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"Près d'un mois et toujours aucune trace de notre ami" : à Nantes, les proches de Steve veulent connaître la vérité sur sa disparition

Le jeune homme de 24 ans n'a plus donné signe de vie depuis une charge des policiers au bord de la Loire, la nuit de la Fête de la musique. 

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Des manifestants rassemblés le long de la Loire à Nantes (Loire-Atlantique), le 21 juin 2019, dans l'espoir de retrouver le jeune homme disparu lors de la Fête de la musique. (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

"Si c'était le fils d'un élu, on l'aurait déjà retrouvé." Au téléphone, Mathis est en colère. "Révolté", même. Voilà près d'un mois que son ami Steve Maia Caniço est porté disparu. On a perdu sa trace dans la nuit du 21 au 22 juin, après une charge de la police venue disperser une soirée techno organisée sur les bords de Loire à Nantes (Loire-Atlantique), à l'occasion de la Fête de la musique. Depuis, les proches du jeune homme de 24 ans ont "beaucoup de questions mais peu de réponses".

Une source proche du dossier assure pourtant à franceinfo que des recherches ont lieu "tous les jours". Des plongeurs des sapeurs-pompiers quadrillent la Loire à la recherche d'indices. Le quai Président-Wilson est une des zones privilégiées car c'est ici que le téléphone de Steve Maia Caniço a borné "pour la dernière fois", indique Ouest-France. C'est aussi ici que se déroulait la soirée techno "interrompue par la police à coups de gaz lacrymogènes et de matraques". Lors de cette intervention, au moins 14 personnes sont tombées dans la Loire, dont "très probablement" l'animateur périscolaire, qui ne savait pas nager.

Les proches du disparu continuent de se mobiliser de leur côté. "On vient tous les jours nous aussi, affirme Mathis à franceinfo. On se relaie de 9 heures à 23 heures pour surveiller le fleuve."

On fait ça avec les moyens du bord. On n'a pas le matériel des pompiers. Mais c'est important d'être là, de nous retrouver.

Mathis

à franceinfo

Et l'attente est insoutenable. "Les recherches n'avancent pas ou du moins pas assez vite, regrette Morgan auprès de franceinfo. Vous vous rendez compte, trois semaines et toujours aucune trace de notre ami. Ce n'est pas acceptable, encore moins pour sa famille qui n'attend que de pouvoir faire son deuil." "La Loire est un fleuve sauvage avec des forts courants, souligne une source proche du dossier. La boue présente en bordure des quais est un obstacle à prendre en compte."

"Les choses traînent, c'est louche"

A ce jour, ce n'est pas une mais plusieurs enquêtes qui sont en cours. Le procureur de Nantes a annoncé, mardi 16 juillet, l'ouverture d'une enquête pour "mise en danger de la vie d'autrui et violences volontaires par personnes dépositaires de l'autorité publique". Cette dernière, qui vise l'action des policiers dans la nuit du 21 au 22 juin, fait suite à la plainte collective déposée au début du mois par 85 participants à la soirée. Cette enquête judiciaire a été confiée à l'Inspection générale de la police nationale, déjà chargée d'une enquête administrative dans la même affaire. La disparition de Steve Maia Caniço fait aussi toujours l'objet d'une information judiciaire pour "rechercher les causes" de celle-ci. Quant au Défenseur des droits, il a également précisé qu'il s'auto-saisissait de l'affaire.

Presque un mois après, famille et amis ont malgré tout "le sentiment de se faire balader". "On essaie d'enfouir la vérité et c'est insupportable", s'agace Mathis, qui connaît Steve depuis cinq ans. "Les choses traînent, c'est louche." 

De son côté, Samuel Raymond n'est pas près d'oublier l'heure qu'il a passé dans les bureaux de la préfecture de Loire-Atlantique le 3 juillet dernier. "On avait rendez-vous pour essayer de comprendre ce qui avait pu se passer", raconte à franceinfo le coordinateur national de l'association Freeform, qui défend les organisateurs d'événements festifs auprès des pouvoirs publicsIl a surtout été marqué par "la froideur" et "le manque d'empathie" des fonctionnaires assis en face de lui. 

On sentait comme du mépris. Ils n'ont eu aucun mot pour nous rassurer. On ne s'attendait pas à un tel accueil dans pareilles circonstances.

Samuel Raymond

à franceinfo

Samuel Raymond pense avoir quelques explications : "Il y a une grosse stigmatisation. Pour les pouvoirs publics, les gens présents ce soir-là à Nantes étaient forcément des toxicos, marginalisés et violents. Donc des sous-citoyens qui méritent moins d'attention. C'est tellement loin de la vérité."

C'est comme s'ils jouaient à courte-paille pour désigner le responsable.

Samuel Raymond

à franceinfo

Auprès de Libération, la mère de Steve déplore "les gros points d'interrogation qui perdurent. Les mêmes qu'au départ". Pour elle, "il n'y a eu aucun éclaircissement" sur la disparition de son fils. Un journaliste localier ne dit pas autre chose. "C'est très compliqué d'avoir des infos, résume ce reporter joint par franceinfo. Normalement, dans ce type d'affaire, il y a des conférences de presse régulièrement. Là, c'est service minimum. Il a fallu attendre ce mardi pour que le procureur communique." Sollicitée, la préfecture de Loire-Atlantique a refusé de nous répondre, rappelant simplement que "les recherches ont lieu dans le cadre d'une enquête judiciaire".

"L'Etat se met en faute"

Localement, les élus nantais ont rapidement pris la parole. Première à dégainer : la maire socialiste de Nantes. Dans son courrier rendu public le 25 juin, Johanna Rolland demande au préfet de Loire-Atlantique de faire la lumière sur "les modalités d'intervention des forces de l'ordre" qui posent "d'importantes questions et soulèvent une forte émotion". Avant de taper du poing sur la table : "La vérité doit être connue sur la stratégie de sécurité adoptée à cette occasion et sur les responsabilités qui doivent être clairement établies."

De son côté, Michelle Meunier, la sénatrice de Loire-Atlantique, a appelé l'Etat à "changer de doctrine de maintien de l'ordre" car "la mission des forces de l'ordre est de s'assurer de la protection de la population, pas de sa mise en danger".

A ce jour, la charge la plus violente vient certainement des rangs de La République en marche. Dans une tribune publiée sur Facebook, le député nantais Mounir Belhamiti fustige la réaction du préfet. "Lorsque la première réponse de l'Etat, par la voix de son représentant, et avant même que ne soit diligentée l'enquête de l'IGPN, consiste à déclarer, trois jours après les faits, que l'intervention policière s'est déroulée de manière proportionnée, je le dis sans ambages : l'Etat se met en faute", écrit l'élu de la majorité.

Nul ne saurait considérer comme proportionnée une intervention qui conduit une dizaine de jeunes à se jeter dans la Loire.

Mounir Belhamiti 

à franceinfo

En revanche, vue de Paris, la disparition de Steve Maia Caniço semble beaucoup moins émouvoir. Rien à voir en tout cas avec les réactions politiques provoquées à l'époque par la mort du militant écologiste Rémi Fraisse, touché par le tir de grenade d'un policier en 2014. "C'est clair qu'il y a comme un silence dérangeant, admet à franceinfo le député insoumis Eric Coquerel. Tous les élus, de tous bords politiques, devraient être mobilisés pour faire pression. Mais clairement, ce n'est pas le cas. Quand on interpelle le gouvernement sur ce dossier, on se sent seuls." Le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a fini par consacrer un post de blog à l'affaire le 10 juillet... soit plus de deux semaines après la disparition de Steve.

Dans les rangs d'Europe Ecologie-Les Verts, on reconnaît ne pas avoir "été assez proactif. C'est un vrai raté". "Mais il n'y a aucune frilosité de notre part. On a tous eu peur d'apparaître comme voulant récupérer un drame", se défend Julien Bayou, le porte-parole du parti écologiste, dans les colonnes du Monde. Chez les socialistes, on dit souhaiter respecter la volonté de la famille. "On ne veut pas être dans la surenchère permanente sur des sujets aussi délicats. Nous ne savons pas ce qui s'est passé, il faut que l'enquête soit menée à son terme", se justifie Pierre Jouvet, porte-parole du Parti socialiste.

C'est d'ailleurs "parce qu'il ne devrait pas y avoir de silence gêné autour de la disparition de Steve mais une colère et des voix pour s'indigner" que Cécile Duflot a publié un long texte sur Mediapart le 15 juillet. L'ancienne ministre s'interroge : "D'où vient ce silence, cette habituation à ne plus oser dire que la mission du maintien de l'ordre est fondamentale mais plus encore celle de la paix civile, du respect des droits fondamentaux : de la liberté de s'exprimer, de manifester, de s'opposer ?"

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