Festival de Cannes 2022 : une seconde Palme d’or pour le Suédois Ruben Östlund, en tête d'un palmarès mitigé
"Sans filtre", ouvre à Ruben Östlund les portes du club très fermé des réalisateurs lauréats de deux Palmes d’or, alors que deux ex-aequo interrogent sur un palmarès hésitant.
Avec The Square, Palme d’or en 2017, puis aujourd’hui Triangle of Sadness (Sans filtre), Ruben Östlund rejoint le club fermé des réalisateurs lauréats de deux Palmes d’or, une seconde récompense qui ne fait pas l’unanimité. Par ailleurs la française Claire Denis a reçu un grand prix ex-aequo avec le Belge Lukas Dhont, la première ayant vu son film vilipendé par la critique et le second encensé. Bizarre.
Une palme sociale
La parabole sociale de Triangle of Sadness a sans doute séduit le président du jury Vincent Lindon. Le film raconte le naufrage d’une croisière de luxe dont les riches survivants et quelques domestiques se réfugient sur une île. Les rapports de classe s’inversent alors, voyant la responsable du nettoyage des toilettes du yacht prendre le commandement des rescapés.
Si Ruben Östlund est toujours efficace dans sa mise en scène, son script est tout de même un peu grossier pour dénoncer les rivalités entre classes sociales dont on ne cesse de dire qu’elles se creusent. Réducteur.
Deux Grands prix ex-aequo justifiés ?
Si la critique est souvent en désaccord avec le palmarès du Festival de Cannes, le divorce est patent dans le Grand prix remis ex-aequo à Des étoiles à minuit de la française Claire Denis et à Close du Belge Lukas Duhont. La première a vu son film vilipendé à Cannes par une critique unanime, et le second encensé par elle.
Il n'est évidemment pas question ici de remettre en cause la décision du jury, par rapport à la critique qui n'a pas son mot à dire, mais simplement de relever un schisme qui a rarement été aussi évident, sinon violent.
Deux prix du jury ex-aequo déséquilibrés
Ce 75e Festival de Cannes est marqué par le deuxième ex-aequo de ce palmarès pour le moins hésitant, concernant le Prix du jury. Les jurés n’ont pas départagé Les Huit montagnes des réalisateurs belges Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen, et Hi-Han du Polonais Jerzy Skolimowski.
Le premier traite de l’amitié profonde entre un urbain et un montagnard, le second du destin tragique d’un âne. Si Les Huit montagnes est habité d’images splendides de la vallée d’Aoste, sa métaphore environnementale est un peu simpliste. Hi-Han, en défendant la cause animale, brille par sa mise en scène époustouflante de tous les instants, et d’une inventivité rare sur un sujet d'actualité sensible. Le choix n’était pas difficile à prendre.
Un prix de la mise en scène mérité
Le prix de la mise en scène remis au Sud-Coréen Park Chan-Wook est quant à lui tout à fait justifié. Si Decision to Leave est un exercice de style autour du film noir et du personnage emblématique de la femme fatale, l’élégance du film est dans chaque plan, ses décors et ses costumes. Le choix d’une construction complexifiée à loisir est aussi référentiel au genre, auquel le film rend hommage avec tact.
Grand prix en 2004 pour Old Boy, puis Prix du jury en 2009 avec Thirst, ceci est mon sang, et maintenant donc, prix de la mise en scène pour Decision to Leave : à quand la Palme d’or pour Park Chan-Wook ?
Le couronnement des frères Dardenne avec un Prix spécial
La fibre sociale du président Vincent Lindon a dû encore peser dans la balance pour que les frères Luc et Jean-Pierre Dardenne se voient récompensés du Prix spécial du 75e Festival de Cannes pour Tori et Lokita.
Récit tragique de deux mineurs immigrés béninois à Bruxelles, le film est dans la lignée de la thématique sociale du duo belge et comme toujours d’une extrême sensibilité et justesse.
L’icône du cinéma coréen Song Kan-Ho enfin consacrée
L’acteur principal des Bonnes étoiles (Broken) de Hirokazu Kore-eda, Song Kan-Ho est venu plus d’une fois à Cannes et a été membre du jury en 2021. Il est à chacune de ses prestations remarquable et aimé d’un public qui lui est fidèle.
Tous les spectateurs se souviennent de sa splendide interprétation dans Parasite de Bong Joon Ho, Palme d’or 2019. Qu'un acteur coréen parvienne à se faire reconnaître par un public occidental est déjà en soi une performance !
Magnifique prix d’interprétation féminine à Zar Amir Ebrahimi
Célèbre actrice en Iran, Zar Amir Ebrahimi, s’est vue couronnée du Prix d’interprétation féminine pour sa prestation dans Les Nuits de Mashhad (Holly Spider), le remarquable thriller politique du réalisateur suédois d’origine iranienne Ali Abbasi.
Le sujet du film, qui traite d’un tueur en série en Iran s’attaquant aux prostituées, a particulièrement touché l’actrice. Elle-même a été victime d’une vindicte lancée par son ex-amant en Iran, et interdite de tourner alors qu’elle était une star dans son pays, elle a fui l’Iran en 2008 et vit désormais en France.
L’écriture subtile et courageuse de Tarik Saleh, Prix du scénario
Auteur et réalisateur de l’excellent Boy from Heaven, Tarik Saleh avait été remarqué en 2020 avec son superbe thriller Le Caire Confidentiel, où il s’attaquait au régime du président égyptien Hosni Moubarak.
Dans Boy from Heaven, le cinéaste met en scène un jeune pêcheur embarqué malgré lui dans les méandres politico-religieux au cœur du pouvoir égyptien. Un sujet à haut risque mené de main de maître.
La Caméra d'or pour "War Pony"
La Caméra d’or 2022 récompensant un premier film, toutes sélections cannoises confondues, est attribuée à War Pony de Riley Keough et Gina Gammell, un film sélectionné dans la catégorie "Un Certain Regard" : “C’est un des films merveilleux cette année. Je suis très heureuse que ce merveilleux film soit mis en valeur. Merci au jury d’avoir reconnu notre merveilleux film. C’est un rêve pour nous", s'est émue la réalisatrice.
La Palme d'or du court métrage pour "The Water Murmurs"
La Palme d’or 2022 du court métrage est attribuée à The Water Murmurs, de la Chinoise Jianying Chen. “Je suis très heureuse de voir que mon courage est mis en valeur. J’ai l'espoir que les films peuvent changer des choses notamment en Chine”
La Mention spéciale pour un premier film pour "Plan 75" de Chie Hayakawa
La Mention spéciale pour un premier film a été attribuée à Plan 75 de la réalisatrice japonaise de 45 ans Chie Hayakawa. “Tout réalisateur commence par faire un premier film. Je suis très heureuse que ce film qui compte tant pour moi ait été sélectionné à Cannes. Quelqu’un m’a dit que c’était un film nécessaire pour nous qui vivons cette époque et je le remercie, j’ai été énormément touchée."
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