Comment Taylor Swift a bâti un empire économique autour de sa musique pour trôner parmi les artistes les plus influents de la planète

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Taylor Swift en concert au SoFi Stadium d'Inglewood, dans la banlieue de Los Angeles (Californie, Etats-Unis), le 7 août 2023. (ALLEN J. SCHABEN / LOS ANGELES TIMES / GETTY IMAGES)
La chanteuse américaine, dont la fortune est estimée à plus d'un milliard de dollars, a été élue mercredi "personnalité de l'année" par le magazine "Time".

En une quinzaine d'années, Taylor Swift est passée de vedette de la country aux Etats-Unis à l'une des plus influentes popstars mondiales. La chanteuse américaine a été désignée, mercredi 6 décembre, personnalité de l'année 2023 par le magazine américain Time. A 33 ans, elle est la "première personnalité du monde des arts" à recevoir ce prestigieux titre "pour son succès en tant qu'artiste", a dévoilé Sam Jacobs, le rédacteur en chef du magazine, dont les honneurs sont d'ordinaire davantage réservés aux dirigeants politiques et économiques. "Une grande partie de ce que [Taylor] Swift a accompli en 2023 est incommensurable", reconnaît-il.

Début décembre, Taylor Swift est devenue la première artiste vivante à placer simultanément cinq de ses albums dans le top 10 du Billboard 200, le classement de référence des ventes aux Etats-Unis. Sur Spotify, elle est l'artiste la plus écoutée dans le monde en 2023 et la deuxième artiste féminine la plus streamée en France. La chanteuse ne cesse d'enchaîner les succès et les records. A tel point que sa fortune est désormais estimée à plus d'un milliard de dollars, selon l'agence américaine Bloomberg News. Car l'interprète de Shake It Off et Cruel Summer est aussi une redoutable femme d'affaires, qui a su tirer le maximum de profit de sa musique.

Une "militante" des droits d'auteur

De la country de ses débuts jusqu'à ses morceaux plus folk ou électro-pop en passant par son virage pop dans les années 2010, Taylor Swift a conquis un large public. Le magazine Billboard plébiscite "une discographie qui semble pouvoir s'adresser à presque tous les types d'auditeurs". Un catalogue dont la chanteuse a justement entrepris de reprendre le contrôle total. A la suite du rachat de son ancienne maison de disques par un magnat de l'industrie musicale, Taylor Swift a annoncé en 2019 le ré-enregistrement de ses six premiers albums, dont elle ne détenait pas les droits des enregistrements originaux.

"Je pense que les artistes devraient être propriétaires de leur œuvre."

Taylor Swift

dans une interview télévisée en 2019

"C'est une militante des droits des artistes", considère auprès de l'AFP Ralph Jaccodine, professeur au Berklee College of Music de Boston. "Elle a construit sa propre marque et à chaque fois qu'elle a gagné en succès, elle a pris de plus en plus le contrôle", observe le spécialiste. Pour l'heure, quatre premiers réenregistrements sont parus. Le 27 octobre, la dernière réédition, 1989 (Taylor's Version) qui contient plusieurs de ses tubes comme Blank Space et Style, lui a permis de décrocher le titre de l'artiste la plus écoutée en 24 heures sur Spotify. Et de battre le précédent record qu'elle avait elle-même établi en 2022 à la sortie de son album Midnights, note le magazine Variety.

Le pari était toutefois loin d'être gagné. "Il n'y avait aucune garantie que ses fans adoptent les versions ré-enregistrées et renoncent aux originaux qu'ils connaissaient et aimaient déjà", insiste le média économique Forbes. Pour assurer la réussite commerciale, chaque réédition est accompagnée de titres inédits et de campagnes promotionnelles poussées, raconte le HuffPost. "Elle a une stratégie économique brillante, et elle va là où d'autres artistes ne se sont jamais aventurés", avance Carolyn Sloane, professeure d'économie à l'université de Chicago à l'AFP.

Dans la lignée de sa bataille pour les droits d'auteur, la star a longtemps boudé les services de streaming. En 2014, estimant que Spotify ne rémunérait pas assez les artistes, elle avait choisi de retirer de la plateforme l'intégralité de son catalogue. Ses morceaux n'ont été réintégrés qu'en 2017, après une révision de la politique tarifaire du service de streaming. En 2015, elle avait également bataillé avec Apple Music, qui refusait de verser des royalties aux artistes durant les trois mois d'essai gratuit au service. La pression de la star avait poussé la marque à la pomme à revenir sur cette règle.

Un "effet Taylor Swift" sur l'économie

Pour gonfler sa fortune, la chanteuse peut aussi compter sur ses fidèles "Swifties", le surnom donné à ses fans, qui se déplacent par dizaines de milliers à chacun de ses concerts. Sa tournée actuelle, qui compte pour l'instant 151 dates dans le monde, dont six à venir en France en mai et juin 2024, est en passe de devenir la plus lucrative de l'histoire. Selon les estimations, "The Eras Tour" devrait générer plus de deux milliards de dollars (1,8 milliard d'euros environ) de recettes d'ici sa fin en novembre 2024, détaille Variety. Jamais un artiste ou un groupe n'a encore franchi ce seuil. A titre de comparaison, le record est pour l'instant détenu par Elton John dont la tournée d'adieu "Farewell Yellow Brick Road" (2018-2023) a rapporté plus de 910 millions de dollars (845 millions d'euros environ).

La manne financière que représente "TayTay" profite aussi aux villes où elle se produit. Le président de la branche new-yorkaise de la Réserve fédérale a récemment estimé qu'un "effet Taylor Swift" avait stimulé l'économie américaine au cours des derniers mois. Dans une enquête publiée cet été, la banque centrale américaine affirmait par exemple que les revenus hôteliers de la ville de Philadelphie (Pennsylvanie) avaient été dopés en mai à l'occasion de la venue de la chanteuse. Ses six concerts à Los Angeles en août ont quant à eux entraîné une hausse de 320 millions de dollars du produit intérieur brut du comté, d'après l'économiste Maria Psyllou, citée par l'AFP.

Autant de retombées économiques qu'envient certains dirigeants. Dans une vidéo publiée en juin sur YouTube, le président du Chili a appelé Taylor Swift à ajouter le pays à sa tournée. Des demandes similaires ont aussi été formulées par le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, dans un message sur X, ou encore par le maire de la capitale hongroise, relate Forbes.

A la conquête des cinémas

Devant l'engouement pour sa tournée 2023-2024, Taylor Swift a adapté ses concerts sur écran. La star n'en est pas à son coup d'essai, puisqu'elle avait déjà sorti un film-concert en 2015 sur la plateforme Apple Music. Mais avec The Eras Tour, la chanteuse a vu encore plus grand. Le nouveau long-métrage, qui dure près de trois heures, est sorti le 13 octobre dans plus de 8 500 cinémas à travers 100 pays. Si son accueil a été plutôt mitigé en France, il a en revanche explosé les compteurs du box-office nord-américain. Le film "donne accès à son concert à des gens qui n'ont pas pu s'acheter de billet", décrypte Ralph Jaccodine. 

L'opération s'annonce une nouvelle fois très rentable. Le film, qui a coûté 10 à 20 millions de dollars d'après les médias américains, avait déjà dépassé les 100 millions de dollars (pré de 93 millions d'euros) en pré-vente d'entrées de cinémas dans le monde une semaine avant sa sortie. Taylor Swift partagera 57% du produit de la vente des billets avec la chaîne de cinéma AMC, une proportion équivalente à celle que reçoivent ordinairement les studios, explique Billboard

"Aucun artiste n'est aussi puissant aujourd'hui."

Ralph Jaccodine, professeur au Berklee College of Music de Boston

à l'AFP

Le long-métrage sera également disponible en vidéo à la demande à partir de mercredi dans une dizaine de pays. Et pour inciter ses fans à louer son film-concert, celui-ci sera agrémenté de trois chansons absentes de la version projetée en salles. Un nouvel exemple de la stratégie marketing ultra-maîtrisée de la musicienne. Dans sa carrière, Taylor Swift semble ne rien laisser au hasard, jusqu'à faire de ses paroles des marques déposées

"Des idées féminines" plus "lucratives"

Son image est tout aussi contrôlée. Ses prises de position dans le débat public sont rares. Son silence avait d'ailleurs été critiqué lors de l'élection présidentielle américaine de 2016 qui opposait Hillary Clinton à Donald Trump. En 2018, elle a finalement apporté son soutien aux démocrates. En septembre, son appel sur les réseaux sociaux à s'inscrire sur les listes électorales a provoqué un pic de fréquentation sur le site Vote.org dans l'heure qui a suivi, selon la radio publique américaine. Le gouverneur démocrate de la Californie a récemment jugé que son influence sur la campagne présidentielle de 2024 pourrait être "profondément puissante".

Ses fans voient aussi dans leur idole une icône féministe. Un statut qu'elle entretient volontiers dans son interview au Time, où elle n'hésite pas à faire de son succès une victoire pour la place des femmes dans la société. "Qu'est-ce qui existe depuis la nuit des temps ? Une société patriarcale. Qu'est-ce qui alimente une société patriarcale ? L'argent, les flux de revenus, l'économie", lance l'artiste. "Donc, si nous regardons cela de la manière la plus cynique possible, le fait que des idées féminines deviennent plus lucratives signifie qu'il y aura plus d'œuvres d'art féminines qui seront produites", conclut-elle en fine business woman.

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