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Galles-France : Shaun Edwards, l’Anglais débauché au pays de Galles, cerveau de la défense des Bleus

Celui qui est considéré comme l’un des maîtres de la "rush défense" a rejoint le XV de France lors de la prise en main de Fabien Galthié, en 2020.

Article rédigé par Justine Saint-Sevin, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Shaun Edwards, patron de la défense des Bleus, le 29 janvier 2022 à Aubagne. (VALLAURI NICOLAS / MAXPPP)

Il est à la "rush défense" ce que maître Yoda est à de nombreux Jedi. Une référence pour les spectateurs et les suiveurs, un guide pour les aspirants et les joueurs. Ce n’est pas le deuxième-ligne international français Bernard Le Roux qui dira le contraire, lui qui aspire depuis sa rencontre avec Shaun Edwards à devenir entraîneur.  

Depuis son arrivée en 2020, l’Anglais, multititré en club et en sélection, s’est imposé comme l’une des pièces maîtresses de ce XV de France version Fabien Galthié. Plus encore, en révolutionnant sa défense, il a profondément influencé le style de jeu de cette équipe et participé pleinement à ses séduisants résultats. Vendredi 11 mars, Shaun Edwards retrouvera le pays de Galles, qu’il a quitté pour rejoindre les Tricolores, après y avoir remporté une pléiade de titres.  

La rush défense, c'est quoi ?

Le bonhomme, seul joueur encore à ce jour à avoir été capitaine de l’Angleterre à XIII comme à XV, a développé un système défensif qui est venu dépoussiérer le rugby : la rush défense.     

"Elle implique de presser l’attaque très vite en coupant les extérieurs et les lignes de passes, l’idée c’est de laisser le moins de temps possible aux attaquants pour prendre une décision, on les oblige à passer au sol. On n’est pas sur une défense en contrôle, toujours en train de reculer. Là on vient créer les fautes grâce à des profils très denses, rapides, qui dominent les collisions et des gros plaqueurs."

Pierre-Henry Broncan, ancien entraîneur de la défense du Stade toulousain et actuel manager de Castres

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De fait, il n’est pas rare, comme face à l’Ecosse, de voir un Antoine Dupont ou un Jonathan Danty seuls en pointe prêts à bondir sur l’attaquant pour le faire reculer ou bloquer le ballon dans les bras dès que le précieux ovale est en possession de leur vis-à-vis. Si les adversaires subissent les collisions et le défi physique - où les Bleus sont devenus particulièrement performants - et ne parviennent pas à trouver les extérieurs, ils n’ont pas d’autres choix que de se débarrasser de la balle au pied.  

"Attack feeds with defense"

"C’est une défense qui permet de bénéficier de pas mal de turn-over. Les ballons de récupération sont redoutables dans le rugby moderne où les défenses sont quasi infranchissables, poursuit Pierre-Henry Broncan. Pour les exploiter, il faut des joueurs très rapides. Devant on est très dense, mais derrière aussi avec des Danty, Fickou ou Moefana."   

En d’autres termes, l’attaque est nourrie par la défense, "Attack feeds with defense", comme il est coutume d'entendre dans les clubs britanniques. Le match contre l’Ecosse en a fourni un formidable nouvel exemple. "Finn Russell est un ouvreur exceptionnel, un créatif, mais il n’aime pas jouer sous pression. Il n’a pas pu s’exprimer comme à son habitude. Un jeu au pied moyen et c’était essai derrière", ajoute le technicien du CO. En effet, l’insatiable capitaine et demi-de-mêlée des Bleus Antoine Dupont, bien placé en couverture, en avait profité pour offrir un festival d’appuis-raffut d’école pour se procurer une remontée du terrain qui se concluait par l’essai de Paul Willemse.  

Une preuve supplémentaire que les joueurs se fondent dans ce système avec délectation. Il émane de cette équipe un vrai appétit à défendre, à miner le moral de son adversaire en l’empêchant de développer son jeu avant de l’enfoncer par un contre éclair. Petit à petit, le XV de France s’est approprié un jeu de dépossession laissant de bon cœur l’initiative du jeu à ses adversaires.  

Le défi du révélateur gallois

On pourrait être amené à croire qu’une équipe qui passe le plus clair de son temps à défendre et à enchaîner les plaquages souffre plus physiquement, un faux-semblant pour l’ancien Toulousain. "Le plus éprouvant, ce sont les courses de chasse. Les sprints pour couvrir le terrain sous les ballons hauts ou quand on court pour mettre la pression. Quand la défense est en place, on bouge peu sur la largeur et puis quand tu domines les collisions tu te fatigues moins. En plus, Shaun Edwards sollicite beaucoup les plaquages à deux, un en haut, un en bas pour empêcher la continuité du jeu", élabore Pierre-Henry Broncan.  

Selon lui, le match de vendredi n’aura rien à voir avec celui face à l’Ecosse ou l’Irlande qui apprécient avoir la main sur le ballon. "Il faut voir ce qu’elle donne contre une équipe comme l’Angleterre qui joue comme nous en dépossession, voir comment les Gallois vont s’adapter. Ils ont densifié leur pack, et leur jeu au pied avec Dan Biggar est encore plus lourd et efficace que celui de Finn Russell ou Stuart Hogg. Il a l’habitude de taper tellement haut et fort qu’il les récupère lui-même à l’autre bout du terrain. Le combat sera rude dans le fond de terrain."   

D’autant que les anciens protégés de Shaun Edwards attendront de pied ferme leur ancien spécialiste de la défense. Ils ne devraient pas être surpris par cette rush défense qu’ils s’étaient eux-mêmes appropriée quand l’Anglais était dans leurs rangs. Avec lui, le pays de Galles a décroché quatre victoires dans le Tournoi des six nations, dont trois Grands Chelems (2008, 2012, 2019). Auparavant, il avait aussi permis aux Wasps d’être sacrés quatre fois champions d’Angleterre (2003, 2004, 2005 et 2008) et deux fois champions d’Europe (2003, 2007).  

Une défense pour gagner des titres

Ces performances, Shaun Edwards compte bien les rééditer avec les Bleus. "Bravo à la FFR. Le XV de France sera l’équipe à battre dans quatre ans (lors de la Coupe du monde 2023, en France), prévenait Sir Clive Woodward, sélectionneur de l’Angleterre championne du monde en 2003, en novembre 2019. Je n’ai pas compris pourquoi la Fédération anglaise de rugby n’avait pas remué ciel et terre pour ramener Shaun à Twickenham. Un autre entraîneur anglais travaillant avec nos plus grands rivaux ?"   

Séduit par l’idée de travailler avec Raphaël Ibanez, qu’il avait entraîné, et l’occasion d’accompagner un tel groupe jusqu’à la Coupe du monde 2023 en France, l’ancien demi-de-mêlée et ouvreur espère être à la hauteur de la philosophie qu’il prône depuis le début de sa carrière d’entraîneur : "L’attaque fait vendre des billets pour remplir les stades, la défense fait gagner des titres". Pour aller chercher le premier titre de l’ère Galthié, avant un potentiel Grand Chelem, il faudra réussir un tour de force et se débarrasser de ses anciens apprentis Jedi du pays de Galles.  

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