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Coupe du monde 2022 : les joueurs de l'Iran, silencieux pendant leur hymne, exprimaient-ils leur opposition à la répression politique dans leur pays ?

Avant leur arrivée au Qatar, déjà, des gestes et des messages plus ou moins explicites de certains joueurs de l'Iran avaient révélé leur soutien au mouvement de contestation du régime.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Les joueurs de l'équipe d'Iran restent silencieux pendant l'hymne national de leur pays avant leur entrée en lice à la Coupe du monde, contre l'Angleterre, le 21 novembre 2022 à Doha (Qatar). (FADEL SENNA / AFP)

L'annonce des joueurs sélectionnés pour un Mondial est toujours un moment attendu. En Iran, le suspense a duré plus longtemps que prévu. La conférence de presse du sélectionneur Carlos Queiroz a été annulée au dernier moment, dimanche 13 novembre, alimentant les rumeurs : le pouvoir tentait-il d'imposer l'exclusion de certains joueurs pour des motifs politiques ?

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Depuis septembre, l'Iran est secoué par un mouvement de contestation du régime dont la répression a fait près de 350 morts, selon l'ONG Iran Human Rights. Plusieurs gestes symboliques de l'équipe nationale de football ont laissé deviner un soutien aux manifestants. L'attaquant Sardar Azmoun, plus grande star du foot iranien, a exprimé très clairement son opinion sur les réseaux sociaux. Au risque d'être débarqué ? L'épisode reste auréolé de mystère, mais le joueur figurait finalement dans la liste communiquée par son entraîneur.

Se remettant d'une blessure, il n'était pas titulaire lors du premier match de l'Iran, lundi 21 novembre contre l'Angleterre. Quand l'hymne de la république islamique a retenti à Doha, ses coéquipiers sur le terrain ont choisi de rester ostensiblement silencieux. Beaucoup y ont vu une condamnation implicite du régime et de la répression.

Un message contre la répression effacé

Scrutés dès leur entrée sur le terrain, dans leur pays comme dans le reste du monde, les joueurs iraniens ont déjà, ces dernières semaines, posé des gestes porteurs d'un sous-texte politique. Le 27 septembre, moins de deux semaines après la mort de Mahsa Amini, les onze Iraniens alignés contre le Sénégal, en Autriche, étaient arrivés vêtus d'une parka noire dépourvue du logo de leur fédération. Une partie d'entre eux s'étaient abstenus ostensiblement de chanter l'hymne national, certains gardant la tête baissée. Ils n'affichaient pas davantage d'enthousiasme à Téhéran le 10 novembre, avant d'affronter le Nicaragua.

Le message est implicite, mais clair, juge l'historien du Moyen-Orient Jonathan Piron, interrogé par franceinfo avant le Mondial. "S'ils ne voulaient pas donner prise à ces interprétations, ils chanteraient l'hymne", affirme-t-il.

Sur Instagram, certains joueurs se sont exprimés de façon plus directe. "Cela ne pourra pas être effacé de notre conscience. Honte à vous", a écrit Sardaz Azmoun fin septembre. L'attaquant du Bayer Leverkusen (Allemagne) a aussi levé le voile sur l'ambiance pesante autour du match amical contre le Sénégal : "En raison des règles restrictives autour de la Team Melli, je ne pouvais rien dire", affirmait-il, assurant qu'il préférait risquer l'exclusion du Mondial au silence.

Son message a ensuite disparu, comme ceux de plusieurs de ses coéquipiers. Son profil a même, un temps, été vidé de tous ses contenus. Le joueur de 27 ans a ensuite présenté des "excuses" à ses coéquipiers pour ses "actions précipitées". Depuis, d'autres publications sur le réseau social ont laissé peu de doutes sur ses opinions. Dans un message de soutien à l'équipe féminine de volley iranienne, il écrit notamment que la mort de Mahsa Amini "a laissé une douleur dans le cœur de la nation que l'histoire n'oubliera jamais".

Un sport populaire et politique en Iran

De tels messages ont un poids à la hauteur de l'engouement pour le football en Iran. "Il y a un nationalisme très fort en Iran", observe Christian Bromberger, ethnologue et professeur émérite à l'Université Aix-Marseille, qui a travaillé sur le football iranien. "Même si vous êtes un Iranien de la diaspora installé à Los Angeles et que vous pourfendez le régime, la Team Melli est importante et vous la soutenez""Le mot 'Melli' signifie 'nation' en farsi, et ce surnom exprime l'idée que la sélection nationale représente le peuple", et non le régime, ajoute Jonathan Piron, également chercheur associé au Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité à Bruxelles. 

Ce qui ne veut pas dire que l'équipe soit toujours restée apolitique. En 2009, quand l'Iran était secoué par la "révolution verte", contestant la réélection du conservateur Mahmoud Ahmadinejad, plusieurs joueurs dont la star Ali Karimi avaient porté des bracelets verts lors d'un match en Corée du Sud. L'Iran avait annoncé leur exclusion à vie, avant de faire marche arrière, sous la pression de la Fifa. 

Les joueurs de l'Iran Mohammad Nosrati (à gauche) et Ali Karimi (au centre) portant des bracelets verts, en soutien aux manifestations contre la réelection du président Mahmoud Ahmadinejad, lors d'un match contre la Corée du Sud à Séoul, le 17 juin 2009. (LEE JIN-MAN / AP / SIPA)

La question des droits des femmes, au cœur du mouvement de protestation actuel, a aussi des liens avec le football, car l'accès aux stades est une des revendications anciennes des militantes iraniennes. "Les esprits restent particulièrement marqués par la mort de celle qu'on surnomme 'la fille en bleu'", raconte Jonathan Piron. Sahar Khodayari, 29 ans, s'était immolée en septembre 2019 devant un tribunal où elle devait être jugée pour avoir assisté illégalement, déguisée en homme, à un match du club d'Esteghlal, dont le bleu est la couleur.

Un appel à scander le nom de Mahsa Amini

Les liens entre football iranien et contestation du régime ont cependant pris une ampleur peu commune depuis septembre, même si certains Iraniens ont reproché aux joueurs de l'équipe nationale de ne pas s'engager plus explicitement. L'ancienne star Ali Karimi multiplie les prises de position, estimant notamment que "rien ne pourrait effacer cette ignominie" que représente la mort de Mahsa Amini. Ali Daei, meilleur buteur de l'histoire de la sélection, a exhorté le régime à "régler les problèmes du peuple iranien plutôt que de recourir à la répression, à la violence et aux arrestations".

Si le premier a quitté le pays, le second se trouve toujours en Iran et a annoncé refuser une invitation des organisateurs du Mondial pour rester auprès de son peuple. Sa popularité est "extraordinaire", rappelle Christian Bromberger, pour qui son engagement a un véritable poids. Leurs deux noms ont été scandés par des supporters iraniens en tribune pour le match face à l'Angleterre, a assuré un journaliste de France 24 sur place.

Reste à savoir quelle sera la réaction du pouvoir iranien face au silence de ses joueurs lors de l'hymne ou à d'éventuels autres gestes politiques. "Il va falloir voir comment cette équipe va se comporter et comment leurs gestes vont être compris en Iran", observe Jonathan Piron, qui s'attendait, avant le Mondial, à des actes "implicites" plutôt qu'à une expression claire de soutien aux manifestants. La télévision d'Etat tentera-t-elle de couper les images ? A l'heure du satellite, la méthode ne suffirait sans doute pas. Laisser les footballeurs s'exprimer pourrait aussi faire office de "soupape", analyse l'historien. D'autant que la Team Melli, pas favorite dans un groupe qui compte l'Angleterre, les Etats-Unis et le pays de Galles, pourrait bien ne passer qu'une petite semaine sous les projecteurs au Qatar avant d'être éliminée.

Des activistes sont cependant bien décidées à profiter de cette fenêtre pour "rappeler au monde ce qui se passe en Iran" la militante des droits des femmes Negin Shiraghaei et Masih Alinejad, militante iranienne installée à New York, demandent aux spectateurs de scander le nom de Mahsa Amini à la 22e minute de chaque match de l'Iran, en référence à l'âge auquel la jeune femme est morte sous les coups de la police des mœurs.

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