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JO 2022 : boycott, droits de l’homme, écologie... Comment la Chine répond-elle aux critiques internationales ?

Grâce à ses premiers Jeux d'hiver, qui démarrent officiellement vendredi, la Chine veut montrer à la face du monde sa puissance. Néanmoins, Pékin doit faire face à de nombreux reproches contre lesquels elle utilise différentes stratégies, de la menace à la propagande verte.

Article rédigé par franceinfo: sport - Kévin Veyssière, fondateur du FC Geopolitics
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le président chinois, Xi Jinping, visite l'Anneau national de patinage de vitesse à Pékin, le 4 janvier 2022. (SHEN HONG / XINHUA /AFP)

"L'administration Biden n'enverra aucune représentation diplomatique ou officielle aux Jeux olympiques et paralympiques d'hiver de Pékin 2022, étant donné le génocide et les crimes contre l'humanité en cours de la République populaire de Chine au Xinjiang." C’est par cette déclaration de la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, que Washington a annoncé, le 6 décembre, un boycott diplomatique de l'événement, à commencer par la cérémonie d'ouverture, vendredi 4 février.

Plusieurs des principaux alliés des Etats-Unis (Australie, Canada, Royaume-Uni) ont rapidement suivi cette position, que Pékin qualifie de "manipulation politique". La Chine a prévenu que les pays participant à ce boycott en "paieraient le prix".

"Le régime chinois a surréagi"

On ne connaît toujours pas les véritables répercussions de cette réponse abstraite, qui s’inscrit dans un agenda international particulièrement tendu (guerre économique, Hong-Kong, Taïwan) entre les Etats-Unis et la Chine. Pour Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques"le régime chinois a surréagi", montrant du même coup que ce boycott "ne lui était pas indifférent". Lors de la cérémonie d'ouverture, vendredi, Pékin "va vouloir mettre en avant les pays présents et expliquer les absences par une jalousie à son égard et le fait que l’Occident n’accepte pas que la Chine soit de nouveau debout sur ses deux pieds", prédit l'auteur du livre Géopolitique du sport (2014).

Au final, le boycott, qui s’étend à seulement sept pays (sur 91 participants), ne devrait faire que peu d’ombre aux festivités du Stade national de Pékin, où les délégations d’athlètes seront bien présentes. Côté tribunes, la présence des représentants diplomatiques officiels sera cependant scrutée, en particulier celle de Vladimir Poutine, dans un contexte où la Chine soutient la position de la Russie dans la crise ukrainienne.

Vladimir Poutine et Xi Jinping lors d'un sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai à Qingdao, le 10 juin 2018. (WANG ZHAO / AFP)

La cérémonie comptera d’autres chefs d’Etat importants comme Abdel Fattah al-Sissi (Egypte), Mohammed ben Salmane (Arabie Saoudite) ou encore Kassym-Jomart Tokaïev (Kazakhstan). Selon Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et enseignant à Sciences Po, "Pékin adoptera une communication positive et utilisera la cérémonie d'ouverture pour mettre en avant les 'vrais amis' de la Chine, et critiquer ceux qui sont présentés comme influencés par les Etats-Unis. L’idée pour Pékin n'est surtout pas de minimiser ce boycott, mais au contraire de l’assumer et presque de s'en vanter".

"L’argument sera non seulement que les Etats-Unis veulent politiser ces Jeux, mais surtout que les Américains sont en réalité isolés, incapables de fédérer l’ensemble de leurs alliés dans ce boycott, dont la France, et donc que les Etats-Unis ne sont pas aussi puissants qu’ils le disent."

Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique

au FC Geopolitics

L'idée d'un boycott a en effet été jugée par Emmanuel Macron comme "tout petit et symbolique", mais Paris a envoyé seulement la ministre déléguée aux Sports, Roxana Maracineanu, pour "soutenir les athlètes". Elle ne sera même pas présente au stade vendredi.

A l’épreuve du Covid-19 et de l’affaire Peng Shuai

Ce n’est donc pas cette question du boycott qui met le plus en difficulté le régime communiste, mais plutôt la situation sanitaire du pays. La Chine connaît en effet une reprise épidémique (Pékin a enregistré le 30 janvier le plus grand nombre de cas de Covid-19 depuis 18 mois) alors même qu’elle poursuit sa politique "zéro Covid". Cette dernière visait à montrer la supériorité de son modèle à l’international.

Dès lors, Pékin se retrouve dans une position d’équilibriste : il lui faut à la fois maintenir sa ligne sanitaire intérieure tout en accueillant un événement sportif international de grande ampleur. Pour ce faire, la Chine a mis en place une bulle sanitaire particulièrement stricte afin d'éviter tout contact entre les participants aux JO et le reste de la population chinoise. Une bulle elle aussi confrontée à la reprise épidémique, puisqu’une centaine de participants ont déjà été testés positifs.

Contrôler les Jeux avec une boucle fermée de sites et d’hôtels, d'accord, mais qu'en est-il du contrôle des athlètes ? Selon un laboratoire de recherche canadien, Citizen Lab, l'application servant de pass sanitaire aux participants comporterait des failles de sécurité permettant d'espionner les conversations. Des failles corrigées depuis, selon la Chine, même si plusieurs pays conseillent à leurs délégations de rester prudentes. Si un contrôle malveillant de la part des autorités était avéré, cela "serait totalement contre-productif pour le régime et créerait un immense scandale bien au-delà des simples Jeux", estime Pascal Boniface.

Ces craintes sont d’autant plus fortes que l’affaire Peng Shuai a marqué ces derniers mois la communauté internationale. La championne de tennis chinoise avait en effet disparu en novembre après avoir accusé un ancien haut responsable du Parti communiste de viol. Ses allégations ont été par la suite effacées d'internet. Cette disparition dépasse le simple cadre du sport, avec une mobilisation importante de l’opinion publique à travers le monde, illustrée par l’hashtag #WhereIsPengShuai.

Deux spectateurs de la finale femmes de l'Open d'Australie avec des t-shirts "Où est Peng Shuai ?", le 29 janvier 2022 à Melbourne.  (WILLIAM WEST / AFP)

Pour Antoine Bondaz, "les autorités veulent à tout prix éviter que des athlètes y fassent référence, notamment car cette affaire est restée censurée en Chine". Cependant, "si Pékin aura la main lors de la cérémonie d'ouverture, cela risque d'être bien plus difficile par la suite. Non pas tant lors des épreuves, mais en marge de celles-ci avec des athlètes qui pourraient être tentés de faire passer des messages politiques. Ce ne serait pas la première fois et pas propre à des JO en Chine".

La ligne du Comité international olympique reste claire à ce sujet, avec l'interdiction pour les athlètes de manifester ou de faire passer des messages politiques sur les podiums et sur les terrains de sport des Jeux olympiques, bien que cette neutralité du sport ait déjà été contestée lors des Jeux de Tokyo, l'an passé.

Ces considérations internationales ne doivent pas occulter le fait que ces JO ont surtout un enjeu intérieur. Pour Jean-Baptiste Guégan, consultant en géopolitique du sport, ils "s’inscrivent aussi dans le cadre des prochaines élections du Congrès du Parti communiste chinois à l’automne 2022. Xi Jinping souhaite faire de ces Jeux de Pékin un storytelling national pour favoriser sa réélection". Ce récit national veut  montrer que, au-delà de l’organisation des JO, le régime chinois peut développer une industrie des sports d’hiver au service de la nouvelle classe moyenne chinoise, qui a ainsi la possibilité d'accéder à une nouvelle offre de loisirs haut de gamme.

L’habituelle course aux médailles, comme aux JO d’été, ne sera pas donc pas l’enjeu principal, faute de champions chinois. Depuis leur première participation en 1980 aux Jeux d’hiver de Lake Placid, les athlètes chinois n'ont remporté que 62 médailles, contre 634 aux JO d’été. La délégation n’a terminé qu’à la 16e place au tableau des nations lors des JO 2018.

Des Jeux "verts"... avec une neige artificielle

Cette absence de tradition des sports d’hiver a été d’ailleurs l’une des principales critiques émises lorsque Pékin a été désignée comme hôte pour 2022. Elle est la première ville à accueillir à la fois les JO d’été et les JO d'hiver. Si la Chine n’avait alors que pour seul concurrent le Kazakhstan (avec Almaty), sa capitale reste tout de même située dans une zone semi-aride dépourvue de neige.

Des manifestants de plusieurs organisations de défense des droits de l'homme protestent contre la tenue à Pékin des Jeux olympiques d'hiver de 2022, le 23 juin 2021, à Berlin. (CHRISTOPH SOEDER / DPA / AFP)

Qu’importe ! La Chine jure qu'elle va organiser des Jeux "verts" et "propres" axés autour du développement durable, avec l'utilisation d’anciens sites des JO de 2008, l'intégralité de l'électricité consommée d'origine renouvelable, ou encore l'amélioration de la qualité de l’air… Toutefois, la nature revient au galop puisque la principale préoccupation reste l’absence de neige. Pour la première fois de l’histoire des JO d’hiver, les épreuves se dérouleront sur une neige 100% artificielle. Au total pour ces Jeux 2022, près de deux millions de mètres cube d’eau seront utilisés pour produire la poudreuse.

La Chine est "bien consciente" des critiques, assure Jean-Baptiste Guégan. "Plutôt que de subir, le régime assume pleinement sa stratégie de développer une industrie verte et d’inscrire ces Jeux dans la durabilité, de proposer les Jeux d’hiver de demain qui devront inéluctablement à l’avenir se passer de neige", explique l'expert. En effet, la tendance est à la hausse : 90% de neige artificielle était utilisée il y a quatre ans à Pyeongchang et 80% à Sotchi, en 2014. C’est pourquoi, en amont de l’événement, la Chine communique tant sur ses prouesses technologiques pour réduire l’empreinte carbone, ses canons à neige, et ses installations dernier cri.

Il est vrai qu’en l’absence de public étranger, la réussite de ces Jeux reposera plus sur l’expérience télévisuelle et la qualité des infrastructures chinoises que sur la ferveur populaire. Il n’en demeure pas moins que l’organisation de cet événement sportif, dans de telles conditions climatiques, relance le débat des limites auxquelles peut être confronté le grand divertissement mondial qu’est devenu le sport. Un débat auquel est déjà confrontée la prochaine Coupe du monde au Qatar. La planète vibre pour le sport, oui, mais à quel prix ?

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