Tour de France 2023 : viable mais risqué, on vous explique comment fonctionne le sponsoring des équipes cyclistes
Une ribambelle de bus alignés matins et soirs aux yeux du public et des coureurs arborant une marque partout sur leur maillot pendant trois semaines. Sur le Tour de France, les sponsors s'exposent en grand, partout, tout le temps. Véritable défilé publicitaire itinérant, la Grande Boucle ne jure que par les marques. Et pour cause : ce sont elles qui la font vivre, puisqu'elles font exister les équipes.
Le modèle économique du cyclisme, au contraire de la majorité des sports, ne repose que sur le sponsoring, et s'explique par la particularité de ce sport. "Le cyclisme est gratuit, donc on a énormément de monde qui vient au bord des routes. Le Tour de France fait partie des méga-événements sportifs. Pour un sponsor, on a une visibilité et une notoriété spontanée très fortes", explique Matthieu Llorca, maître de conférences en économie à l'Université de Bourgogne.
La stabilité pour plus de visibilité
Les équipes cherchent donc un sponsor qui a les reins solides, capable de leur assurer une stabilité sur plusieurs années afin de construire une équipe. "Toutes les équipes sont à la recherche de fonds de manière à pouvoir pérenniser leur développement, ce qui n'est pas facile. On travaille sur du moyen terme à chaque fois", précise Stéphane Heulot, le manager français de la formation Lotto-Dstny depuis janvier.
"Aujourd'hui, puisqu'on a une activité mondiale, on doit attaquer des entreprises qui ont une activité mondiale. Si on veut quelques millions, il faut aller chercher des marques qui font quelques milliards de chiffre d'affaires", résume Jean-René Bernaudeau, manager de la formation TotalEnergies depuis 2000.
Une fois trouvé, il faut ensuite espérer qu'il souhaite pérenniser son investissement. C'est le cas de plusieurs équipes, comme Cofidis, qui sponsorise son équipe depuis 1996. Ses deux victoires sur ce Tour, les premières depuis 2008, sonnent comme un soulagement pour l'équipe autant qu'une récompense pour la marque. "Avec Cofidis, c'est vraiment une relation de confiance. Je pense qu'aujourd'hui l'image dégagée par l'équipe est vraiment très bonne, et dans ces cas-là, on a plus de facilités à entreprendre des discussions", explique le manager Cédric Vasseur.
Lotto-Dstny, dont le sponsor principal est celui de la loterie nationale belge, est également dans ce cas. "On a une chance inouïe d'avoir un sponsor de longue date, qui investit depuis plus de 30 ans dans l'équipe. C'est une forme de vraie garantie, de sécurité", ajoute Stéphane Heulot.
"Le sponsoring dans le vélo est cher si le partenaire est national, rentable s'il est européen, et ne coûte rien du tout s'il est mondial."
Jean-René Bernaudeau, manager de TotalEnergiesà franceinfo: sport
Mais le risque de sortie de route est réel : certains sponsors ne font qu'un court passage dans le monde cycliste avant de se retirer, laissant souvent la place à un autre. Mais parfois, le retrait est brutal, et les conséquences dramatiques pour l'équipe, puisqu'elle en est dépendante. Ce fut le cas d'Euskaltel-Euskadi en 2013, ou de B&B Hôtels plus récemment. "C'est un modèle difficile. Évidemment, on a toujours envie d'avoir plus de moyens, mais aujourd'hui, on voit bien que quand le sponsor a des difficultés, ne suit plus, l'équipe est obligée de jeter l'éponge", constate Cédric Vasseur.
L'objectif est souvent simple pour les sponsors : obtenir une invitation sur les plus grandes courses afin d'obtenir la tant espérée visibilité, puisque le sponsoring ne peut se chiffrer précisément. "Pour Uno-X, qui a un budget de 8M€, c'est super rentable. Mais si on n'est pas en World Tour et pas invité sur le Tour de France, là ça peut poser problème. On a des équipes qui ont disparu ou d'autres qui se retirent parce que c'est trop cher", estime l'économiste Matthieu Llorca.
Avec des budgets se comptant parfois en dizaines de millions d'euros, les formations du World Tour, la première division mondiale, ont pour la plupart un matelas confortable sur lequel s'asseoir. Mais certaines préfèrent assurer leurs arrières avec l'ajout d'un co-sponsor, qui permet de parer à un départ soudain, tout en gonflant le budget. "A moins de s'appeler Emirates ou Bahrain, un partenaire unique ça devient assez difficile à avoir, car les budgets augmentent considérablement", affirme Stéphane Heulot, dont la formation dispose d'un sponsor historique et d'un co-sponsor qui a changé ces dernières années. Sur ce Tour, 17 des 22 équipes cumulent plusieurs sponsors dans leur nom.
Les sponsors étatiques, symbole de la mondialisation du cyclisme
"Aujourd'hui, on cherche simplement à acheter le droit de participer au Tour de France, de faire partie des 20 équipes World Tour", observe l'économiste Matthieu Llorca. Chaque licence World Tour est désormais attribuée pour trois ans. "C'est quasiment une ligue fermée, avec 20 équipes déjà qualifiées et trois invitées. Et automatiquement, les sponsors sont rassurés, ça explique cette inflation des salaires et des budgets", ajoute-t-il.
Historiquement, les sponsors intéressés par le cyclisme ont toujours été des marques : les loteries nationales dans les années 90, les banques au tournant des années 2000, ou encore les services dans les années 2010. Depuis quelques années, de petits nouveaux se sont invités dans la danse, déréglant les rapports de pouvoir : les sponsors issus de fonds étatiques, avec UAE-Emirates, la formation de Tadej Pogacar, Bahreïn, Israël et le Kazakhstan. "La Slovénie, les fonds étatiques, les Etats-unis, l'Australie... Ça traduit la mondialisation du vélo", analyse Matthieu Llorca.
"Si les Etats du Golfe viennent, c'est que le cyclisme a de l'intérêt, donc c'est valorisant pour nous. A nous d'aller chercher des marques puissantes en face. Le cyclisme sera vivant dans 100 ans, les pays du Golfe ne seront plus là."
Jean-René Bernaudeau, manager de TotalEnergiesà franceinfo: sport
Avec Jumbo-Visma (anciennement Rabobank) comme exception, ces formations étatiques agrègent souvent les meilleurs coureurs actuels, et il est difficile pour les autres de lutter. A elles quatre, ces formations étatiques ont remporté cinq des 18 étapes sur ce Tour. "C'est clair qu'il y a des grosses différences de motorisation, ils ont la capacité d'avoir presque huit coureurs qui pourraient être leaders dans d'autres équipes", constate Stéphane Heulot. "Ça fait changer de dimension le monde du sport. Ça pousse aussi les sponsors à leur limite. Mais ça pose la question : jusqu'à où va-t-on pouvoir monter ?", se questionne Cédric Vasseur.
Si ce modèle économique du cyclisme ne semble pas voué à radicalement changer puisque tout le monde y trouve son compte, organisateurs, équipes comme coureurs, certains réfléchissent tout de même à des aménagements pour stabiliser les finances. "Ce système est viable, il ne changera pas, je ne vois pas le cyclisme avec des entrées payantes ou des droits TV puisque ce sont des sommes astronomiques pour produire. Il y a deux choses qui doivent évoluer dans le cyclisme : l'attractivité et la crédibilité, et que les règlements soient beaucoup plus stricts", envisage Jean-René Bernaudeau. "Si on pouvait déjà assurer par exemple 20 % du budget d'une équipe sur des revenus fixes, hors résultats et sponsoring, ce serait déjà une avancée", complète son homologue chez Cofidis.
L'économiste Matthieu Llorca évoque lui le développement du cyclisme féminin, où de plus en plus d'équipes - et donc de sponsors - investissent, puisque 14 des 22 équipes au départ du Tour de France Femmes le 23 juillet ont un sponsor également dans le peloton masculin.
L'idée d'un plafond salarial revient également afin d'éviter les écarts abyssaux de budget entre petites et grandes formations, et donc tuer tout suspense. "On a évoqué des budgets maximum, mais de toute manière, mettre une limitation, c'est souvent s'ouvrir à des détournements. Donc je ne suis pas persuadé que ce soit la solution, sauf si elle s'appliquait fermement. Mais je n'ai pas la conviction que ce serait le cas", conclut Stéphane Heulot, de Lotto-Dtsny.
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