans une grande compétition, après les 20,7 millions enregistrés lors de France-Maroc en demi-finale et les presque 18 millions devant France-Angleterre en quarts. Un "record historique d'audience" pour la télévision française, s'est félicité TF1, citant les chiffres de Médiamétrie. 

La situation est contrastée selon les pays. En Norvège, épicentre des appels au boycott, le Mondial a logiquement vu ses audiences fondre de plus de moitié. Situation contraire en Allemagne : si Manuel Neuer et ses ouailles se sont bâillonnés la bouche avant leur premier match, les téléspectateurs, eux, ont boudé le petit écran, avec des audiences divisées par deux par rapport à l'édition précédente. En Inde, pays certes non qualifié, mais où une partie non négligeable des habitants est dingue de foot (au point de faire l'aller-retour entre le Qatar et le Kerala comme le fan club des Bleus), les audiences sont en baisse de 10 à 15%.

En Argentine, pays victorieux, l'épopée de Lionel Messi et des siens ont permis aux diffuseurs de battre l'émission de téléréalité "Big Brother", programmée à la même heure. Au Japon, le match face au Costa Rica a connu une audience 78% supérieure à un match des Samouraïs Blue au même stade de la compétition en 2018, selon les chiffres vantés par la Fifa. Difficile donc de tirer une conclusion globale à une multiplicité de sensibilités locales.

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