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Cyclisme : faire payer le public pour certaines courses, une suggestion de l'UCI qui divise le Tour de France

Le président de l'UCI, David Lappartient, avait évoqué fin juin la possibilité de faire payer les spectateurs sur des courses en circuit, mais pas sur le Tour de France.
Article rédigé par Théo Gicquel - De notre envoyé spécial
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
Des spectateurs au bord de la route lors de la 7e étape du Tour de France, le 7 juillet 2023. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Faire payer le public pour du cyclisme et repenser le modèle économique du cyclisme. C'est ce qu'a évoqué le président de l'UCI, David Lappartient, dans un entretien à Ouest-France, fin juin. "Pour moi, quand une course se termine par un circuit, c'est tout à fait compréhensible. Pour des championnats de France, des épreuves de Coupe de France, je ne serais pas choqué de voir des entrées payantes. La billetterie peut devenir une source supplémentaire de revenus", avait expliqué le nouveau président du Csnof.

David Lappartient avait précisé que cela ne concernait pas le Tour de France. Sur certaines courses, le dispositif existe déjà. "Quand j'étais président de l'organisation du Grand Prix de Plumelec (Morbihan), on avait fait l'entrée à cinq euros. Le public passionné de vélo avait compris que ça nous avait permis d'équilibrer les comptes, de faire vivre un événement pareil. On le fait pour le cyclisme sur piste, le cyclo-cross, pourquoi ne le ferions-nous pas sur route ?", s'est interrogé ce dernier dans le quotidien.

Un peloton pas d'emblée emballé 

Le propos de David Lappartient est, pour l'instant, circonscrit à un certain type de courses, et ne s'arrête qu'au stade de suggestions, mais il pose par extension la question du modèle économique du cyclisme. Ce dernier est entièrement dépendant du sponsoring pour les équipes, et souvent des subventions pour les organisations de courses mineures. La majorité des coureurs, managers et du public interrogés sur ce sujet lors du Tour de France restent dubitatifs quant à cette perspective.

Des supporters basques dans la côté de Piké lors de la 1ere étape, le 1er juillet 2023. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

"Pour moi c’est une fausse bonne idée. L’un des attraits majeurs de notre sport, c’est la proximité avec le public et le monde que ça génère. A partir du moment ou vous commencez à faire payer un public qui n'est pas forcément fortuné, je pense que ce n’est pas une bonne chose", lance le manager d'AG2R-Citroën, Vincent Lavenu, qui ouvre néanmoins une porte. "Sur un circuit et sur un parcours vraiment spécifique, spectaculaire comme ça peut arriver en Belgique sur les classiques, où il y a une tranche de parcours réservée avec des tentes VIP, ça peut se concevoir. Les organisateurs du Tour des Flandres font ca très, très bien", rappelle ce dernier.

"Je suis peut-être un peu franchouillard, mais pour moi le vélo ça reste le sport du peuple, le plus grand spectacle de sport gratuit, et quelque part j’en suis fier. Quand on voit le monde au bord des routes, ce serait dommage de perdre ça en mettant des entrées payantes. Sur le Tour de France, je pense que la gratuité est obligatoire."

Laurent Pichon

coureur d'Arkéa-Samsic

Du côté du public, deux supporters rencontrés à Pau n'étaient pas vraiment plus séduits. "Ca va faire une rupture avec le public, beaucoup de monde se rend sur les courses car l'occasion se présente", appuie Philippe, suiveur du Tour de France. "Ils peuvent trouver de l'argent autrement qu'en faisant payer les spectateurs. Je pense que ça va plus les faire fuir qu'autre chose", poursuit un peu plus loin Faustin, qui brandit une pancarte à l'effigie de Fabio Jakobsen.

Romain Caubin, membre de de l'organisation de la Route d'Occitanie-La Dépêche du Midi, course par étapes de niveau régional, est lui sur ses gardes quant à cette idée. "Sur les courses en circuit, je ne suis pas choqué que certains le fassent, ça fait partie d'un certain ADN. Mais il ne faut pas que ces notions de sport business et cette nécessité de toujours trouver l'argent là ou on peut, viennent polluer cet esprit-là", prévient-il.

L'organisateur du Tour des Flandres, ici Mathieu van der Poel le 2 avril 2023, dispose d'une billetterie lors de la course. (AFP)

Mais ils sont aussi plusieurs à comprendre, voire à épouser la suggestion, notamment du côté des managers d'équipe. C'est le cas de Patrick Lefevere, puissant patron de Soudal-Quick-Step. "C'est un peu difficile dans le cyclisme car on n'a pas l'habitude. Mais si vous regardez le monde entier, les stades, les gens payent. Si les organisateurs ont plus d'argent, nous on va demander notre part, et à la fin, les bénéficiaires seront toujours les coureurs", souligne le Belge de 68 ans. Même position chez Jens Haugland, manager d'Uno-X, équipe qui évolue pourtant en deuxième division. "Je soutiens David Lappartient sur ça, je pense que nous devons améliorer le système économique du cyclisme, pour les organisateurs et pour les équipes. Mais cela doit être fait de manière juste."

Des aménagements possibles pour un cyclisme payant

Parmi ses propositions, David Lappartient avait également évoqué plus de courses en Asie ou en Amérique du Sud, zones où le cyclisme est très peu professionnalisé et avec peu de courses de prestige. Il propose également de monétiser la marque "World Tour" (la première division) par du "naming". Comment alors concilier les intérêts financiers d'un sport gratuit et ceux du public ? "Je serais prêt à payer si ça me permet d'obtenir quelque chose de plus, peut-être une place en tribunes ou un écran géant pour suivre la course. Mais sur des endroits dédiés, et qu'on laisse les autres accéder aux autres endroits gratuitement", répond le supporter Philippe.

Une idée qui séduit Jens Haugland, pour qui créer une zone spéciale payante pourrait être une possibilité. "Sur les derniers mètres d'une ascension, si tu ajoutes des écrans géants et du spectacle, c'est un produit attractif. Donc c'est juste de se dire que pour y être, tu dois payer cinq euros. Je ne vois pas de problème avec ça", appuie le manager norvégien. D'autant que cette possibilité de limiter l'accès à un endroit précis a déjà été expérimentée lors du Covid-19. "J'aurais dit il y a 4-5 ans que ce n'était pas possible. Aujourd'hui ça l'est, car on l'a fait pendant deux ans lors du Covid-19 où on a rendu hermétique l'accès à nos sites départ et arrivée. Si on l'a fait pour le Covid, on est capable de le faire pour la billetterie", développe l'organisateur Romain Caubin.

Des supporters encouragent les coureurs dans le col du Tourmalet, le 6 juillet 2023. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Derrière cette question loin d'être tranchée se cache néanmoins une réflexion générale sur la survie du modèle économique du cyclisme, qui cherche d'autres moyens de s'assurer une rentrée d'argent fiable en dehors du bon vouloir du sponsor. S'il se retire brutalement, il peut condamner des équipes, comme ce fut le cas d'Euskaltel en 2013, de l'équipe féminine Paule Ka en 2020 ou plus récemment de B&B-Hôtels. "Nous voulons un modèle économique plus stable, et chaque perspective de long terme d'en trouver un nouveau est positive", ambitionne Jens Haugland. Pierre Latour, l'infatigable attaquant de TotalEnergies, résume finalement la situation, et a peut-être trouvé la solution. "Je ne suis pas sûr que les gens viennent si c’est payant, je ne pense pas que ça soit la bonne stratégie à adopter. Il vaut mieux mettre une bonne buvette !"

*Contactée, l'UCI n'a pas répondu à nos sollicitations.

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