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Coupe du monde 2022 : Iran-Etats-Unis, le match le plus politique de la compétition

Au-delà de l'enjeu sportif et d'une possible qualification pour les huitièmes de finale des Américains ou des Iraniens, cette rencontre se joue à un moment où les tensions entre les deux pays culminent.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des supporters américains et iraniens lors du match entre les Etats-Unis et l'Iran à Lyon, pendant la Coupe du monde en France, le 21 juin 1998. (PATRICK KOVARIK / AFP)

Des poignées de mains, des échanges de fanions, de roses blanches, et une photo devenue historique. Les images d'avant-match du dernier Iran-Etats-Unis en Coupe du monde sont restées célèbres. C'était en France, en 1998. Sur le terrain, les Iraniens s'étaient imposés 2-1, signant leur première victoire dans un Mondial. Vingt-quatre ans plus tard, les deux équipes se retrouvent, mardi 29 novembre, au Qatar, pour un match décisif en vue d'une qualification pour les huitièmes de finale.

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Une rencontre hautement symbolique, alors que les tensions entre les deux pays culminent. Depuis 1980 et les suites de la prise d'otage de l'ambassade américaine à Téhéran, leurs relations diplomatiques sont réduites à néant. Et la question du nucléaire iranien est plus brûlante que le score de ce match à fort enjeu géopolitique.

Les joueurs iraniens et américains posant mélangés pour la photo lors du match du Mondial en France, le 21 juin 1998, à Lyon.  (JEROME PREVOST / CORBIS SPORT / GETTY IMAGES)

Le symbole Mahsa Amini

Avant que les joueurs gagnent la pelouse, la fédération iranienne de football a taclé dimanche celle des Etats-Unis. L'incident a débuté sur les réseaux sociaux. Dans un post, la fédération américaine attribue à l'Iran un drapeau dépouillé de plusieurs éléments. Les trois bandes horizontales, vert-blanc-rouge, sont présentes, mais l'emblème du pays a disparu. Il représente le premier pilier de l'islam : "Il n'y a pas d'autre dieu qu'Allah." Par ailleurs, les 22 inscriptions "Dieu est grand" tracées dans le vert et le rouge manquent aussi. D'après l'agence officielle Irna, la fédération iranienne a sommé par mail la Fifa de sanctionner sérieusement son homologue américaine pour cet affront.

Selon l'instance du "soccer" aux Etats-Unis, il s'agit d'un geste "ponctuel pour montrer [leur] solidarité avec les femmes en Iran. Le drapeau n'a jamais été modifié sur le site officiel de la fédération". Ces publications controversées ont finalement été supprimées mais la fédération américaine a assuré que son équipe continuait "de soutenir les droits des femmes en Iran". L'histoire de Mahsa Amini, morte après son arrestation par la police des mœurs en septembre, avait été jugée "impardonnable" par la Maison Blanche. En face, les autorités iraniennes dénoncent les manifestations déclenchées le 16 septembre par la mort de cette jeune femme qui avait enfreint le code vestimentaire strict du pays. Des "émeutes" encouragées par l'Occident, en particulier par les Etats-Unis, selon l'Iran.

Un contexte politique radicalement différent

Le match de mardi peut-il être l'occasion pour les joueurs iraniens et américains de dénoncer, par un geste, le sort des femmes en Iran ? "Ce serait quand même une image très, très forte. Imaginons un instant des joueurs des Etats-Unis qui soutiennent, par exemple, Mahsa Amini et le mouvement en Iran, et pas les joueurs de la sélection iranienne", évoque Farid Vahid, directeur de l'Observatoire de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient à la Fondation Jean-Jaurès et spécialiste de l'Iran auprès de l'AFP.

Lors du premier match contre l'Angleterre, les joueurs iraniens n'avaient pas chanté l'hymne national avant de timidement l'entonner lors de la deuxième rencontre, face au pays de Galles. "C'est la première fois qu'on a une équipe iranienne aussi engagée politiquement et qui va assumer le coût de son engagement", résume à l'AFP Jean-Baptiste Guégan, co-auteur du livre Atlas géopolitique du sport. Rien à voir avec l'équipe de 1998, donc. A l'époque, le monde était "unipolaire", avec les Etats-Unis comme unique grande puissance mondiale, rappelle-t-il.

Quasiment un quart de siècle plus tard, les relations entre les deux pays ont évolué. Elles se sont réchauffées en 2015 avec la signature de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien dans lequel l'Iran s'engageait à ne pas chercher à obtenir d'arme nucléaire. Mais l'élection de Donald Trump, en 2016, synonyme de sortie des Etats-Unis de cet accord deux ans plus tard, a marqué une rupture.

Depuis plusieurs mois, les Américains tentent de négocier avec l'Iran pour revenir dans l'accord, sans pour autant entrevoir une entente. Dans ce contexte, l'annonce des premières manœuvres iraniennes pour produire de l'uranium enrichi dans son usine de Fordo, contre de l'accord de Vienne, n'a pas envoyé de signaux d'apaisement. Selon Mahnaz Shirali, sociologue spécialiste de l'Iran interrogée par franceinfo, le régime brandit l'enrichissement nucléaire afin de "détourner la communauté internationale de ce qui se passe à l'intérieur de l'Iran, de ce qui se passe avec le peuple iranien qui est contre ce régime".

Un match instrumentalisé ?

Le résultat de la rencontre pourrait aussi servir de propagande à la République islamique, estiment les spécialistes. "C'est un match très important", acquiesce Farid Vahid, une victoire ferait "la une des journaux conservateurs avec tout un narratif politique de la victoire de la République islamique contre ces Etats-Unis impérialistes". Après la victoire de la "Team Melli" face au pays de Galles (2-0), vendredi dernier, le Guide suprême Ali Khamenei a déjà exprimé sa satisfaction sur Twitter, expliquant que les joueurs avaient "rendu la nation iranienne heureuse".

Dans ce contexte tendu, les sélectionneurs des deux équipes se sont employés lundi à circonscrire ce duel à son enjeu purement sportif. Interrogé pour savoir s'il allait se servir de l'incident du drapeau comme levier pour motiver ses troupes, le patron de l'équipe nationale iranienne, le Portugais Carlos Queiroz, s'en est sorti par une pirouette : "Si après 42 ans de carrière, j'étais persuadé que je pouvais gagner des matchs avec ce genre de guerre psychologique, je n'aurais rien compris à ce sport."

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