"Les violons, ça n'aime pas la pluie" : pourquoi la météo lors de la cérémonie d'ouverture des JO a été une vraie fausse note pour les orchestres

Pour limiter les dégâts sur leurs précieux instruments, les orchestres classiques qui ont joué pour l'évènement en mondovision ont notamment emprunté des modèles dits "déclassés". Certains seront toutefois difficiles à réparer.
Article rédigé par Eloïse Bartoli, Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'Orchestre national de France joue sous la pluie au Trocadéro, lors de la cérémonie d'ouverture des JO de Paris, le 26 juillet 2024. (CHRISTOPHE ABRAMOVITZ / RADIO FRANCE)

Il est parfois de coutume de sacrifier sa guitare sur l'autel du rock'n'roll. On savait moins que ça pouvait aussi être le cas pour la musique classique, face à une météo peu avenante. Lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris, vendredi 26 juillet, la pluie n'a épargné ni les spectateurs ni les artistes et encore moins les dizaines d'instruments utilisés à différentes étapes du défilé sur la Seine.

L'Orchestre de Paris, qui s'est produit à la Conciergerie, avait vu les nuages s'amonceler à l'horizon dès cet hiver, à l'annonce de leur participation à la prestation du groupe de métal Gojira. L'absence de solutions de repli en cas d'averse pour une performance en plein air a poussé le régisseur général de la prestigieuse institution, Adrien Hippolyte, à anticiper.

Les délicats instruments des musiciens ont été laissés dans leurs étuis, au profit d'instruments empruntés à la Philharmonie ainsi qu'à l'Orchestre des jeunes démos, qui rassemble des enfants des quartiers populaires.

Des instruments d'étude, "bas de gamme" ou "déclassés", selon les différents interlocuteurs contactés par franceinfo une semaine après cette soirée d'anthologie, et donc bien moins précieux que le matériel personnel des musiciens, qui coûte au minimum 20 000 euros. "Les contrebasses ont été louées à une société à qui je loue régulièrement du matériel", précise Adrien Hippolyte. Une anticipation salvatrice face au ciel capricieux et la pluie quasiment ininterrompue qui a sévi pendant la cérémonie.

"Tout cet ensemble est très fragile"

Du côté de l'Orchestre national de France, la soirée était également redoutée. "Voir la pluie grossir au fil de la journée, c'était quelque chose de terrible", raconte Michel Orier, directeur de la musique et de la création à Radio France. Alors que la présence de la pluie ne faisait plus de doute à quelques heures de la cérémonie, ses musiciens, installés au Trocadéro, ont dans un premier temps décidé de s'abstenir de jouer.

Et pour cause : "Nous n'avions pas d'instruments déclassés, seulement des instruments très coûteux", explique Michel Orier. Débrayage total pour préserver leurs violons, altos ou contrebasses. "Jouer serait revenu à tremper l'instrument directement dans la baignoire", ajoute le violoniste Xavier Guilloteau. Or, "le bois, les colles, le vernis, ça n'aime pas la pluie. Tout cet ensemble, travaillé avec amour par le luthier, est très fragile", poursuit-il.

"Notre instrument, c'est notre outil de travail, mais pas seulement : c'est toute notre vie."

Xavier Guilloteau, violoniste à l'Orchestre national de France

à franceinfo

"Vers 17 ou 18 heures, j'apprends que l'Orchestre national de France refuse de jouer sous la pluie", relate Adrien Hippolyte, présent à quelques kilomètres de là. Sans hésiter, l'Orchestre de Paris décide alors d'emballer, une fois sa prestation terminée, les instruments utilisés, et de les envoyer en urgence au Trocadéro. Comme l'ont également raconté Le Monde et la RTBF, les caissons sont transportés dans un camion de 20 m3 escorté par deux motos de police vrombissantes. "On a fini de charger le camion à presque 21 heures et ils jouaient à 22 heures", raconte le régisseur général de l'Orchestre de Paris.

Les caisses arrivent à temps, avec, à l'intérieur, quelques petits mots d'encouragements laissés par les musiciens. Une seule manque à l'appel, oubliée dans la précipitation. Elle sera livrée en urgence par un coursier à vélo habilité. L'Orchestre national de France n'aura manqué que La Marseillaise, qui intervenait bien plus tôt durant la soirée. Mais leurs instruments ont tout de même résonné sur l'hymne national : comme il est d'usage pour ces cérémonies, l'ensemble avait été préenregistré. Les musiciens ont été appelés à jouer en direct pour satisfaire le public présent sur place, ainsi que pour trouver un écho visuel lors de la retransmission. 

"La pluie a eu un effet galvaniseur pour tout le monde. On ne pouvait pas se laisser battre par les éléments", raconte Michel Orier, qui salue la "solidarité entre les grandes phalanges orchestrales de Paris". Les musiciens de l'Orchestre national de France, en plus grand nombre que ceux de l'Orchestre de Paris, ont cependant manqué d'instruments pour tout le monde. Solidaires, ils se sont alors relayés sur scène, pour que chacun puisse participer à cette soirée historique, après avoir répété durant tant de semaines. Un "moment fort" de la cérémonie, d'après Xavier Guilloteau.

"Je ne suis pas sûr qu'ils soient récupérables"

Après l'exaltation, l'heure est à présent au bilan. Les dégâts sur les instruments utilisés par les deux orchestres sont difficiles à évaluer, explique Adrien Hippolyte. D'abord, parce que plus personne n'est disponible pour réaliser cet état des lieux, vacances obligent, mais aussi parce qu'il "faut attendre la réaction du bois et du vernis". Mais l'une des contrebasses louées est d'ores et déjà fêlée de haut en bas, poursuit le professionnel, qui ne doute pas, qu'a minima, des réparations devront être réalisées sur plusieurs instruments.

"Nous leur avons fait subir l'inacceptable, nous l'avons fait parce que c'étaient les Jeux olympiques."

Xavier Guilloteau, violoniste à l'Orchestre national de France

à franceinfo

Le musicien ne se fait guère d'illusions sur le devenir de certains instruments : "C'était leur chant du cygne, je ne suis pas convaincu qu'ils soient récupérables."

Des musiciens de l'Orchestre national de France vêtus d'un poncho anti-pluie lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, le 26 juillet 2024. (CHRISTOPHE ABRAMOVITZ / RADIO FRANCE)

Et pour les autres participants à la cérémonie d'ouverture ? La Garde républicaine, qui a accompagné la chanteuse Aya Nakamura, a utilisé son propre matériel, qui n'a pas été endommagé, assure son service de communication à franceinfo. "Quand le tableau 'Egalité' a été joué sur le pont des Arts, la pluie qui tombait était encore très faible", explique-t-elle. Les musiciens ont par ailleurs "l'habitude de jouer en plein air, par tous les temps" et "un budget 'entretien/réparation'" permet, dans le pire des cas, "de maintenir le parc instrumental en état".

Les images des pianos sous des trombes d'eau ont aussi largement alarmé les amateurs de musique. Qu'en est-il de celui qui a pris feu sur un radeau en perdition au milieu de la Seine, lors de la prestation de Juliette Armanet ? Contactée, l'équipe du pianiste Sofiane Pamart n'a pas répondu à nos sollicitations. Quant au piano niché au premier étage de la Tour Eiffel, lors de l'interprétation de L'hymne à l'amour par Céline Dion, il a été prêté au musicien Scott Price par le comité olympique, explique son agence à franceinfo, sans donner de précisions sur l'état de l'instrument après la cérémonie. De son côté, le comité d'organisation de Paris 2024 fait valoir à franceinfo qu'"aucun piano n'a été endommagé" grâce à des" revêtements spéciaux". De quoi rassurer fortissimo les spectateurs mélomanes.

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