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JO 2021 : malgré l'interdiction du CIO, les protestations et les gestes politiques se multiplient sur les podiums à Tokyo

Le week-end dernier, une lanceuse de poids américaine et un compatriote de l'équipe masculine d'escrime ont bravé l'article 50 de la charte olympique qui interdit tout acte politique sur les podiums et pendant les cérémonies. La liste des contrevenants pourrait s'allonger en deuxième semaine. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
La lanceuse de poids américaine Raven Saunders fait une croix avec ses bras en soutien aux personnes opprimées, sur le podium de l'épreuve olympique de Tokyo, le 1er août 2021. (INA FASSBENDER / AFP)

"Le podium et les cérémonies ne sont pas faits pour une manifestation politique. Ils sont faits pour honorer les athlètes et les médaillés pour leurs exploits sportifs, pas pour leurs opinions qui doivent rester privées." Le cadre a été posé clairement par le président du Comité international olympique Thomas Bach, dans une interview au Financial Times. Après consultation des athlètes, le fameux article 50 de la charte olympique a été assoupli. Les manifestations politiques avant les compétitions, oui, mais pas sur les podiums retransmis en mondovision. Depuis quelques jours, des athlètes ont décidé de braver l'interdit aux Jeux de Tokyo.

Dimanche 1er août, c'est la lanceuse de poids américaine Raven Saunders qui a formé une croix avec ses bras alors qu'elle recevait sa médaille d'argent. Un geste de soutien aux opprimés, a-t-elle expliqué au site TheGrio : "C'est l'intersection où toutes les personnes opprimées se retrouvent." La championne, qui a reconnu souffrir de dépression, a ensuite vivement réagi à l'annonce de l'ouverture d'une enquête par le CIO : "Qu'ils essayent seulement de prendre ma médaille. Je fuirai le pays, même si je ne sais pas nager !"

Ce "X", formé par deux bras croisés, va-t-il s'imposer comme le geste qui marquera les Jeux de Tokyo, à l'image du poing ganté de noir de Tommie Smith et John Carlos après la finale du 200 m des Jeux de Mexico en 1968 ? Quelques heures après le geste de Raven Saunders, l'escrimeur américain Race Imboden a lui aussi laissé apercevoir un "X "cerclé sur sa main droite au moment de grimper sur le podium de l'épreuve de fleuret par équipes. L'escrimeur a expliqué au Guardian (article en anglais) avoir hésité à poser un genou à terre, comme il l'avait fait en 2019 lors des Jeux panaméricains. Avant de renoncer et d'opter pour un mode de protestation plus discret. Il y a un mois, il faisait partie des 150 signataires demandant plus de souplesse au CIO dans une lettre ouverte (en anglais) : "Je pense que l'article 50 bâillonne les athlètes."

La remise de la médaille de bronze à l'équipe américaine de fleuret, le 1er août 2021, aux JO de Tokyo. Race Imboden, le premier escrimeur à gauche, a dessiné une croix sur sa main, en soutien aux opprimés. (ELSA / GETTY IMAGES ASIAPAC)

Quitte à être bâillonné, autant faire passer le message sur son visage. C'est la solution qu'ont retenue d'autres escrimeurs américains (cette fois-ci, les épéistes) non pas sur le podium, mais au moment de leur entrée en compétition, samedi 31 juillet : trois d'entre eux portaient un masque rose, couleur des droits des femmes, sur le nez et la bouche. Une façon de protester contre l'intégration dans l'équipe d'Alen Hadzic, l'un des membres de leur propre délégation, accusé par trois femmes d'agressions sexuelles, et qui, lui, portait un masque noir. Ce dernier logeait seul en-dehors du village olympique, après une action collective de ses coéquipiers dévoilée par USA Today (article en anglais) : "Les athlètes de l'équipe ont exprimé des inquiétudes pour leur sécurité et leur bien-être en raison de votre présence", ont-ils expliqué à Alen Hadzic. Il a été suspendu dans un premier temps de l'équipe américaine avant que la justice n'invalide la décision, jugée "disproportionnée".

La série n'est probablement pas finie. Plusieurs athlètes américains de premier plan ont affiché leur intention de ne pas se soumettre à l'article 50. Comme la lanceuse de marteau Gwen Berry, qui a déjà posé le genou à terre sur le podium des Jeux panaméricains de 2019, puis tourné le dos au drapeau pendant l'hymne aux sélections américaines. Interrogée par le Los Angeles Times (article en anglais), elle n'a pas fait mystère qu'un nouveau coup d'éclat pouvait arriver. "Mon but est de représenter les opprimés. C'est le message que je porte depuis trois ans. Je veux réveiller les consciences sur ce qui se passe dans le monde, et surtout aux Etats-Unis." Le sprinteur Noah Lyles, qui court le 200 mètres avec un poing ganté de noir pourrait aussi se manifester en cas de podium.

Pourquoi autant d'Américains et si peu d'athlètes d'autres pays (à l'exception notable de la gymnaste costaricienne Lucian Alvarado et de quelques footballeuses) ? Simplement parce que le comité olympique des Etats-Unis a déjà annoncé qu'il ne sanctionnerait pas les athlètes qui prendraient position, alors que c'est théoriquement lui qui doit appliquer les décisions du CIO. Lequel CIO n'a pas vraiment précisé à quel genre de sanctions s'exposeraient les contrevenants, souligne le site spécialisé Inside The Games (article en anglais).

Un apéritif avant les JO d'hiver de Pékin ?

Histoire de complexifier le tout, certaines fédérations internationales ont adopté une politique plus stricte, comme en natation où tout genou à terre est proscrit même avant les courses... Le patron des Jeux de Los Angeles 2028, Casey Wasserman, a démarré voilà un an une intense campagne de lobbying pour faire sauter cette règle. "Je pars du principe qu'être contre le racisme n'est pas une posture politique, déclare-t-il dans le New York Times (article en anglais). Et je pense que vu le rôle que les athlètes jouent aujourd'hui, l'écho que prennent leurs propos, ils ne vont pas s'arrêter."

Ce n'est peut-être que le début des ennuis pour le CIO, qui voit arriver avec inquiétude les Jeux d'hiver à Pékin (2022), en plein contexte de crise diplomatique autour de la question du traitement des Ouïghours. L'article 50 sera sans doute encore plus contesté dans six mois dans la capitale chinoise.

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