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Reportage Paris 2024 : depuis le camp de Lesbos, Mahmood Alizada, réfugié afghan, court après son rêve olympique

L'association Yoga and Sport With Refugees, qui accompagne l'Afghan de 18 ans, ouvre en juin une antenne de ses activités à Paris dans la perspective des Jeux olympiques 2024.

Article rédigé par Louise Le Borgne, franceinfo: sport - De notre envoyée spéciale à Lesbos (Grèce)
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Mahmood Alizada sur les hauteurs du camp de Mavrovouni, sur l'île de Lesbos (Grèce), le 17 juin 2022. (LOUISE LE BORGNE / FRANCEINFO: SPORT)

"Tu vois ces baskets dans l'armoire ? Ce sont mes préférées mais on les partage à plusieurs. J'espère les avoir demain pour le trail de Lesbos et peut-être même pour Paris !" Rose délavé, les bouts élimés, la semelle affaissée, les chaussures de sport que miroite Mahmood Alizada ont parcouru bien du chemin. Un peu comme le jeune homme de 18 ans.

L'odyssée qui l'a mené ici a marqué son corps et son esprit. Parti d'Afghanistan, le jeune homme aux yeux rieurs a traversé l'Iran et travaillé, bien que mineur, dans les usines textiles de Turquie avant d'atteindre, il y a trois ans, la GrèceConfronté à des conditions de vie d'une extrême précarité, Mahmood Alizada a fait de la course à pied sa boussole. L'association Yoga and Sport With Refugees, qui propose des activités physiques aux réfugiés, l'accompagne sur l'ile de Lesbos (Grèce). Elle a ouvert samedi 15 juin un relais de ses activités à Paris et nourrit l'ambition de l'aider à intégrer l'équipe des réfugiés olympiques en 2024.

"La plus belle île et la plus terrible"

Les pins jettent leurs ombres dansantes sur la route qui mène à Mitilène, la principale ville de Lesbos. Les derniers rayons de soleil caressent une mer azur. Un paysage devenu le quotidien de Mahmood Alizada à raison de sorties de course à pied de 10 km, 20 km ou 40 km.

Mahmood Alizada et Estelle Jean, avec derrière eux le camp de Mavrovouni, sur l'île de Lesbos (Grèce), le 22 mai 2022. (Louise Le Borgne)

"C'est à la fois la plus belle île et la plus terrible", explique le jeune homme de 18 ans, la silhouette fluette. En contrebas, les tentes blanches du camp de Mavrovouni s'échelonnent en rangs serrés derrière des grillages et des barbelés. Construites à la hâte sur un ancien site de tir de l'armée, après que le camp de Moria a été ravagé par les flammes, elles hébergent des familles venues principalement d'Afghanistan, du Congo, d'Erythrée ou du Sierra Leone.

"Beaucoup de personnes migrantes nous disent avoir eu deux alternatives pour tenir dans ces conditions extrêmes : le sport ou la drogue", explique la Française Estelle Jean, cofondatrice de Yoga and Sport with Refugee, une association qui accompagne les migrants dans leur pratique sportive.

De la boxe à la course

"Quand je suis arrivé, je faisais de la boxe mais je n'aimais pas donner des coups. Je n'arrivais plus à dormir, je faisais des cauchemars. Le docteur m'a dit d'arrêter." Courir est alors devenu son échappatoire. Un remède à l'ennui, aussi. "Quand je cours, je suis heureux. Passés 25 km, je ne pense plus à rien. Ça m'apporte beaucoup de calme, ça apaise mon esprit."

Depuis l'ile de Lesbos, en Grèce, Mahmood Alizada, réfugié afghan, rêve de Jeux olympiques. A 18 ans, le jeune homme a fait de la course à pied sa boussole, son mantra. L'association Yoga and Sport With Refugees, qui l'accompagne dans sa pratique de la course à pied, ouvre à Paris en juin un relais de ses activités et nourrit l'ambition de l'aider à intégrer l'équipe des réfugiés olympiques.
Mahmood Alizada, de Lesbos à Paris 2024 Depuis l'ile de Lesbos, en Grèce, Mahmood Alizada, réfugié afghan, rêve de Jeux olympiques. A 18 ans, le jeune homme a fait de la course à pied sa boussole, son mantra. L'association Yoga and Sport With Refugees, qui l'accompagne dans sa pratique de la course à pied, ouvre à Paris en juin un relais de ses activités et nourrit l'ambition de l'aider à intégrer l'équipe des réfugiés olympiques.

Doué, le jeune homme s'est mis à rêver des Jeux olympiques. Celui que l'on prénomme "Mahmood Good Mood", pour sa bonne humeur communicative, est rapidement devenu l'un des piliers de l'association. "Je m'entraînais beaucoup, alors on m'a proposé de devenir coach, j'en suis très fier", explique l'intéressé dans un short à fleurs fluo. "On a vite vu que Mahmood était vraiment doué sur de grandes distances et qu'il pouvait en faire quelque chose. On essaye de le pousser pour qu'il puisse attendre le niveau dont il rêve", explique Estelle Jean. 

"Etre aux JO avec Yoga and Sport serait incroyable. Pour montrer aux gens que l'on vient d'ici, de Lesbos, avec nos histoires. Pour être heureux et fiers."

Mahmood Alizada, réfugié

franceinfo: sport

Comme Mahmood, plusieurs athlètes réfugiés sont prometteurs. L'idée de continuer à les accompagner, une fois leurs papiers obtenus, s'est imposée peu à peu. "ll y a à la fois une forte demande des réfugiés, mais, surtout, on a la perspective des JO en 2024. C'est un rêve pour lequel on se permet de créer, à Paris, fin juin, cette nouvelle aventure", s'enthousiasme Estelle Jean. Un investissement important pour la petite association qui rêve en grand.

Faire le mur pour s'entraîner 

Dans la salle de sport de Yoga and Sport With Refugees, le cours de body-building bat son plein. La sono à plein régime diffuse un mélange de musiques afghanes et de remix reggaeton. En attendant de terminer sa séance par du gainage, Mahmood Alizada s'occupe soigneusement du matériel. Lunettes de piscine, shorts, baskets, pads de boxe et vêtements de sport sont consignés dans de grandes armoires. "Les migrants ont souvent tout laissé derrière eux. Il faut les équiper des pieds à la tête", explique Madeleine, une bénévole française qui officie à l'accueil.

Les difficultés matérielles, la précarité des athlètes, et l'hostilité de l'administration grecque représentent autant de défis quotidiens. "Avec les quarantaines à répétition en Grèce, le camp a été presque bouclé par la police. Les migrants ne pouvaient sortir qu'une fois par semaine, pour quatre heures maximum. On a donné tout l'équipement qu'on pouvait pour qu'ils puissent continuer de faire du sport à l'intérieur", ajoute Estelle JeanLe jeune Afghan, qui a vécu à Mavrovouni avant de rejoindre un centre pour mineurs, se souvient : "Je sautais la barrière et les barbelés pour aller courir. Heureusement que je courais vite, la police ne pouvait pas me rattraper. C'était une période difficile."

"Vous attendez des papiers qui vont vous donner une existence, c'est quelque chose qui pousse au désespoir. Le sport apporte de la résistance et de la liberté. Sans ça, beaucoup deviendraient fous, à tourner en rond du matin au soir au camp, jusqu'à se perdre soi-même."

Estelle Jean, co-fondatrice de Yoga and Sport With Refugees

à franceinfo: sport

A ses 18 ans, pour ne pas retrouver les tentes du camp, Mahmood Alizada a rejoint la "maison des coachs". Le logement, au centre-ville de Mytilène, est à la disposition des entraîneurs de l'association. Ces derniers s'y succèdent pour six mois, un an, trois ans, jusqu'à l'obtention de leurs papiers. Seule décoration sur ces murs nus : des trophées et médailles, fièrement exposés. 

Mahmood Alizada devant l'étagère de trophées dans la "maison des coachs", le 22 mai 2022, à Lesbos (Grèce). (LOUISE LE BORGNE / FRANCEINFO: SPORT)

Dans quelques semaines, le jeune homme quittera à son tour l'île. Tout juste majeur, Mahmood vient d'obtenir ses papiers. Une destination s'impose : la France, où le jeune coureur déposera sa demande d'asile. Le processus, long et difficile, parasite forcément l'entraînement d'un sportif de haut niveau. "Je n'ai pas peur de dormir dans la rue en France, de devoir tout recommencer. Tout ce que je veux, c'est continuer à courir, apprendre le français, travailler et aider l'association", répond le jeune homme. En guise d'adieu, il s'est inscrit à une dernière course. Sa façon de se projeter vers Paris.

Paris 2024 à hauteur de foulées

A quelques minutes du départ, Mahmood Alizada lace patiemment ses baskets fétiches, finement négociées lors de la distribution de matériel. Dix participants de Yoga and Sport With Refugees et une quinzaine de supporters ont fait le déplacement jusqu'à Pétra, dans l'ouest de l'île


Mahmood Alizada lace ses baskets préférées avant de s'engager sur le parcours du trail de Lesbos, le 23 mai 2022 à Petra (Grèce). (LOUISE LE BORGNE / FRANCEINFO: SPORT)

Au top départ, le jeune homme n'hésite pas longtemps avant de prendre la tête et avale les kilomètres entre les oliviers. "C'est arrivé qu'il n'y ait aucun Grec sur les podiums. Seulement des réfugiés de Yoga and Sport. Dans leur tête il n'y a pas de défaite possible. Ils vont y aller à 100% et tout donner jusqu'au bout de la compétition, même s'ils sont moins entraînés", sourit Estelle Jean, un t-shirt de l'association sur les épaules. 

Mais à l'arrivée, le sportif grimace : "J'ai dû m'arrêter à cause d'une douleur au genou. Je termine troisième, c'est bien, mais si je veux un jour disputer les Jeux, je dois courir plus de 36 km sans douleur", explique t-il sous les applaudissements de son équipe avant de lâcher dans un cri de joie : "La prochaine sera à Paris !"

Mohamad Qantari et Mahmood Alizada, réfugiés afghans, après le trail de Lesbos (Grèce), le 23 mai 2022. (LOUISE LE BORGNE / FRANCEINFO: SPORT)

Après la course, bénévoles et sportifs s'offrent un court répit dans l'eau cristalline. Comme un pied de nez à cette même Méditerranée qu'ils ont autrefois traversée. Assis dans l'eau, Mahmood Alizada imagine sa nouvelle vie. Il a déjà prévu de courir une course en Bretagne, début juillet, "pour garder le rythme". Il n'aura cette fois-ci pas ses baskets fétiches. Peu importe : "Elles rendront d'autres personnes heureuses à Yoga and Sport with Refugees. Avec ou sans chaussures, je vais tout faire pour vivre pleinement mon rêve olympique." 

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