Reportage "Le sport est mon combat, ma façon de résister", assène Fathima, karatéka afghane qui vit dans le camp de réfugiés de Lesbos
Précarisées, écartées des terrains de sport, parfois moquées, les femmes réfugiées ont un accès restreint à la pratique physique. Un manque que veut combler l'association Yoga and Sport With Refugees sur l'île de Lesbos.
Invisibles, ou presque. Les femmes réfugiées représentent à peine 20 % des pratiquants sportifs qu'enregistre l'association Yoga and Sport With Refugees à Lesbos (Grèce). Ce sont pourtant souvent les premières à qui le sport pourrait bénéficier pour ses implications en terme de santé, de bien-être ou encore d'intégration. À proximité du camp de Mavrovouni, l'association sportive cherche à les accompagner, aussi bien dans leur pratique quotidienne que vers le haut niveau.
"En Afghanistan, je faisais des compétitions internationales"
"Les Talibans ont interdit aux femmes de s’entraîner, de faire du sport, de pouvoir améliorer leurs conditions de vie, de pouvoir étudier. Ils ne nous ont pas donné le droit de sortir de chez nous. Ça devenait très dangereux alors nous avons fui avec ma famille", explique Fathima Mirzahi, karatéka. Visage grave, yeux en amande, chemise tirée et allure impeccable, la jeune femme vit depuis six mois au camp de Mavrovouni, en Grèce.
Âgée de 15 ans, elle a dû tout abandonner derrière elle. "Je m’entraînais tous les jours en Afghanistan, j’ai fait des compétitions internationales au Pakistan, au Tadjikistan, en Inde. Tout ce que je veux, c’est aller dans n’importe quel pays qui me laissera pratiquer ma passion", ajoute la jeune femme.
"Le sport est mon combat, ma façon de résister. Je veux rendre ma famille et mon pays fiers. Je veux participer aux Jeux olympiques pour l'Afghanistan".
Fathima Mirzahi, réfugiéefranceinfo: sport
D’après le dernier bilan de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), datant du 16 juin 2022, près de 2,7 millions d’Afghans vivraient hors de leur pays avec un statut de réfugié. Fathima, elle, patiente encore au milieu des tentes blanches du camp de Mavrovouni, le temps que son statut de réfugiée soit accepté.
En attendant de retrouver les circuits mondiaux, la jeune femme a mis un point d’honneur à maintenir son entraînement. A peine arrivée sur l'île, elle s'est empressée de rejoindre la salle de sport la plus proche. Elle y partage désormais ses connaissances avec les autres femmes, lors du cours de karaté.
Des cours ouverts exclusivement aux femmes
« Shaaaaaah ! Plus fort ! Plus haut !", les cris de Fathima raisonnent dans la petite salle de sport. Les portes ont été fermées, un panneau glissé à l'entrée : "Seules les femmes sont autorisées". L'affiche est traduite tour à tour en anglais, en arabe et en farsi. Pour attirer plus de femmes à ses activités, l’association Yoga and Sport With Refugees a développé des activités qui leur sont uniquement réservées. “Pour moi c’est important. Je me suis toujours entraînée ainsi et je ne serais pas en confiance autrement”, explique Fathima.
“Bien sûr toutes les activités sont ouvertes à tous, mais pour des raisons culturelles, les femmes afghanes ne sont pas habituées à s'entraîner avec les hommes et pouvaient être le sujet de moqueries au retour au camp. Pour qu'elles puissent pratiquer une activité physique en confiance, on a mis en place ces cours, destinés aux femmes, en karaté et natation", explique Estelle Jean, directrice de l'association Yoga and Sport With Refugees.
Ce samedi matin, deux autres femmes ont rejoint le cours de karaté. Difficile de suivre la cadence de la sportive de haut niveau, intransigeante. "Ouch, ça fait un peu mal", réagit Rebecca au moment d'encaisser le coup de pied foudroyant de Fathima dans son pad de boxe. Âgée d'une vingtaine d'années, la jeune femme originaire d'Ethiopie est venue pour "se remettre en forme". Voilà un an déjà qu'elle parcourt les routes méditerranéennes. Au-delà de la pratique physique, Rebecca se dit contente de "retrouver d'autres femmes" avec qui échanger dans une atmosphère sereine.
Difficultés matérielles et d'accès
"La salle de sport leur permet de pratiquer des activités qui leur tiennent à cœur dans un endroit plus protégé que le camp. Ici leur santé s'améliore, elles peuvent souffler”, ajoute Nina De Winter, co-fondatrice de l’association. Bijou, une réfugiée camerounaise, corrobore ses propos, soulignant les difficultés quotidiennes qui freinent sa pratique : “Ça ne me dérange pas que ce soit entre femmes, mais pour moi c'est surtout une question de créneau. Je ne viens pas souvent, alors, après le cours de fitness, j'ai enchaîné avec le karaté. Quand je sors du camp, je dois aller chercher à manger, travailler, m’occuper de la vie quotidienne. Je ne peux venir ici que le week-end", souffle la jeune femme en collant rose sur une machine de musculation.
"J'aimerais reprendre mon entraînement et devenir championne du monde. Mais ici, personne n'est à mon niveau"
Fathima Marzahi, sportive de haut niveau réfugiéefranceinfo: sport
La salle de sport de l'association est équipée : brassières, leggings et tee-shirts sont soigneusement ordonnés à l'entrée, à disposition des sportives. Mais en matière de kimonos de karaté et de protections adaptées, le matériel manque. C'est donc en leggings que la jeune femme gère l'échauffement et les exercices dans un mélange de farsi, de japonais et de quelques mots d'anglais. "Ces cours m'aèrent l'esprit mais j'aimerais qu'il y ait plus de monde, plus d'opposition et plus de matériel", grimace la jeune femme. La sportive se bat donc contre elle-même, fixant son reflet dans le miroir qui lui renvoie un visage guerrier. Un visage d’exilée.
Si Fathima est la seule sportive de haut niveau en karaté, l'association enregistre, de son côté, de plus en plus de femmes à ses cours, qu'ils soient mixtes ou pas : "C'est lié à la fin du Ramadan, au beau temps mais aussi au travail d'une bénévole qui a fait en sorte d'amener les femmes à la salle de sport", souligne Estelle Jean, avant de conclure : "L'objectif c'est de faire du sport ensemble, d'avoir cette respiration physique et morale, d’effacer toutes les différences culturelles et les stéréotypes de genres, et d'accompagner les sportives comme Fathima dans leurs ambitions sportives, aussi loin que nous le pourrons". Et pourquoi pas jusqu'aux Jeux olympiques, si le karaté y revient.
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