"On a beaucoup parlé de la scène de viol" : comment le cinéma tente de mieux protéger les mineurs sur les tournages

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10 min
Sur les tournages, les mineurs ont longtemps été peu protégés, mais l'encadrement de leur présence évolue. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)
A l'occasion de la 49e cérémonie des César, et après les accusations de Judith Godrèche, franceinfo se penche sur l'évolution des règles en vigueur sur les plateaux concernant les moins de 18 ans.

Quatre ans après le scandale provoqué par l'attribution d'une récompense à Roman Polanski, la 49e cérémonie des César pourrait de nouveau se dérouler dans un climat houleux vendredi 23 février. Une seconde vague #MeToo déferle sur le cinéma français, avec la mise en cause de plusieurs figures du septième art. Après des années de silence, l'actrice Judith Godrèche a porté plainte pour "viol sur mineur" contre les réalisateurs Jacques Doillon et Benoît Jacquot. Les faits dénoncés remontent aux années 1980 et 1990.  

Dans son sillage, d'autres paroles se sont libérées, révélant des faits datant du début des années 2000. Jacques Doillon est aussi accusé d'agression et de harcèlement sexuels par Anna Mouglalis et Isild le Besco. Benoît Jacquot est quant à lui mis en cause pour des violences et du harcèlement sexuel par plusieurs comédiennes, dont Vahina Giocante. Un procès vient également d'être requis contre le réalisateur Christophe Ruggia, accusé par Adèle Haenel de l'avoir agressée sexuellement de ses 12 à 15 ans, entre 2001 et 2004. L'affaire, qui avait éclaté en 2019, avait déjà attiré l'attention sur la vulnérabilité des actrices mineures employées sur des tournages.

Une simple autorisation nécessaire

Des garde-fous sont pourtant prévus pour encadrer le travail des moins de 16 ans dans l'industrie du cinéma. Depuis 1973, une autorisation préalable est nécessaire pour embaucher de jeunes actrices ou acteurs avant la fin de la scolarité obligatoire, "dans le but de protéger les enfants de tout abus". Celle-ci est délivrée par les préfets, sur avis d'une commission des enfants du spectacle, qui s'est enrichie au fil du temps de la présence d'un magistrat, d'un représentant de l'Education nationale et d'un médecin. Ils examinent le scénario, l'autorisation parentale et la situation scolaire du mineur.

Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature, a siégé dans une de ces commissions lorsqu'elle était juge des enfants. Selon la magistrate, cette vérification en amont, avant tout "administrative", n'est toutefois "pas un bon moyen de détecter des dérives possibles" une fois le tournage commencé.

"Je me souviens d'avoir un peu tiqué sur des scènes trop sexualisées dans une œuvre." 

Kim Reuflet, ex-juge des enfants

à franceinfo

"Aucune évaluation des personnes qui vont être au contact des enfants n'est demandée", abonde Marine Longuet, quinze ans de métier en tant qu'assistante réalisateur et cinq dans l'encadrement des apprentis comédiens. Chargée de monter ces dossiers quand la production veut engager des moins de 16 ans, cette membre du collectif 50/50, qui lutte pour la parité et la diversité dans le cinéma, regrette qu'ils ne soient pas signés par le réalisateur ou la réalisatrice : "A aucun moment", ceux qui vont faire le film "attestent avoir pris connaissance de ce document".

Peu de contrôles

Parfois, des scènes qui ne figuraient pas dans le scénario étudié par la commission sont rajoutées pendant le tournage, comme ce fut le cas pour Le Retour, de Catherine Corsini, sorti en 2023. Le film, au cœur d'une polémique lors du dernier Festival de Cannes, a fait l'objet d'une rare sanction financière de la part du Centre national du cinéma, une scène de sexe impliquant une mineure de 15 ans n'ayant pas été déclarée.

"C'est une faute administrative mais nous n'avons mis personne en danger. Cette scène ne comportait aucune nudité et était entièrement simulée et filmée sur les visages", défend la productrice, Elisabeth Perez. "Le cinéma de Catherine Corsini a toujours interrogé les rapports de domination pour mieux les dénoncer, poursuit-elle. L'acharnement que nous avons subi de toute part, alors qu'il n'y a eu ni maltraitance ni abus sur notre tournage, est particulièrement injuste, surtout après toutes ces années d'impunité sur des faits gravissimes."

Sans un signalement à la brigade de protection des mineurs, fin 2022, la scène serait sans doute passée inaperçue. Les professionnels interrogés par franceinfo affirment n'avoir jamais vu de contrôle spontané sur les tournages. Passée l'autorisation administrative préalable, la protection des mineurs dépend donc essentiellement du bon vouloir des cinéastes et maisons de production. Et s'inscrit dans un contexte plus général de prévention des violences sexistes et sexuelles sur les plateaux, après le mouvement #MeToo en 2018.

Une vigilance dès le casting

Les bonnes ou mauvaises pratiques commencent dès le casting. Pour éviter d'exposer des mineurs à des scènes délicates, des profils plus âgés sont de plus en plus retenus, souligne Sophie Lainé-Diodovic, directrice de casting et également membre du collectif 50/50. C'est ce qui s'est passé pour le film Le Consentement, adaptation du livre de Vanessa Springora, qui raconte sa liaison avec l'écrivain Gabriel Matzneff quand elle avait 14 ans et lui 49. Lorsque les producteurs Marc Missonnier et Carole Lambert ont "proposé à la réalisatrice Vanessa Filo de l'adapter", ils ont "tout de suite mis comme condition que l'actrice soit majeure, compte tenu de la nature des scènes à caractère sexuel", rapporte Marc Missonnier. Kim Higelin, 24 ans, est nommée dans la catégorie des révélations féminines aux César.

"On prend des majeurs, maintenant, dès qu'il y a un peu de sexualité. Sexualiser des enfants de 14 ans comme ça a pu se faire, c'est quand même plus compliqué aujourd'hui." 

Sophie Lainé-Diodovic, directrice de casting

à franceinfo

Certains directeurs de casting veillent aussi aux conditions dans lesquelles un mineur est choisi pour un film. Le casting sauvage, qui consiste à repérer de futurs acteurs dans la rue ou à l'école, "peut engendrer une forme d'emprise naturelle", illustre Sophie Lainé-Diodovic. Elle est également attentive au cadre familial et aux intentions des parents. Certains peuvent être trop absents, d'autres trop présents. "Un jour, des parents m'ont dit : 'Notre fille est au service du film.' Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir attractif du cinéma", témoigne Marine Longuet.

"C'est aux parents de s'interroger sur ce qui fait partie de leur désir et de celui de leur enfant", pointe Emma Defaud, dont la fille Coline a joué le personnage enfant de Léa Seydoux dans le dernier James Bond, Mourir peut attendre. Les parents de la jeune actrice a fait office de "chaperon" pour leur fille, alors âgée de 10 ans, tout au long du tournage. Une présence permanente, défrayée, prévue par la production britannique. "Un tournage, c'est une charge émotionnelle énorme, en particulier pour un enfant, observe la mère. Tu as besoin de pouvoir décompresser avec un adulte que tu connais."

De plus en plus d'encadrants

Qu'en est-il dans le cinéma français ? Pour les plus jeunes, les parents peuvent aussi être présents sur le plateau et plusieurs encadrants sont généralement mis à disposition. Nounou, répétiteur de texte... La plupart du temps, ces professionnels sont issus du milieu et occupent même une autre fonction au sein de l'équipe, comme assistant réalisateur. Le Bafa (brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur) n'est pas exigé. Ex-comédienne, Delphine Labey s'est reconvertie comme coach pour jeunes interprètes il y a vingt ans. "Ce poste n'existe pas encore officiellement, mais on est de plus en plus nombreux, souligne-t-elle. Quand j'arrive sur un tournage, je suis moins considérée comme poil à gratter, je travaille main dans la main avec la production."

Delphine Labey prend pour exemple le "travail colossal de préparation" mené pour L'Enfant de personne d'Akim Isker. Ce téléfilm diffusé en 2021 sur France 2 porte à l'écran la vie de Lyes Louffok, un enfant placé à l'Aide sociale de l'enfance, violé dans un foyer. "On a beaucoup parlé de la scène de viol avec la maman de l'acteur, rapporte-t-elle. Il était hors de question de montrer quoi que ce soit." "Le réalisateur l'a plutôt suggéré. Le comédien baissait son pantalon, il arrivait dans sa chambre et lui mettait la main sur la bouche", détaille Claude, membre de l'équipe du film.

Une "asymétrie" sur les plateaux

Les coordinateurs d'intimité, chargés de superviser les scènes de nu et de sexe, restent peu nombreux en France. Ce rôle est donc majoritairement assumé par la direction du film, y compris avec les mineurs. Samuel Kircher avait à peine 18 ans lorsqu'il a tourné dans L'Eté dernier, le film de Catherine Breillat, qui met en scène la relation incestueuse entre un adolescent et sa belle-mère. "Catherine a été très rassurante. Ces scènes étaient chorégraphiées dans le détail, sans contact physique. Tout s'est passé sans la moindre gêne", a assuré le jeune acteur, en lice pour le César de la meilleure révélation masculine, dans Le Monde.

En dehors de ces scènes difficiles, le simple fait d'être exposé aux regards, à un âge où l'on est en pleine construction, peut fragiliser. D'autant que les efforts déployés pour les plus jeunes s'amenuisent pour les plus grands. Les 16-18 ans constituent un angle mort de l'encadrement des mineurs sur les tournages.

"Un tournage, cela exacerbe le point de vue des adultes sur soi. Ces derniers doivent réfléchir au pouvoir qu'ils peuvent avoir sur les enfants et adolescents."

Delphine Labey, coach pour jeunes interprètes

à franceinfo

"Le rapport est asymétrique", appuie l'actrice Isabelle Carré, qui va passer pour la première fois derrière la caméra avec l'adaptation de son livre Les Rêveurs. La comédienne, qui a commencé à tourner à l'âge de 17 ans, compare l'adolescence sur un plateau de cinéma au "complexe du Homard" théorisé par Françoise Dolto. Le crustacé, comme l'adolescent, perd sa carapace lors de sa mue. "Dans les parages d'un homard sans protection, il y a presque toujours un congre qui guette, prêt à le dévorer", écrivait la psychanalyste et pédiatre, citée par Radio France.

Des manques encore à combler

"Quand on est si poreux, à nu, on a besoin d'être face à quelqu'un à l'écoute de vos limites, et non de quelqu'un qui les repousse pour avoir la meilleure scène possible", relève Isabelle Carré. Les révélations de Judith Godrèche ne l'ont pas surprise. "A mon époque, la possibilité du non n'existait absolument pas", a expliqué l'actrice à Mediapart. "Avant", Isabelle Carré ne se sentait pas non plus "autorisée" à discuter d'une scène. Elle confie ainsi avoir "pleuré" en découvrant "pour la première fois" sur la feuille de service du film La Dégustation, en 2022, la présence de deux référents harcèlement. "Je me suis dit : 'Enfin, il y a une écoute'." Si ce dispositif ne concerne pas que les mineurs, il leur bénéficie aussi.  

"On voit que les prises de parole ont des effets positifs très concrets. Une société qui écoute ses enfants et ses adolescents est forcément une société plus humaine."

Isabelle Carré, actrice et autrice

à franceinfo

Si la situation évolue sous le regard de la caméra, le sort des artistes juvéniles hors champ demeure une préoccupation. La problématique de l'alcool sur les tournages, abordée par Judith Godrèche dans sa série Icon of French Cinema sur Arte, est pointée par plusieurs professionnels. La phase de promotion peut aussi se révéler à risques. "Combien de fois ai-je vu des ados tous seuls dans des festivals, qui boivent alors qu'ils ne devraient pas, souffle la directrice de casting Sophie Lainé-Diodovic. Les violences n'arrivent pas que sur le plateau." "Ce qui manque, c'est l'encadrement après le film, confirme un premier assistant réalisateur. Les enfants grandissent plus vite, dans un monde d'adultes. C'est étrange qu'il n'y ait pas de suivi après."

Ce type d'accompagnement est marginal. L'encadrante Marine Longuet met ainsi en place "un protocole de fin de tournage" avec "des rituels" pour "bien préparer la scission". "Après, qui a pris le numéro de qui, qui appelle qui, dans un mécanisme d'emprise ? On ne suit pas", reconnaît-elle. Son homologue Delphine Labey, qui milite pour la généralisation de ses missions, inclut dans "son forfait" "un travail d'accompagnement après". "L'objectif, explique-t-elle, c'est que les enfants et les adolescents restent sujets de leur expérience et non pas l'objet d'un fantasme, d'une projection d'un réalisateur ou d'une réalisatrice."

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