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Tournoi des six nations : les clés de la réussite du XV de France, vainqueur du Grand Chelem

En s’imposant (25-13) contre l’Angleterre, le XV de France de Fabien Galthié a terminé le Tournoi invaincu pour décrocher un Grand Chelem attendu depuis 2010.

Article rédigé par Justine Saint-Sevin, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
L'équipe de France autour de son capitaine Antoine Dupont qui soulève le trophée du Tournoi des six nations, après avoir réalisé le Grand Chelem le 19 mars 2022. (FRANCK FIFE / AFP)

Grâce à leur victoire (25-13) contre l’Angleterre, samedi 19 mars, les Bleus de Fabien Galthié n’ont pas tremblé et ont décroché le Grand Chelem, le premier depuis douze ans. Un sésame aussi attendu qu’espéré qui a confirmé les promesses d’une génération qui transporte autant par son jeu, ses résultats que son humilité.

On aurait pu croire le scénario écrit. Des Bleus qui, favoris, héritiers de douze années de disette sans le moindre titre, pouvaient défier leurs meilleurs ennemis anglais à domicile, dans un stade de France incandescent pour aller chercher un Grand Chelem historique dans le Tournoi des six nations. Le 10e de l’histoire du XV de France. Les scénaristes avaient ficelé une histoire aux airs de comédie dramatique, commencée il y a des années par l’étiolement d’un géant empêtré dans une longue et éprouvante litanie, marquée par de trop rares fulgurances, avant un réveil fracassant et les honneurs.  

Ces Bleus ont écarté une soupe à la grimace qui semble bien lointaine. Comment diable ont-ils fait ? Une génération dorée, un staff étoffé, un rugby français accommodant pour ses Bleus, franceinfo : sport vous propose un une liste non exhaustive pour comprendre cette réussite.

Le résultat de l’expérience, entre échecs frustrants et succès de prestige

On vous parlait de scénario. Chacun comporte son lot de péripéties, d’intrigues, de pièces posées ci et là pour mener les protagonistes au grand final. Si l’on espère qu’un deuxième - voire un troisième - opus tout aussi enthousiasmant mènera cette équipe sur le toit du monde en 2023, le parcours est encore long et on raffutera ici les "si" pour se concentrer sur le présent : celui qui a connu le Grand Chelem comme apothéose. On se tournera aussi vers le passé, là où il s’est construit. Car pour les Bleus, l’aventure "n'a pas commencé à notre premier rassemblement à Carpiagne, ça a commencé bien avant", avançait d’ailleurs le sélectionneur des Bleus Fabien Galthié avant la rencontre décisive contre les joueurs d’Eddie Jones.

"Nous avons disputé 24 matches ensemble, nous nous dirigeons vers notre 25e, notre 3e Tournoi, avec beaucoup de vécu. Ces joueurs ont une expérience collective maintenant, ils ont grandi depuis deux ans. Nos défaites nous ont appris, nos deuxièmes places dans la compétition aussi."

Fabien Galthié, sélectionneur des Bleus

en conférence de presse, avant France-Angleterre

Il y a d’abord eu les déceptions et ces deux Tournois perdus en 2020 et 2021, l’un à la défaveur du goal-average (+44 pour l’Angleterre, +21 pour la France), l’autre à cause du match décalé et raté contre l’Ecosse. Les Bleus, dans l’obligation de l’emporter de près de 20 points pour piquer la place de leader aux Gallois, avaient totalement déjoué. Puis il y a eu des victoires, de grandes victoires. La première étincelle avec une équipe fortement remaniée - les finalistes de Top 14 ayant été laissés au repos - date de ce succès historique en Australie lors de la tournée d’été. Les premiers pas réussis d’un Melvyn Jaminet qui s’est installé à l’arrière et en tant que buteur depuis.

Derrière, il y a eu les succès fracassants face aux All Blacks en novembre, puis l’Irlande - autre grand favori de la compétition - dans le Tournoi, l’Ecosse et le pays de Galles. D’ailleurs, en s’imposant contre l’Angleterre samedi, les Bleus allongent une série de huit succès consécutifs et égalent la meilleure série tricolore détenue par… la génération de Fabien Galthié. "Le match face aux All Blacks (victoire 40-25 le 20 novembre, ndlr) a créé une super dynamique au sein de l'équipe, qui perdure", pointait le manager général des Bleus, Raphaël Ibanez avant le Crunch.

Une génération dorée

Garder la tête froide dans les moments chauds, ne pas s’écrouler écrasés par le costume de favoris : cette réussite, les Bleus la doivent aussi à une génération dorée habituée des grands rendez-vous et de la gagne. Une pensée d’abord aux Toulousains, champions de France et d’Europe. Ils étaient neuf sur la feuille de match face au XV de la Rose (Baille, Marchand, Cros, Jelonch, Dupont, Ntamack titulaires, Mauvaka, Flament et Ramos remplaçants). On peut y ajouter un dixième, l'ailier Matthis Lebel qui figure parmi les joueurs supplémentaires. Même si le patron des Bleus souligne que "le niveau international est bien différent" pour pointer du doigt plutôt le "vécu commun" et "l’expérience collective".  

Outre les changements d'organisation, les talents sont aussi plus nombreux et  brillants. Les meilleurs joueurs du monde français, dont fait maintenant parti Antoine Dupont (élu le meilleur de la planète en 2021), ne sont pas pléthores. Rarement le XV de France aura pu compter sur un tel vivier de joueurs. Le double sacre des moins de 20 ans en 2018 et 2019 - premiers titres mondiaux de l’histoire pour l’équipe de France - dans des équipes portées par Ntamack, Woki, Vincent ou Lebel - avait laissé entrevoir un avenir plus doux pour les Bleus. Encore fallait-il pour certains confirmer en Pro D2 et Top 14, puis au niveau international chez les grands. Néanmoins cette culture de la gagne et ce jeu de mouvement, de vitesse, avec des avants aussi mobiles que puissants et adroits ballons en main, prônés alors par Sébastien Piqueronies et David Darricarrère, a sûrement facilité leur intégration à ce XV de France façon Galthié.

Une équipe de France devenue priorité et soutenue par les clubs

A chaque annonce de la composition d'équipe a été l'occasion de les remercier.  "Pour présenter un projet cohérent, il faut avoir l’appui et le soutien des clubs", soutenait Raphaël Ibanez. Le staff des Bleus, la doublette Galthié-Ibanez en tête, ne s’est pas trompée. Si l’équipe de France peut enfin rivaliser avec les plus féroces adversaires au niveau international, elle le doit en partie à la refonte profonde de son système et la place donnée aux Bleus dans le paysage de l’ovalie française. 

Alors que les doublons (matchs de championnat et des Bleus qui se superposent et privent donc les clubs de leurs internationaux) ont longtemps fait grincer des dents : ce Tournoi s’est déroulé sans grand accroc. Particulièrement touché, le Stade toulousain et l’UBB, malgré les successions de défaites n’ont pas bronché. "Cette période nous a permis de faire jouer de jeunes joueurs et de voir l'intégralité de notre effectif à l'œuvre", soutenait même l’entraineur des avants des rouge et noir, Virgile Lacombe, avant la dernière journée.  

"Nous venons de vivre huit semaines très intenses, huit semaines de compétition, huit semaines d’équilibres à trouver avec 42 joueurs, avec des échanges permanents avec les clubs, avec des joueurs qu’il a fallu parfois relancer dans leurs clubs respectifs, d’autres qui ont été l’objet d’échanges avec les managers (…) On sent que le rugby français comprend le projet dans lequel nous voulons nous inscrire."

Fabien Galthié, sélectionneur des Bleus

en conférence de presse d'avant France-Angleterre

Plus de temps pour plus de Bleus convoqués, de quoi assurer une certaine continuité, diminuer les conséquences des blessés de dernière minute en pouvant compter sur des absents déjà biberonnés au projet de jeu. C’est aussi moins de doublons à subir pour les futurs titulaires et plus d’énergie à revendre sur le terrain pour étouffer ceux qui étaient auparavant leurs bourreaux. L’écroulement physique de la 60e minute n’est plus. Ceux qui raillaient l’ancienne organisation du rugby français la regardent maintenant avec envie. Le patron du XV de la Rose, Eddie Jones, n’a pas caché sa jalousie, rappelant qu'il doit se contenter de 34 joueurs pour préparer ses matchs.  

Le renforcement du quota de Jiff (joueurs formés en France) dans les compositions d’équipe en Top 14 a aussi favorisé l’émergence de nouveaux talents en leur permettant de se faire les dents dans un championnat rugueux. De quoi consolider le vivier dans lequel le Coq peut et pourra piocher dans les années à venir.

Shaun Edwards, symbole de la réussite d’un staff étoffé

Le choix des hommes de terrain comme de ceux qui les accompagnent semble tout aussi important. L’arrivée de Shaun Edwards, maître de la "rush defense", dont la philosophie a viscéralement transformé le jeu du XV de France et même certains joueurs –comme Damian Penaud- en est l’exemple parfait. Débauché au pays de Galles, l’Anglais est peut-être actuellement le plus grand spécialiste de la défense. "Je n’ai pas compris pourquoi la Fédération anglaise de rugby n’avait pas remué ciel et terre pour ramener Shaun à Twickenham. Un autre entraîneur anglais travaillant avec nos plus grands rivaux ? Bravo à la FFR. Le XV de France sera l’équipe à battre dans quatre ans", avait prévenu en 2019 Sir Clive Woodward, sélectionneur de l’Angleterre championne du monde en 2003.  

Shaun a apporté un enthousiasme fou pour des taches qui étaient généralement barbantes pour les Français.

Joe Worsley, entraîneur anglais de Castres

dans un podcast du Times

Il suffit de regarder ce match à Cardiff. Muselés en attaque, les Tricolores ont réalisé un match défensif phénoménal, empêchant des Gallois, qui avaient alors planté près de la moitié de leurs points dans les 20 dernières minutes d’une rencontre, de marquer. Pour l’Irlandais, Bernard Jackman, entraineur de Grenoble, c’est plus globalement "le staff en entier" qui "a été pensé avec justesse. Par exemple, le travail des préparateurs physiques saute aux yeux, Les Français sont plus secs, plus mobiles. Ils sont aujourd’hui capables de tenir un temps de jeu effectif très haut", indiquait-il dans le journal L’Equipe vendredi.

"Les joueurs ont grandi, le staff aussi", appuyait Fabien Galthié avant le début du Tournoi. Evidemment, en tant que patron des Bleus et du staff, cette réussite est aussi la sienne. Sa capacité à fédérer et à accompagner ce groupe sur lequel la pression semble glisser, en concentrant les esprits sur l’analyse des choses encore à faire et améliorer, n'est pas étrangère à la bonne forme des Bleus.

Voilà pour le gros du défrichage. On pourrait aussi évoquer la précieuse capacité d’adaptation de ces joueurs en cours de match, ou sur ce jeu de dépossession avec une défense étouffante destinée à pousser l’adversaire à la faute, afin d'offrir des ballons de contres assassins qui exploitent parfaitement les qualités des forces en présence. Sans oublier ce "soutien incroyable", des mots de Gaël Fickou, des supporters qui ont transformé le Stade de France en chaudron, et chanté si fort à Murrayfield et au Millennium qu’on se croyait à la maison.

Avec ce Grand Chelem, les Bleus ont autant confirmé leurs promesses qu'ouvert la porte à de nouvelles. L'horizon est brillant, mais avant d'écrire ses pages futures il est temps pour l'ancien endormi et ses supporters de savourer un délice dont ils ont été privés depuis trop longtemps.

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