Finale de la Coupe du monde : Emmanuel Macron en a-t-il trop fait après la défaite des Bleus ?
Sur le terrain, dimanche 18 décembre, en finale de la Coupe du monde à Doha, on n'a vu que Kylian Mbappé, auteur d'un triplé historique qui n'a pas empêché la défaite des Bleus contre l'Argentine. Mais après le match, un autre Français a pris la lumière : Emmanuel Macron. De la pelouse aux vestiaires, le président de la République était partout, consolant l'attaquant du Paris Saint-Germain, conseillant les Bleus sur la façon de se remettre de l'échec et donnant son avis sur l'avenir du sélectionneur Didier Deschamps. Une attitude que tout le monde n'a pas appréciée. L'image d'un Mbappé la tête ailleurs est notamment devenue un mème, repris par des internautes et par des politiques.
Cette première séquence a lieu juste après le coup de sifflet final : Emmanuel Macron s'approche d'un Kylian Mbappé assis, le regard dans le vague, puis continue de s'adresser à lui alors qu'il est relevé par le gardien argentin, pendant une trentaine de secondes. Il salue également Didier Deschamps, qui se détourne un instant pour revenir à sa conversation. Au moment de la remise des médailles, à nouveau, le président rattrape l'attaquant pour lui glisser des mots à l'oreille avant de l'enlacer. De retour au vestiaire, c'est Didier Deschamps qui a droit à une accolade, après que le chef de l'Etat s'est adressé aux joueurs. Un discours filmé et publié sur le compte Twitter d'Emmanuel Macron.
"J'ai demandé à Didier Deschamps de poursuivre. Je veux qu'il poursuive. (...) J'ai dit à Didier Deschamps qu'il fallait qu'il digère", a expliqué le chef de l'Etat aux médias à l'issue de la rencontre. Le président a aussi révélé ce qu'il avait dit à Kylian Mbappé : "Je lui ai dit qu'il n'avait que 24 ans, qu'il était encore jeune, qu'il a déjà une Coupe du monde. (...) Je le dis franchement, je ne suis pas le mieux placé pour essayer de raisonner ce soir les gens, parce que j'étais au moins aussi triste que lui."
"On ne se fait pas mousser à un enterrement"
Un président dans un vestiaire ? L'image n'est pas inédite. En 2018, après le titre des Bleus à Moscou, Emmanuel Macron avait participé à la fête. L'image de sa jubilation en tribunes lors d'un but des Bleus avait circulé jusqu'à finir sur un tee-shirt toujours en vente sur la boutique de l'Elysée. En 2014, la plus sobre Angela Merkel avait posé avec les joueurs allemands tout juste sortis de la douche. "Tous les présidents que j'ai connus ont surfé sur la vague de l'équipe de France", résume Philippe Tournon, chef de presse des Bleus entre 1983 et 2018, interrogé dans l'émission "Télématin".
"Quel que soit le résultat, le président descend dans le vestiaire."
Philippe Tournon, ancien chef de presse des Bleussur France 2
Mais dimanche soir, Emmanuel Macron ne s'est pas adressé à des joueurs victorieux. "Ce qu'il ne sait pas, le président, c'est que dans ces moments-là, on n'imprime rien. On est insensible à tout", poursuit Philippe Tournon pour expliquer les regards vides des joueurs écoutant Emmanuel Macron. "En cas de victoire, on aurait accepté sa présence comme naturelle", analyse Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste de la communication politique, interrogé par franceinfo. Mais après la défaite, le chef de l'Etat a eu "une façon de forcer les choses pour être présent à l'image, et ça se voit".
"Mbappé ne réagit pas, Deschamps non plus... On sent un vrai malaise."
Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste de la communication politiqueà franceinfo
Selon lui, le président de la République aurait mieux fait de "s'effacer devant l'émotion collective". En 2016, après l'échec des Bleus en finale de l'Euro, François Hollande avait ainsi évité les vestiaires et la pelouse, mais invité les joueurs à l'Elysée. "On ne se fait pas mousser à un enterrement", tranche Philippe Moreau-Chevrolet.
"Je pense que l'Elysée avait anticipé une victoire"
"J'ai cru qu'il était sélectionneur. C'était un peu trop", tacle aussi Emmanuel Petit, champion du monde en 1998 et désormais chroniqueur sur BFMTV. Les réactions politiques sont du même acabit : "C'était un peu consternant de le voir hier essayer de s'accrocher comme un crampon à Mbappé, qui ne l'a pas regardé une seule fois", a estimé Sébastien Chenu, vice-président RN de l'Assemblée nationale, sur LCI. "Inopportun et malaisant", tranchait le socialiste Olivier Faure sur Twitter, partageant un article très critique du site du magazine So Foot.
"Il est venu parasiter ce formidable moment sportif – et rien d'autre – offert aux Français", écrit de son côté Libération. Seul Le Figaro estime que le chef de l'Etat se devait de se comporter en "supporter au nom de tous". Un rôle défendu par quelques députés macronistes, à l'instar de Pieyre-Alexandre Anglade, qui s'est exprimé sur Twitter.
"Le président a eu raison d'accompagner nos joueurs dans la défaite. A travers lui, ce sont tous les Français qui se tenaient à leurs côtés."
Pieyre-Alexandre Anglade, député Renaissancesur Twitter
"Je pense que l'Elysée avait anticipé une victoire et espérait recréer artificiellement l'état de grâce de 1998, grand fantasme des politiques français", observe Philippe Moreau-Chevrolet. Le conseiller en communication rappelle qu'en 2018, le bus des Français champions du monde avait paradé à toute vitesse sur les Champs-Elysées pour rejoindre la présidence où Emmanuel Macron les attendait. Ce titre était déjà un enjeu d'image pour le chef de l'Etat, et si les Bleus l'avaient conservé, son image en aurait sans doute profité, estime-t-il.
Finalement, la France a perdu et l'attitude d'Emmanuel Macron est critiquée, mais la polémique passera, remarque Philippe Moreau-Chevrolet. En revanche, elle fait "revenir comme un boomerang" ses propos tenus à l'aube de la compétition au Qatar : "Il ne faut pas politiser le sport", avait-il déclaré. "Les Français étaient, je pense, plutôt d'accord avec ça, et avaient envie de profiter de la Coupe du monde", note l'expert en communication. Mais "son attitude semble contradictoire et pas sincère".
En outre, aucune liesse de la victoire ne permettra d'évacuer les questions sensibles autour du Qatar. Emmanuel Macron, qui félicitait mercredi le pays hôte, risque de se voir reprocher son double aller-retour pour la demi-finale et la finale, dont Le Point soulevait dimanche le coût et le bilan carbone. Philippe Moreau-Chevrolet imagine donc que le chef d'Etat va devoir "restaurer un bras de fer" avec l'émirat, peut-être en adoptant une posture ferme au sujet du scandale de corruption au Parlement européen. Lundi, dans l'émission "Télématin", le député macroniste Hadrien Ghomi faisait déjà savoir que le président avait profité du voyage pour demander au président de la Fifa de revoir les conditions de l'attribution des prochaines Coupes du monde.
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