Tour de France, Vuelta, Giro... Où en sont les Grands Tours de leur révolution verte ?
ASO, l'organisateur du Tour de France et de la Vuelta, et RCS, celui du Giro, n'ont pas du tout la même stratégie pour aller vers des épreuves plus vertes.
"HONTEUX ET INADMISSIBLE !!!", "It's a climate madness"... La vidéo, datée du dimanche 17 juillet, compte deux millions de vues sur Twitter. On y voit le camion balayeur du Tour de France arroser les routes avant le passage des coureurs, lors de la quinzième étape. Objectif : éviter que le bitume ne fonde pour assurer la sécurité du peloton. En pleine canicule, il n'en fallait pas plus pour échauffer les esprits.
For those that don't speek German :
— Noé Perard-Gayot (@PerardgayotDev) July 17, 2022
We put water (that could be used for agriculture or human consumption) on the road so that the tour de France can happen.
It's a climate madness. https://t.co/7uFBWDJPfW
Nous sommes en canicule et en alerte sécheresse et on déverse des m3 d'eau sur les routes du Tour de France avant le passage des coureurs : HONTEUX ET INADMISSIBLE !!!
— Springfellow Hawke (@HawkeSpringfel1) July 18, 2022
L'organisateur de la Grande Boucle et de la Vuelta, Amaury Sport Organisation (ASO), a tenté d'éteindre la polémique en affirmant que le camion n'avait déversé que 300 litres d'eau, soit l'équivalent d'une baignoire et demie. Bien loin des 10 000 litres initialement annoncés. Mais en parallèle, le Tour 2022 a connu de multiples interruptions de courses provoquées par des militants du collectif écologiste Dernière Rénovation en quête de visibilité.
Ces événements ont rappelé que l'écologie est un sujet épineux pour le cyclisme, dont la pratique quotidienne a pourtant bonne réputation (en ville ou à la campagne). En 2021, l'Union cycliste internationale (UCI) a multiplié les directives, recommandant de se passer des "accessoires jetables en plastique", et interdit les jets de bidon dans la nature. Les coureurs réfractaires risquent des amendes, des pénalités... Voire des exclusions de course en cas de récidive. En juillet, le Belge Wout van Aert s'est d'ailleurs fait prendre par la patrouille.
Alors une question se pose pour les organisateurs des Grands Tours, dont la Vuelta 2022 qui se déroule actuellement : que font-ils pour réduire les impacts écologiques durant l'épreuve ?
Tour de France : voitures électriques et déchets collectés
En janvier 2017, ASO a signé la Charte des 15 engagements écoresponsables des organisateurs d'événements sportifs. En neuf ans, le Tour affirme avoir diminué ses émissions de plus de 40%. Suffisant pour satisfaire les sceptiques ? Réticent à accueillir le Tour par le passé, le maire écologiste de Grenoble, Eric Piolle, admettait des progrès en 2020. Mais en 2021, les élus écologistes de Rennes ont refusé le départ du Tour, expliquant qu'il n'avait "pas fait sa révolution écologique".
Pourtant, ASO est ambitieux. Le Tour affirme vouloir rouler avec "100% des véhicules légers à motorisation alternative" (hybride ou électrique) en 2024. Selon ASO, toutes les voitures de l'organisation roulent aujourd'hui au moins en hybride, et 23 sont totalement électriques, dont l'un des deux véhicules de tête. Pour limiter l'impact de ses 15 millions de spectateurs, responsables de 94% de ses rejets de CO2, le Tour met en place des parkings à vélo et des systèmes de covoiturage, ainsi que des trains, des "pass TER Tour de France", des navettes et des remontées mécaniques pour les étapes de montagne.
Alors, peut-on rouler sans polluer ? "La neutralité carbone n'a pas vraiment de sens dans ce cadre : ce qui compte, c'est la neutralité globale de la société" explique Jacques Portalier, expert transports pour le think tank "The Shift Project", qui oeuvre pour "éclairer et influencer le débat sur la transition énergétique". Pour lui, si "l'électrification est d'un point de vue des réponses techniques la meilleure option, l'hybride n'est pas une solution bas carbone dans le cadre du Tour de France". En effet, si la voiture électrique est bien adaptée aux courses cyclistes par la distance (<250 km) et la vitesse (<50 km/h), "l'autonomie électrique des hybrides n'est que de 50 km... Les véhicules qui suivent le Tour passent ensuite en thermique", explique l'ingénieur de formation.
L'autre grand enjeu écologique du Tour, ce sont les déchets. ASO explique avoir supprimé 90% des emballages plastiques des 18 millions de cadeaux distribués par la caravane publicitaire chaque année (hors produits avec des contraintes d'hygiène). ASO a également distribué 100 000 sacs-poubelles, organisé le ramassage des déchets plastiques, et aménagé cinq à huit zones de 300 m de long tous les 40 km pour récupérer les 3 500 à 5 000 bidons jetés par an.
Pourtant, "l'assistance d'ASO dans le ramassage des déchets se ressent surtout quand la commune est l'arrivée d'étape" reconnaît auprès de franceinfo: sport Laurent Grandsimon, le maire de Luz-Saint-Sauveur (point de départ de l'ascension du col du Tourmalet, franchi 77 fois par le Tour). Les communes de passage doivent donc souvent se débrouiller avec leurs saisonniers pour le ramassage des goodies. Laurent Grandsimon met toutefois en avant des "évolutions positives" par rapport aux "excès des années 1980-90".
Le Tour d'Espagne : des projets à gogo
Même organisateur, même méthode. Pour la Vuelta 2022, ASO (actionnaire principal du Tour d'Espagne) s'est équipé de véhicules hybrides et de deux voitures électriques. La Vuelta a expliqué que les "600 points de charge" de son partenaire Wenea rempliraient les batteries "en moins de dix minutes". De quoi compenser le manque d'autonomie des hybrides ? En attendant, l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) avait alerté en février sur les impacts écologiques des métaux rares, qui composent les moteurs électriques.
Pour limiter l'usage du plastique sur la Vuelta, ASO a indiqué que la société Aquaservice doit y installer des fontaines à eau et y distribuer des bidons réutilisables. ASO estime que ce partenariat a permis d'économiser 20 000 litres d'eau, de se passer de 200 000 bouteilles en plastique, et donc de consommer 5 916 kilos de plastique en moins, soit une baisse de 94 % par rapport à 2019. En 2022, Aquaservice va distribuer désormais aussi des "écocups" afin de se passer de 40 000 gobelets en plastique.
De quoi compléter le partenariat avec le fabricant de café Segafredo, qui distribue 30 000 gobelets en carton recyclé sur la Vuelta. Mais n'est-ce pas viser le moins avec le plus ? Le gouvernement français rappelle dans son Agenda 2030 que "le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas". Or, il y a toujours autant de véhicules et de cadeaux distribués sur les Grands Tours, tandis que les départs se font de plus en plus loin. "Pour être vertueux, il faut se poser la question de la quantité, de voitures ou de goodies" explique Jacques Portalier.
En attendant la sobriété, il faut trier les déchets. Sur la Vuelta, l'association Ecovidrio, qui gère le recyclage des emballages en verre en Espagne, est chargée par ASO d'aménager des "Zones Eco" pour collecter les déchets des coureurs, tout en organisant un peloton vert. Elle doit aussi installer "le plus grand conteneur du monde" à l'arrivée de la 10e étape, et fabriquer des trophées en verre recyclé pour les vainqueurs d'étape. Sur le podium, ces derniers devront placer leur bouteille de champagne dans un conteneur pour sensibiliser le public, l'autre objectif de cette collaboration, qui s'ajoute aux partenariats avec les sociétés de recyclage de piles Ecopilas et d'ampoules Ambilamp.
Le Tour d'Italie : recyclage et gaz naturel
Pas de foire aux projets sur le Giro. RCS Sport, qui a organisé la Corsa Rosa 2022 en mai dernier, met en place depuis six ans un seul projet global, le Ride Green. Selon RCS, il a permis de ramasser 46 tonnes de détritus sur 2021 et d'en envoyer 85% au recyclage. L'organisation explique aussi que les villes qui trient le plus sont récompensées par les partenaires du Giro, comme Red Bull. RCS, qui a créé en 2021 un symbolique "maillot vert pour l’environnement", affirme aussi que le projet sensibile des jeunes dans 200 écoles italiennes grâce au programme BiciScuola.
Pour lutter contre la pollution carbone, le Giro fait aussi relativement bande à part, en misant sur le gaz naturel (50% des poids lourds d'ASO roulent au biocarburant sur le Tour). La société Iveco, qui conduit la caravane et fournit une flotte de véhicules, affirme que son camion de tête est un "véhicule propre alimenté au gaz naturel liquéfié". D'après une responsable d'Iveco contactée par franceinfo: sport, les moteurs au gaz permettent "de réduire les émissions de dioxydes d’azote et les particules fines" et "également d’éliminer presque totalement les émissions de CO2."
Convaincant ? Pas vraiment. Selon Jacques Portalier, "le gaz naturel est une énergie fossile. Les rejets de CO2 des moteurs au gaz sont comparables à ceux des diesels. Si on substitue le gaz par du bio-méthane, produit à partir de matière biologique, le bilan carbone global peut être bon. Sinon...". Et concernant l'azote et les particules fines ? "C'est plus propre que le thermique, mais ça dépend encore du type de gaz". Un choix étonnant, mais qui s'explique sans doute par "l'implantation plus importante d'infrastructures gazières en Italie."
Enfin, Jacques Portalier reconnaît des limites infranchissables, au-delà des émissions carbone : "Oui, il y a des leviers à activer, mais il y a surtout un enjeu de sobriété dans la mobilité globale. Les voyages des passionnés, qui suivent les Grands Tours sur des milliers de kilomètres, on peut se demander si ce type de pratique est, de toute façon, soutenable."
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