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En direct de la Transat Jacques-Vabre, le journal de bord de Thomas Coville et Thomas Rouxel, jour 19 : la ligne d'arrivée est franchie

Thomas Coville et son coéquipier Thomas Rouxel font partie des favoris de la Transat en double entre Le Havre et la Martinique. Ils tiennent leur journal de bord pour franceinfo. 

Article rédigé par franceinfo
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Le duo Thomas Rouxel (à gauche) et Thomas Coville (à droite) à leur arrivée à Fort-de-France à l'issue de la Transat Jacques Vabre, le 26 novembre 2021. (Jean-Louis Carli / Alea)

Deux hommes sur un Ultime, un de ces bateaux volants qui révolutionnent la course au large : Thomas Coville et Thomas Rouxel sont au départ de la Transat Jacques-Vabre à bord de Sodebo Ultim 3, un trimaran de 32 mètres de long sur 23 de large aux foils effilés qui doivent leur permettre de "voler" au-dessus de l'eau. Ils sont associés pour la première fois en course, à l'occasion de la 15e édition de la Transat Jacques-Vabre, entre Le Havre (Seine-Maritime) et Fort-de-France (Martinique). 

>> En pleine mer : Thomas Coville, skipper de la Transat Jacques-Vabre, répond aux questions des enfants

Thomas Coville, 53 ans, huit tours du monde et 17 records en solitaire, s'est associé à Thomas Rouxel, 38 ans. C'est la sixième participation de Thomas Coville à cette course qu'il a remportée en 2017 associé à Jean-Luc Nelias. Cette année-là, Thomas Rouxel avait terminé à la deuxième place avec Sébastien Josse. Cette Transat 2021 est la deuxième pour lui. Autant dire que pour les deux hommes, il est logique de figurer parmi les favoris dans la classe Ultime.

Depuis le départ, dimanche 7 novembre et jusqu'à l'arrivée en Martinique, les deux Thomas tiennent pour franceinfo leur journal de bord quotidien. Retrouvez-le ici tous les jours.


Vendredi 26 Novembre. Ce vendredi 26 novembre, à 22 heures 59 minutes et 41 secondes en Martinique (Samedi 27, 3 heures 59 minutes et 41 secondes, heure métropolitaine), Sodebo Ultim 3 a franchi la ligne d’arrivée de la 15ème édition de la Transat Jacques Vabre en cinquième position de la catégorie Ultime. Le duo Thomas Coville - Thomas Rouxel aura mis 19 jours 14 heures 32 minutes et 41 secondes pour parcourir les 7900 milles théoriques depuis Le Havre à la vitesse moyenne de 16,81 nœuds, mais il a réellement parcouru 9 573.33 milles à 20,35 nœuds.


Thomas Rouxel : "On essaie de rester dans le match, même si on sait que c'est plié"

Mercredi 24 novembre. On est mercredi 24 novembre. Je perd la notion du temps... Les dates, c'est important, les fichiers météo sont reliés à ça. Mais alors, le jour... Il a fallu que je regarde pour savoir qu'on était mercredi. J'ai la Lune au-dessus de moi dans le hublot. Je suis dans le siège de veille avec le volant de dérive à ma droite, les chiffres devant loi qui défilent. Tom [Thomas Coville] est à la barre, on est de nouveau en tribord amure. On a empanné deux fois pour faire des zigs et des zags dans cet alizé qui n'en est pas un. Avec le vent qu'on a. Ce n'est pas le vent prévu, ce n'est pas le vent désiré, c'est le vent qu'on a. Habituellement, il y a le vent réel et le vent apparent. Et aujourd'hui, il y a le vent qu'on a. Ce n'est pas le vent du fichier Grib [format de données météo], il faut faire avec. C'est ce qu'on essaye de faire avec Thomas depuis le début, de régler le bateau et de le faire marcher avec ce vent-là. On s'est donné cette philosophie-là.

>> CARTE. La position de "Sodebo-Ultim 3" en direct

Ça glisse, parce que la mer, par contre, est vraiment plate. Ces bateaux, ils adorent ça. Du coup, ça leur permet de temps en temps d'accélérer très, très fort et d'être en mode volant. Et là, surtout de nuit, on a vraiment l'impression d'être sur un tapis volant.

Les étoiles ne descendent pas jusqu'à l'horizon parce qu'il y a beaucoup de nuages. Et c'est la caractéristique de ces derniers jours, c'est qu'on a été assaillis de nuages plus ou moins forts, certains juste de pluie, d'autres avec rien dessous, pas de vent. Et puis d'autres très forts. On en a eu un pendant une nuit entière où on s'est bien bagarré, avec une activité très forte. J'ai rarement vu ça. Je ne pensais pas que c'était vraiment prévu et on s'est retrouvés à gérer ça, ce qui nous a permis de pas mal avancer. On l'a bien exploité. On est restés devant ce nuage de plusieurs kilomètres. Ce n'est pas le petit nuage au-dessus de la maison. Là, c'est quasiment à l'échelle d'un département...

Il fait nuit, la Lune décline, mais elle est encore bien présente. Pendant toute cette course, c'était pour moi déjà une complice dans la vie de tous les jours, mais là, elle a été vraiment très utile. Et puis Tom barre, il a l'air de s'éclater à barrer. Il est descendu deux fois pour régler un truc qui ne lui plaisait pas. Et puis, il y est retourné.

Le rythme à bord est assez monacal et assez tourné autour des périodes de repos qu'on s'accorde, de ce qu'on mange ensemble. Sans qu'il y ait vraiment de cuisinier ou de cuistot, chacun fait à manger pour l'autre quand il en fait pour soi, que ça tombe pendant ses heures ou pas. Ça s'est fait complètement naturellement, comme on l'avait espéré. Ça se fait bien quand ça doit bien se faire, avec quelqu'un qui a le même état d'esprit que toi, qui est à l'écoute et qui est dans la bienveillance, qui a envie de faire plaisir. C'est assez drôle de faire à manger pour l'autre en se disant : tiens, je vais le surprendre. Qu'est-ce qu'il va avoir dans sa gamelle ? Tu essayes de faire au mieux. Et puis après, tu lui demandes comment il a apprécié, s'il avait vu que tu avais mis un peu plus de poivre, un peu plus d'huile d'olive... Un peu plus d'attention.

Et puis sinon, c'est rythmé aux réglages du bateau. Beaucoup de barre ou de réglage du pilote, de compréhension de l'équilibre des forces qui sont sur ce bateau. Et à un rythme soutenu parce que les conditions sont très changeantes, tout le temps. Il n'y a pas de vent établi. C'est des conditions qui sont exigeantes, physiquement et techniquement, en sensations à la barre. Et puis, nerveusement, parce qu'il y a des moments où il faut être bien vigilant. On ne se ménage pas, on essaye d'être rigoureux et de rester dans le match, même si depuis quelques heures, on sait que c'est plié. Les premiers sont déjà arrivés depuis longtemps. C'est pour nous la fin de la course par rapport à ce qui pouvait se passer devant, quand on est repartis de Madère. Tout était possible, ce n'était que le troisième jour de course. Mais là... On est en train de réussir notre pari de finir, notre pari de ne pas avoir raté notre rencontre et de s'être même épanouis ensemble dans cette adversité. D'avoir été vraiment très à l'écoute, ça se ressent, c'est très jouissif . Pas comme une consolation, mais humainement, on a tenu le choc. On est forts et on le sera jusqu'au bout. C'était la condition pour repartir de Madère.

On est allés dans le flotteur cet après-midi pour faire une vérification de ce qu'on avait fait sur notre foil, RAS. Et je suis allé dans la nuit au bout d'écoute, un peu en hauteur. c'est un peu aérien. J'aime bien, tu montes à la force des bras, le long de l'écoute, tu vas bricoler, tu restes quelques minutes là-haut et puis tu redescends. C'est mon voyage à moi. Et je m'offre les deux secondes où tu regardes autour de toi avec le bateau juste en-dessous. C'était mes sensations du soir, que j'ai finalement bien aimées, associées à un enchaînement physique qui me plaît et qui me rappelle que je suis athlète et que je me suis préparé pour ça. Voilà, bonne journée à vous. Je vous embrasse.


Thomas Coville : "On s'est bien arraché"

Mardi 23 novembre. On est dans les alizés après avoir passé une sacrée nuit. Je pense que je m'en souviendrai très longtemps avec Thomas Rouxel. On s'est battu avec un énorme amas nuageux qui nous a bien propulsés et avec lequel on a joué. Mais c'était tendu. On est à moins de 500 miles de l'arrivée.

On est contents d'avoir finalement pris cette décision à Madère de continuer bien qu'on a percuté et cassé un foil dès le début de course, ce qui nous a quand même considérablement déçus parce qu'effectivement, il y avait plus de match possible. Le seul match était pour nous dans notre tête et d'être finishers. Comme dans les ultra trails, il y a ceux qui s'inscrivent, ceux qui gagnent et puis les finishers. On voudrait au moins pouvoir être de cette communauté-là, de ceux qui sont allés jusqu'au bout. On s'est fait énormément plaisir finalement sur ce voyage. Bravo l'organisateur ! J'ai adoré ce parcours, pas très difficile finalement, c'était des grands grands bords mais moi, j'adore. Je ne suis pas toujours un fan des retours à terre. Je suis bien en mer en fait. Je suis un marin, donc j'aime ça être en mer. Notre équipe et nos proches, c'est évident, on va se retrouver, on va partager, on va débriefer. Et puis on va essayer de passer un petit peu l'éponge sur cette frustration.

La Martinique ? Je suis fan. J'y suis arrivé pour ma mini-transat et j'adore cette île. J'adore le ponton du Bakoua. J'adore cette ambiance. On a fait un choix différent d'Actual, beaucoup plus au nord, que nous proposait déjà les routages naturellement. On avait intérêt d'être à l'attaque. On avait cette idée d'aller chercher les alizés pour avoir plus de vent pour effectivement faire la différence. On verra si ça sera payant jusqu'à la fin. En tous les cas, ça nous remet un petit peu du baume au cœur d'être un tant soit peu proches d'un concurrent alors qu'on a été tellement loin. Mais on a montré que, dès qu'on a un foil et qu'on peut faire marcher le bateau, on est capable d'aller très vite et de reprendre presque 700 miles à la flotte. On s'est bien arraché. On n'a rien lâché. Et c'est ce qui nous tenait, c'est que le bateau aille vite.

Les Ocean Fifty, j'adore. Je suis un fan inconditionnel. Pour en avoir fait avec Leyton et avec Sam Goodchild en début de saison, j'ai adoré la série. Le niveau, l'ambiance, le programme, les bateaux, la taille des bateaux, la taille des équipes, le format est formidable. Sam fait une super course comme il a fait une super saison. Pour autant, c'est Primonial. J'avoue que Seb [Rogues] et Matthieu [Souben], chapeau bas. Une course intelligente, après une saison compliquée, il démate. Seb, je pense que c'est un des mecs les plus pugnaces que je connaisse dans le milieu de la voile. Vous le sortez par la porte, il remonte par la fenêtre. Il a cette force en lui de monter les projets et les amener à bien. Depuis le Tour de France, depuis le GC32, je suis impressionné par sa force de travail. Et Matthieu Souben, c'est la jeune génération élevée par son papa Daniel Souben, qui vient du cata de sport et qui, à mon avis, a beaucoup apporté à Seb dans le réglage et dans la capacité à barrer le bateau. Ils font un duo génial. La bagarre devant a été juste fantastique. À la pointe du Brésil, là, quand ils se sont tous retrouvés les uns avec les autres, j'avoue que ça nous a donné envie. On aurait bien voulu être plus proches d'autres bateaux aussi. Je trouve ça bien que finalement, il soit à l'honneur à l'arrivée, devant. Je pense qu'il faut qu'on respecte les classes les unes par rapport aux autres. Mon bateau de cœur, ça restera quand même Leyton.

La performance de Franck [Cammas] et Charles [Caudrelier] est juste superbe. C'est le fruit d'un travail acharné depuis 4 ans sur ce bateau qui est la référence aujourd'hui en terme de bateaux offshore volants, puisque c'est eux qui ont cru en premier et c'est eux qui ont lancé ça il y a de nombreuses années maintenant avec un MOD70, d'abord pour faire des essais, puis effectivement, la construction de ce bateau très imposant. Tout de suite des très grands foils, une capacité à voler très haut et maintenant une nette maîtrise de tous les paramètres qui fait que, ce soit dans les entraînements avant ou que ça soit là, ils sont un cran au-dessus. On s'est permis d'être devant eux au cap Finistère, mais pas pour très longtemps. On avait un petit soucis à ce moment-là. On n'a pas pu rivaliser tout de suite dans la brise alors qu'on aime bien ça la brise, avec Thomas. Mais on était content d'être 2e à leur contact et de se jauger jusqu'à cette collision pour nous. Chapeau bas, bravo !

Ce sont deux garçons que j'aime beaucoup. J'ai fait deux tours du monde avec Franck. Il a toujours été très généreux avec moi. C'est un skippeur très impressionnant qui m'a beaucoup appris. Et Charles, en fait, c'est le mec avec qui on a envie de naviguer parce qu'il associe à la fois le professionnalisme et cette espèce de nonchalance qu'il a, naturelle, et cette capacité à faire un duo avec Franck, parce qu'il y en a pas tant que ça qui peuvent bien comprendre Franck. Ils sont légitimes dans cette victoire. Ça en fait trois si je ne m'abuse, avec ce duo. Donc, il va falloir qu'on progresse nous aussi pour venir jouer. Mais on voit que, pareil en Classe Ultime, ça progresse. Il y a des nouveaux bateaux qui vont finir et ça va bagarrer de plus en plus quand les bateaux seront bien au point et quand on aura tous nos appendices jusqu'au bout. Mais encore une fois, bravo ! Chapeau bas, messieurs ! You deserved it [Vous le méritez].


Thomas Rouxel : "La nuit noire, au milieu des éclairs, c'était l'apocalypse"

Lundi 22 Novembre. Nous sommes le 22 novembre et il est 13h20. C'est le milieu de journée ici avec 20 nœuds de vent, on fait route directe sur la Martinique. C'est gris, ça mouille. On a ressorti les bottes et les cirés, les cols étanches. Il fait chaud, mais c'est humide et du coup, ça "tartine" pas mal et ça "bourrine" un peu. Nous, on est passés avec du retard à Sao Pedro. On a suivi les routages avec une route au nord, mais sans "optionner" plus que ça. C'était juste qu'à ce moment là avec la météo qu'on a eue, c'était la route optimale. Il s'avère que cette route est différente de celle de tous nos adversaires. Mais ce n'est pas pour ça qu'on a l'a choisie.

L'idée de cette route, c'était de croiser le Pot-au-Noir assez tôt dans un endroit où il peut aussi y avoir du vent pour aller jouer avec les alizés qui sont au nord du Pot-au-Noir et aller jusqu'en Martinique. Donc avoir un peu de vent plus fort, mais en contrepartie des empennages à enchaîner dans les alizés pour aller jusqu'en Martinique. Dimanche soir, on est bien partis au nord comme prévu. En fin de journée un grain nous est tombés dessus. Il s'est construit autour de nous. Rien à voir avec ce qu'on voit chez-nous. Ce grain devait faire 300 milles de long, a peu près 600 km de long. C'est plus grand que la Bretagne. Donc on s'est retrouvés au milieu de ce truc. La nuit noire, au milieu des éclairs, c'était l'apocalypse avec des rafales de vent à 30 nœuds. Et on a fait toute la nuit comme ça en "bourrinant" sans lâcher la barre. On a fait une nuit blanche tous les deux. Là, il est midi. On a juste fait chacun 50 minutes de sieste depuis que le jour s'est levé parce que c'est un peu plus zen, un peu plus cool. Et voilà l'ambiance de la nuit, donc, les éclairs, la nuit noire... Le bordel quoi ! Mais au moins, on avançait sur la route à 30, 35 nœuds. Et donc ça, c'est potentiellement un gain énorme de performance par rapport à nos adversaires. Mais ce n'était pas sans peine. Le niveau de stress était proportionnel au gain acquis. On est revenus mille après mille sur Actual, ce sont nos adversaires. On doit avoir 50 milles de retard en route directe à l'arrivée, mais en réalité, c'est plus compliqué parce que l'on va avoir des empennages à faire, lui il va être quasiment sur la ligne droite. Donc ce n'est pas encore gagné.

On fait ce qu'on peut et on est très motivés. On l'a toujours été, mais c'est vrai qu'on l'est d'autant plus depuis qu'on voit notre retard diminuer d'heure en heure. C'est très enthousiasmant, effectivement. Donc, on est à bloc. Physiquement après la nuit qu'on vient de se faire. On est un peu usés. Mentalement, ça va parce que du coup, on a cet objectif de revenir sur nos petits amis. Et puis on sent que l'arrivée approche. Ça va probablement être un peu dur dans les derniers jours, dernières heures, parce qu'a priori la météo va "mollir" fort. C'est tout le temps un peu embêtant de voir son arrivée retardée sur la fin du parcours. Comme ça, parce que le vent tombe. Mais pour le moment, on est bien motivés et par contre, physiquement, il va falloir qu'on récupère dès qu'on a l'occasion parce que là, on a bien investi cette nuit...


Thomas Rouxel : "La route vers la Martinique s’annonce plutôt sympathique"

Dimanche 21 novembre. Nous sommes le dimanche 21 novembre et il est 3h48 TU. Il fait nuit, le bateau avance entre 30 et 35 nœuds. On n’attaque pas trop parce que ce sont des conditions pas faciles, un peu irrégulières en vent, et l’angle n’est pas facile à gérer. Thomas est en train de dormir et moi je suis en veille avec les écoutes à portée de main.

On n’a pas vraiment de routine, on essaie de manger nos trois plats par jour. Donc ça dépend un peu du timing, qui est en veille à ce moment-là ou pas. Celui qui ne l’est pas en général prépare la gamelle de l’autre. Et on alterne toutes les une heure et demie, deux heures, pour qu’il y en ait un qui aille se reposer, ou manger, pendant que l’autre est sur les réglages du bateau. C’est beaucoup un relais de solitaires. Mais il y a quand même des moments de partage. Des moments où quand on est moins fatigués, on traîne un peu avant d’aller faire la petite sieste et du coup on discute de choses et d’autres. On parle forcément de la course des autres, on parle de la vie de l’équipe, de nos expériences passées, un peu de tout.

On est à 120 miles de Sao Pedro et ce petit bout de caillou est entouré de grains, donc les heures qui viennent vont s’annoncer actives. En plus on est en train de croiser quelques Imoca là. Donc les heures qui viennent pour aller contourner ce petit bout d’archipel ne vont pas être simples. Ensuite la route vers la Martinique s’annonce plutôt sympathique dans un vent faible à modéré. Il va y avoir quelques empannages, des zones de môles à gérer donc il y a encore de l’activité à venir, il y a encore des coups à jouer, on ne va pas s’ennuyer mais ça ne devrait pas être trop violent.

Et sinon, la petite anecdote c’est qu’on vient de croiser un peu plus tôt dans la nuit un pote de Thomas Coville qui était en train de convoyer un bateau d’Afrique du Sud jusqu’à Saint-Martin. On est passés juste à côté, à un mile de lui et il nous a appelés à la VHM, donc ils ont pu échanger quelques mots. C’était marrant. Ca faisait un moment qu’on n’avait pas vu de bateau. Et c’est quand même invraisemblable qu’on se croise ici au milieu de l’Atlantique, mais c’était marrant.


Thomas Coville : "Ça fait du bien de sentir qu’on a un bateau rapide, qu’on est grisés par la vitesse"

Samedi 20 novembre. On est le 20 novembre, il est 6h25. Vous êtes sur le trimaran Sodebo. Et j'ai envie de dire, dans le train fantôme. Quand on fait du reaching appuyé, c’est-à-dire du vent travers au bateau et où on est entre 30 et 40 nœuds, les conditions de vie à bord sont différentes. Il y a beaucoup de bruit, les mouvements sont saccadés, il y a évidemment un stress lié à la vitesse qui est renforcé par le fait qu’on est de nuit. Et avec cette lune on voit quand même l’eau défiler à très grande vitesse.

Le bateau de temps en temps se lève puis retouche l’eau. Le flotteur sous le vent est quasiment tout le temps en plein vol. Ce sont des conditions que moi j’aime bien, un peu musclées. Il n’y a pas trop à réfléchir. On a du vent irrégulier mais qui fait avancer le bateau vite avec une mer relativement plate et dans des conditions de température assez exceptionnelles. Naviguer le long du Brésil comme ça c’est fantastique.

Cet après-midi, nous sommes allés virer ou tourner autour d'un "waypoint", au large de Trindade. Cette île de Trindade, je crois que c’est la deuxième ou la troisième fois que je la voyais. Comme toutes ces îles à ces endroits-là c’est volcanique et on voit sortir de l’eau cette île avec des cheminées volcaniques de part et d’autre et c’est super impressionnant. C’est toujours aussi beau. Et comme dit Tom, moi ça va me faire ma journée. Il y avait du vent, le bateau allait vite et dans notre empannage on a regardé derrière et il y avait cette île et je pense que ça restera une silhouette de cette Transat Jacques-Vabre.

C’était un moment important parce que c’était l’endroit le plus éloigné de toute la transat où on avait à aller virer. On se retrouvait de nouveau sur le bord qui nous est favorable, c’est-à-dire où on a un foil et où on est capable d’aller à la même vitesse que nos camarades, et là on est entre 31 et 40 nœuds et ça fait du bien de sentir qu’on a un bateau rapide, qu’on est contents et grisés par la vitesse. Ça fait beaucoup de bien après ces heures à manger notre pain noir sans avoir de foil et sans avoir la possibilité de voler. Donc à plusieurs titres c’est un moment important.

On remonte vers la Martinique, il va y avoir pas mal d’empannage, du vent plus faible. C’est une course avec un parcours qui est vraiment génial. On a la chance d’avoir la position un peu des autres séries et on voit qu’en ce moment en haut de l’Amérique du Sud, il y a du trafic. Je crois que je n’ai jamais vu autant de bateaux à cet endroit-là, à ce moment-là. Et je trouve ça génial d’avoir essayé de faire en sorte que tous les bateaux se rejoignent au même moment où qu’ils arrivent à peu près en même temps sur la Martinique puisque ça va donner un trafic le long de l’Amérique du Sud qui va être génial.

Le programme des prochaines 24 heures c’est ça. C’est un peu cette ambiance d’être au reaching appuyé, en allant très vite. Pendant que je vous parle on est quand même à 36 nœuds. Il y a la lune sur ma gauche qui m’éclaire et Tom est aux écoutes derrière qui régule le bateau. C’est assez magique et très agréable pour moi de sentir un bateau de cette taille-là aller à cette vitesse-là en toute sécurité. C’est sublime.


Thomas Coville : "En fait, c'est grand le Brésil !"

Vendredi 19 novembre. On est dans l'un des endroits les plus fantastiques au monde, au large du Brésil. En fait, c'est grand le Brésil ! On a dépassé Salvador de Bahia et là, on est à quelques heures de passer au large de l'île de Trindade. Et les pour conditions, on est avec une mer quasiment plate et un vent de travers. On ne peut pas utiliser notre foil et on enfonce le flotteur jusqu'à ce qu'on ne le voie plus. 

On espère avec Thomas, quasiment depuis qu'on est reparti de Madère, pouvoir utiliser le bord valide du bateau. Mais pour l'instant, quasiment tout s'est fait sur le bord cassé. On espère pouvoir faire la redescente en se faisant plaisir à la barre et en ayant enfin des vitesses décentes jusqu'en bas du Brésil. Là, on monte un peu crampons, piolets et peaux de phoques et on espère que la descente dans la poudreuse va être aussi bonne que ça à l'air de l'être pour les bateaux qu'on a croisés. On n'est plus du tout dans le même système que les autres parce qu'autant le Pot-au-noir a été clément pour eux et ils sont passés comme des fleurs, autant pour nous, ça s'est refermé derrière et on est restés quasiment 24 heures de plus. Donc, non seulement on s'était arrêtés mais en plus, les griffes du Pot-au-noir n'ont pas été très agréables.

On devrait pouvoir s'en sortir. Sur Sodebo, on ne manque jamais de bouffe, c'est un point d'honneur. On se fait des pâtes, Thomas est le chef cuistot en pâtes, moi, je suis plus sur le sandwich. On mange bien. On se fait chacun à notre tour à manger, c'est à qui rivalise sur ce qu'il rajoutera, le petit truc qui fait que c'est plaisant. L'un ou l'autre prépare mais on mange ensemble, ça s'est instauré de façon un peu rituelle.

On est loin de l'arrivée. Il peut se passer encore vachement de choses parce qu'il y a encore du chemin et beaucoup d'obstacles possibles. On n'a pas de problème technique sur le bateau, on n'a pas sorti la caisse à outils, en dehors du fait d'avoir touché au large de Madère très tôt dans la compétition. Il y a une chose qu'on ne veut pas rater, c'est la rencontre qu'on s'est promis de faire ensemble sur cette longue transat. On n'a pas envie de passer à côté de ce moment qu'on peut partager sur un de ces bateaux magiques. Il y a cinq volants de Formule 1 en course au large au monde et on fait partie de ces chanceux-là.

Quand il y en a un qui est moins bien, l'autre le reprend. On cherche quand même à améliorer tout le temps. Je suis retourné dans le flotteur pour essayer que le foil qui est cassé puisse nous servir un petit peu. C'était engagé parce qu'aller dans le flotteur quand ça va vite, c'est chaud. Mais la Jacques Vabre, ça ne peut pas être autre chose que de se faire plaisir. Sinon, on est passé à côté du truc.


Thomas Rouxel : "Ça ventile et ça rafraîchit un peu"

Jeudi 18 novembre. On a passé l'équateur hier en milieu de journée. L'équateur se trouve un tout petit peu au sud du Pot-au-noir et du coup, quand on passe l'équateur, il y a du vent. Une vingtaine de nœuds de vent. Donc ça ventile et ça rafraîchit un peu par rapport à la veille. Il n'y a pas de vent du tout dans le Pot-au-au-noir, il faisait beaucoup plus chaud la veille... Mais là, il fait chaud. On est toute la nuit en short tee-shirt, sous la pluie, dans les grains...

Il y a 13 heures de soleil pour 11 heures de nuit. ça doit être plus qu'en Bretagne en ce moment, effectivement.... On s'est aussi décalés vers l'Ouest. Du coup, il fait jour plus tard et nuit plus tard que chez vous. Et il fait nuit beaucoup plus tard que chez vous le soir.

On n'a pas mangé tous les plats lyophilisés qu'on avait prévu parce qu'il y a des fois où l'on n'a pas trop le temps. Et puis, des fois, on avait un peu moins d'appétit. Mais en moyenne, on mange plutôt bien. Pas de problème là-dessus. On a même eu l'occasion de faire des petites pâtes normales à deux reprises quand les conditions le permettaient. C'est toujours agréable. On est à 50-50, les pâtes, c'est moi qui les fait, les 'lyoph', Thomas en prépare régulièrement. Donc on partage les tâches. Évidemment, il reste du chocolat. J'avais prévu pour qu'il y en ait tous les jour, il y en a tous les jours ! Et pour le moment, il a survécu. Il n'a pas trop fondu. Donc, j'ai bon espoir que ça tienne jusqu'à l'arrivée. 


Thomas Coville :  "Comme si le cœur du bateau se remettait à battre"

Mercredi 17 novembre. Il est 4h31 sur le trimaran Sodebo. Je me suis un peu écarté et je ne parle pas trop fort parce que, Tom, mon coéquipier, dort et il a besoin de ce repos. On a pas mal travaillé sur notre foil aujourd'hui pour essayer d'améliorer ce qui peut l'être. On a beaucoup subi, ça n'a pas été très facile. Encore une journée compliquée dans ce Pot-au-noir. C'est un peu un piège naturel ou comme les serres d'un aigle qui vous emprisonnent et vous donnent la sensation de ne jamais pouvoir vous libérer. Et à la fois, c'est un endroit absolument extraordinaire, complètement unique. Habituellement, on est impressionné par la mer, les vagues, parfois le vent violent, le déchaînement des deux. Et là, dans cet endroit, on est impressionné par la taille des nuages qui se forment sous vos yeux par la puissance de la chaleur et l'évaporation de l'eau et qui donnent, une fois de plus, la sensation que, quand on est en mer, on n’est pas grand-chose.

C'est terrible parce qu'on n'a pas l'habitude d'être impuissant. On voudrait maîtriser, avancer, aller vite, gagner et à cet endroit-là, on subit, on se tait, on accepte. On est juste tolérés, en fait, ici. C'est un endroit entre les merveilles de la nature et sa démence et sa capacité à être tellement violente et tellement forte qu'elle vous emporterait. Le moindre nuage a tellement de puissance ! Toute la nuit dernière a été jalonnée d'éclairs et dans ces moments-là, on ne fait pas les malins. Voilà la carte postale et, un peu, le sentiment de ce soir.

On s'est fait piéger et, comme on avait un décalage avec les camarades dû à notre escale à Madère, on n'a pas subi du tout les mêmes conditions et la frustration est là. C'est ça souvent, en mer. On est capable de ressentir au même moment une frustration énorme de compétiteur et une exaltation incroyable d'observateur ou de marin.

Ce soir, on revit. Le vent est revenu, le bateau bouge. Ce n'est pas encore des grandes vitesses, mais ça repart, comme si le cœur de notre bateau se remettait à battre. À la barre, j'avais envie de me faire plaisir. J'avais envie d'oublier la frustration d'être loin dans le classement, d'avoir eu cette collision, j'avais envie de sentir mon bateau, revivre, me dire, que finalement, on avait passé une belle journée avec Thomas. Notre cohésion fait plaisir. Même frustrés et même tendus par moments parce qu'on est loin dans la course, on arrive à garder tous les deux le sens de l'humour.

Je suis juste à l’entrée du cockpit, la Lune se reflète sur l’eau, avec le clapot, ça donne des milliards de diamants à la surface de l’eau, alors que c’était complètement lisse hier soir. La Lune est tellement puissante que l’ensemble du ciel est illuminé. Il fait bon, pas trop chaud, j’ai enlevé mon tee-shirt, je peux sentir le vent sur ma peau et dans mes cheveux propres – car on a pris une douche dans un grain, je profite de tout ça. Je regarde la vitesse, on est à 18 nœuds, à 74 degrés du vent, on fait du 190 et on arrive petit à petit vers l’équateur. Par rapport à il y a deux jours, c’est incroyablement jouissif. D’un seul coup, tout repart, c’est sacrément beau. 


Mardi 16 novembre. Depuis la nuit dernière, Thomas Coville et Thomas Rouxel sont entrés dans le Pot-au-noir, d’où des vitesses qui ont sensiblement baissé à bord de Sodebo Ultim 3.

Sodebo Ultim 3 a le droit pour l’instant à une version "pétole" du Pot-au-noir, avec une large bande de vents faibles qui s’étend à peu près jusqu’au 3e parallèle, juste au-dessus de l’équateur, distant d’environ 400 milles. Thomas Coville et Thomas Rouxel vont devoir s’armer de patience avant de commencer à naviguer "la tête en bas" et de reprendre de la vitesse vers les côtes brésiliennes et la marque de passage de l’archipel de Trindade et Martin Vaz.


Thomas Coville : les lunettes de Cavendish

Lundi 15 novembre. Il y a un peu plus de 24 heures environ, juste avant le début de mon quart, je prenais mon temps pour me brosser les dents et profiter de la température extérieure avant d’aller relayer Thom. J’avais bien récupéré malgré la chaleur qui commençait à se faire sentir à l'intérieur. Nous étions en tribord amure, sur notre bon bord. Le bateau volait avec peu de vent et l’équilibre était parfait. Il faut venir jusqu’à ces latitudes pour trouver ces conditions de paradis. Chaque fois que nous empannons sur cette amure, nous retrouvons notre bateau d’antan. Les sensations reviennent, barrer devient un vrai plaisir exquis. Je sentais Thom concentré et la fin de la journée apportait un éclairage qui le rendait encore plus calme et détendu qu’à l’ordinaire.

Quand soudain, par un mouvement du bateau, une écoute vient me fouetter le visage violemment et m’arrache mes lunettes que j'avais ajusté sur ma tête avant d'aller barrer. Je me retourne et je les vois rouler sur le filet et s'envoler par-dessus bord. J'ai senti alors monter en moi, cette colère et cette rage que j 'avais au fond de moi ! Sans pouvoir rien maîtriser, je me suis mis à hurler et à jurer. Je tapais du poing sur le pont, je frappais le marchepied de mes talons, j'ai attrapé l'écoute qui m’avait giflé et je l’ai tiré en arrière. Je voulais l’arracher de la voile. J'ai crié et juré encore, je ne pouvais plus m’arrêter !

J'avais cette boule coincée dans mon sternum depuis notre collision, je la sentais là, présente, impossible à extraire, elle s'était logée et les actions et décisions à prendre lui avait permis de se blottir au fond de moi sans que je puisse vraiment réaliser que je l'avais encore vraiment en moi. Cette colère de ne pas comprendre ou accepter de ne pas avoir été au bon endroit, au bon moment ! De subir un aléatoire aussi injuste ! Mais il n'y a pas de justice dans la nature, la nature cherche l'équilibre mais pas de droit ou de devoir ! En me faisant agresser par cette écoute sans raison, je revivais la même émotion trop forte pour être de nouveau encaissée ou acceptée. Je devais la faire sortir. Je ne voulais plus être celui qui n'était pas à sa place, à sa bonne place ! Je suis heureux d'être là, j'aime ce que je fais et je ne veux pas subir, encore moins ma propre colère !

Je hurlais encore et ça sortait comme un volcan de sentiment non exprimé et qui attendait cette gifle de nulle part pour que je la crache et la vomisse. J'ai choisi et je ne veux pas me laisser dominer par cette colère ! Je souffre, oui, ou plutôt, je suis frustré mais j’assume et je vis ce que j 'ai mis en place en travaillant comme un acharné depuis des années. Alors oui, je suis malgré cet accident dont je n’avais aucune maitrise là où je voulais être et je ne veux plus être agressé par le hasard.

J'ai pris la barre, Thom me regardait avec ses grands yeux effarés. Il bafouille quelques mots, je lui fais signe que c'est bon. Il n'insiste pas, il me laisse et je sens qu'il ne me juge pas, qu'il me laisse libre avec mes émotions. Je retournerai m'excuser quelques heures plus tard et il me sourira comme si j’avais raconté une blague ; m'excuser de quoi, d’avoir sortir ma colère ? mais au contraire ! Notre liberté va jusque-là, ici-bas, au large des îles du Cap-Vert.

J'entends dans ma tête la musique et la voix, cette chanteuse qui m'envoûte chaque fois que je l'écoute : Cesaria Evora. J'ai barré en faisant voler le bateau comme jamais. J'étais haut, rapide et régulier, je sentais mon souffle plus long et j’avais descendu les épaules, mon corps me répondait et lâchait lui aussi. La boule s'estompait et j’ai barré jusqu'à la nuit. Jusqu'à ce que les étoiles apparaissent. Nous avons empanné et donc repris le bord où nous sommes toujours meurtris par un foil diminué mais je n’avais plus mal, j’avais décidé de ne pas vivre avec, mais de faire de cette colère une autre énergie.

Rien n'a fondamentalement changé, dans les faits nous sommes loin et la course n'a pas la même saveur. Mais je pensais à tous ceux qui souffrent de cette collision avec la vie et je leur dédie cette émotion, cette sensation et ce que j'en ai fait pour continuer et de vivre avec Thom, une autre histoire, certes, mais pas dans la colère ! J’ai perdu mes lunettes fétiches de Cavendish, ce champion cycliste unique qui prend tous les risques et qui tombe si souvent pour aller chercher un peu plus loin les étoiles de son maillot de Britannique, mais je continue à croire que je suis au bon endroit avec les bonnes personnes. Et que tant que je l'aurai décidé, rien ne m'empêchera de voler !


Thomas Rouxel : "Beau temps, belle mer"

Dimanche 14 novembre. Il est 0 heure, nous sommes dimanche matin. Il fait nuit, mais on est bien éclairés par la Lune. Mer plate, "beau temps, belle mer", un vent de 13-15 nœuds qui nous permet d'avancer entre 25 et 30 nœuds. On n'est pas sur le bon côté puisqu'on appuie sur le foil tribord, qui ne nous permet pas de voler. Mais on essaie de faire au mieux pour avancer le plus vite possible quand même. 

On s'est bien reposés ces dernières 24 heures, notamment la nuit dernière, on a bien bien dormi. Les conditions étaient plutôt clémentes. Le bateau avançait bien en mer plate et du coup, on a pu enchaîner les siestes de deux-trois heures, chacun son tour, et donc on a pu bien récupérer ; on en avait besoin. On a croisé la flotte des Océan 50, et on les observe évidemment, parce que c'est une source d'informations sur la météo : quand ils vont vite, c'est qu'il y a du vent. Quand ils ralentissent, c'est qu'il y a moins de vent. Donc on les observe attentivement, notamment avec notre équipe de routage à terre. Et effectivement, on en a croisé deux, notamment Solidaires En Peloton la nuit précédente et on a eu un petit échange radio. J'ai eu un petit échange radio avec avec Fred Duthil, qui est quelqu'un que j'apprécie. On a regaté l'un contre l'autre en Figaro il y a longtemps et j'ai eu l'occasion de retravailler avec lui puisque maintenant, il est "technique voile". J'ai retravaillé avec lui cet hiver pour préparer la Transat en double que j'ai faite avec Pierre Leboucher sur Guyot Environnement et on a pu bosser sur les voiles. C'était très intéressant. Et donc on a échangé un petit peu hier à la radio quand on les a croisés, c'était sympa.

Je viens de lire le message de notre équipe de routage qui nous annonce qu'après 24 heures de réflexion intensive, ils viennent de prendre la décision de finalement passer à l'ouest du Cap Vert. C'était soit l'ouest du Cap Vert, comme le font les Ultimes qui nous précèdent, soit passer au milieu. En fait, c'est surtout déterminé par l'endroit où on veut passer le pot au noir. Jusqu'à aujourd'hui, ils avaient bon espoir de le passer assez dans l'est et donc de réussir à couper la route. Et là, finalement, il viennent de décider de ne pas prendre ce risque. Donc on va rallonger un petit peu la route pour faire comme nos adversaires et faire un petit décalage dans l'ouest, passer à l'ouest du Cap Vert et passer le pot au noir un petit peu plus ouest, ce qui permet, espérons-le, d'avoir un pot au noir assez clément. 


Thomas Coville : "Lucides mais optimistes"

Samedi 13 novembre. On a vécu une séquence indescriptible. Le choc a été super violent, un peu comme quand tu as un accident de voiture. On est un peu traumatisés. Thomas est tombé et s’est fait très mal. Notre foil était très abimé. On a passé presque 13 heures à essayer à le réparer. On a réussi à sécuriser le bateau mais on ne pouvait pas tout faire tout seuls, donc on a demandé de l’aide à notre incroyable équipe technique. C’est dans ces moments-là qu’on prend conscience que c’est un sport d’équipe. Quelques heures après notre arrivée à Madère, ils étaient cinq à nous rejoindre et pendant deux heures ils ont remué ciel et terre, et ils ont réussi à réparer une partie du foil et à rendre le bateau fiable.

On a eu envie de continuer. Et donc deux heures et demie après leur arrivée, on a re hissé la grande voile, on est repassé par notre point d'arrêt et on est reparti. Quelques heures après, on était à 30 nœuds dans les Alizées. On est super frustrés évidemment car on est compétiteurs, mais super contents. C'est la puissance du double. On s'est dit qu'on avait quand même trop de chance de faire cette transat, d'avoir une équipe derrière et tellement de monde qui nous soutient. On est poussé par quelque chose qui nous dépasse, au-delà du métier ou de la compétition. Et maintenant, on est encore en course !

C’est vraiment un sport de timbré, car quand tu es dans la pétole [absence de vent], tu t’accroches au moindre souffle. Tu as l’impression que tous ont du vent sauf toi. Tu deviens un peu schizophrène. Après on est calmé et aidé par des logiciels de routage et les prévisions météo et ça te ramène à la réalité. Là, on a 500 milles de retard et on est lucides par rapport à ça. On suit à distance la bagarre dans laquelle on aurait voulu être, mais ça serait indécent de se plaindre face à des gens qui sont plus à la peine que nous. On s'accroche à un espoir, on est optimistes, c’est la nature humaine.


Thomas Rouxel : "On repart à l'assaut de la Martinique !"

Vendredi 12 novembre. Petite "voice note" de la nuit sur ce qui s'est passé hier. C'était la nuit dernière, il y a un peu plus de 24 heures, un peu moins de 24 heures... Peu importe. On était en train de naviguer dans un vent très instable en babord amure. Thomas était à la banette, moi, j'étais en train de retourner à la barre et on a heurté très violemment. On ne savait pas ce que c'était. C'était tellement violent que je me suis retrouvé projeté vers l'avant du bateau. Au passage, j'ai un peu tapé tout ce qu'il y a avait à taper, la manivelle de winch, l'écran de l'ordi... C'était tellement violent que j'ai pensé qu'on avait tapé un bateau, qu'on allait sortir de là avec l'étrave pétée... Vraiment, c'était incroyablement violent. Finalement, on a fait le tour du bateau et on a vu que le foil tribord était endommagé. Et là, on s'est lancé dans une mission pour essayer de continuer à naviguer.

On ne savait pas encore si ça allait être juste pour rejoindre un port et réparer ou si ça allait être pour continuer la course. Mais voilà : on a bricolé pendant 12 ou 13 heures. On n'a pas réussi à faire ce qu'on voulait. Du coup, on s'est retrouvé à Madère avec l'équipe technique qui atterrissait à minuit et demi. Ils sont montés à bord dès qu'ils sont arrivés et en deux heures, ils ont réussi à nous remettre le bateau en état. Le foil tribord est toujours cassé, donc on ne pourra quasiment pas l'utiliser. Mais on peut repartir en course, on peut naviguer, et donc on vient de prendre la décision de repartir en course. On est en train de quitter la baie de Funchal, à Madère, pour repasser par le waypoint où on a arrêté la course. On va reprendre la course à ce point-là et repartir à l'assaut de la Martinique.

Je ne fais pas de boxe, mais je pense qu'un boxeur, le lendemain du combat, cela ressemblait à ça : j'ai quelques hématomes là où là où j'ai rencontré des choses sur mon petit trajet, au bras droit, au coude gauche, à la hanche gauche, au pied, à droite... mais ce n'est pas très grave. Ça va se diluer avec le temps et ça ne m'empêche pas de naviguer. On très content de repartir, on va prendre beaucoup de plaisir en mer. L'enjeu compétitif va être moins intéressant, c'est sûr. Mais du coup, on va pouvoir se concentrer sur le plaisir etcontinuer à progresser sur le bateau. Et puis, on ne sait jamais ce qui peut se passer, on sera tout le temps à fond. Et maintenant, il s'agit de rejoindre la Martinique, comme les copains. A plus tard !


Thomas Coville : "On va faire un stop à Madère"

Alors qu’il naviguait en deuxième position de la Transat Jacques Vabre à la latitude du Maroc, dans la nuit de mercredi à jeudi, vers 1 heure du matin, Sodebo Ultim 3 a heurté violemment un objet flottant non-identifié. Le foil tribord avait été endommagé.

Jeudi 11 novembre. Cette nuit, alors qu'on était en match – un peu distancié il faut l'avouer – avec Charles et Franck [Caudrelier et Cammas, sur Maxi Edmond de Rothschild], et qu'on sentait que derrière, il y avait de la pression, on a heurté violemment le foil tribord. Dans ce choc, Tom a traversé le bateau, il est tombé et il est contusionné. On a passé quasiment douze ou treize heures à pouvoir remonter le foil et à réparer ce qui était réparable, on n'a pas complètement terminé. On va donc faire un stop à Madère pour voir avec notre assistance si on est capable de remettre au moins le foil dans une position dans lequel il ne continue pas à endommager la coque. Et voir s'il est raisonnable de pouvoir repartir. Avec une analyse de Philippe Legros, Will Oxley et Thierry Douillard avec des chances raisonnables de pouvoir au moins finir la course. Ou, dans tous les cas, revenir un peu dans le match si c'est possible, vu la situation qui n'est pas facile en ce moment. Ce qui serait, pour le coup, peut être une opportunité pour nous de revenir. C'est le scénario. On n'a pas jeté l'éponge parce que on veut voir si c'est résolvable, d'abord, et après si c'est raisonnable de pouvoir envisager de revenir en trouble-fête... si, effectivement, la météo le permet.

 


Thomas Coville : "Quelle course géniale !"

Mercredi 10 novembre. Cette nuit a été exceptionnelle : déjà, sortir de cette zone de "pétole", c'est-à-dire où il n'y a plus de vent... La vie est triste sans vent ! On a réussi à s'en extraire. Et plutôt pas mal, plutôt bien. On était tout tendu d'y laisser des plumes, de se retrouver oubliés par le vent et d'y rester longtemps alors que les petits copains pouvaient être partis. Et en fait, à peu près tout le monde est reparti en même temps. C'est génial parce que du coup, ça fait une course très serrée. Au cap Finisterre, on s'est retrouvés bord à bord, dans la nuit, avec Franck et Charles [Cammas et Caudrelier, sur Maxi Edmond de Rothschild]. Je n'oublierai jamais ce moment : ils ont mis le "power" à ce moment-là et ils sont passés. Et leur bateau était sublime, aérien, très volant. Ce cap Finisterre restera un très, très bon et grand moment de cette course. Depuis c'est un peu plus cool, et je vous raconterai ça demain. En tous les cas, quelle course géniale ! 


Thomas Rouxel : "Assez compliqué pour les nerfs"

Mardi 9 novembre. Il est 0h40, heure locale. "Thom" Coville est à la bannette et moi, j'essaie de faire avancer le bateau avec le 1,3 nœud de vent que j'ai pour le moment. Donc, effectivement, c'est un golfe de Gascogne bien différent de ce qu'on pourait ou devrait connaître à cette époque-là. C'est assez compliqué pour les nerfs. C'est cyclique. Il y a des moments où on en a vraiment marre et envie d'aller se coucher. C'est ce qu'on fait, d'ailleurs. Et d'autres où on fait avec. De toute façon, on est tous, à peu de choses près, dans le même bordel, donc on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a. Voilà un peu l'ambiance de ce début.

On est à vue, là, avec Actual [Yves Le Blevec et Anthony Marchand]. Dès qu'on gagne 0,1 ou 0,2 mille, on est contents. Dès qu'on perd, on est moins contents. Mais c'est cool. Après, il y a un peu d'écart avec Banque populaire XI [Armel Le Cléac'h et Kevin Escoffier] qui est dans l'ouest, les deux bateaux neufs SVR-Lazartigue [François Gabart et Tom Laperche] et Maxi Edmond de Rothschild [Franck Cammas et Charles Caudrelier] qui sont dans l'est. Ça s'est fait au gré des conditions de vent, ils ont eu du refus, nous, on a eu de "l'ado", donc l'écart s'est créé comme ça et on verra à la fin ce que ça va donner. Après un peu plus de 24 heures de course, on ne se sent pas trop mal. On a bien mangé. On a le temps de se reposer. On dort bien parce que le bateau ne fait pas trop de bruit. Les phases d'humeur sont un peu cycliques en fonction des risées, mais en moyenne ça va très bien à bord. 


Thomas Rouxel : "Du départ à la bouée, j’ai rien vu"

Lundi 8 novembre. Salut à la terre ! Première "voice note". Il est 1h45 du matin et on est entre l'Aber Wrac'h et l'entrée du Fromveur. On a bien vécu ce départ. Moi, je l'ai vécu de l'intérieur, surtout parce que je n'ai quasiment pas arrêté de tourner la manivelle du départ jusqu'à la pointe du Cotentin. J'ai barré un peu quand même au près dans la baie de Seine. C'était très sympa, mer assez plate et vent 15-20 noeuds, très agréable. Mais sinon, le départ jusqu'à la bouée de dégagement, je n'ai pas vu grand-chose, voire rien vu, mais ça avait l'air très joli.

La régate au contact, c'est top. C'est tous les ultimes là, à portée AIS [dispositif qui permet d'afficher les positions des autres bateaux], donc on voit les petits coups. Quand on fait un bon coup, ça se voit, quand on fait un mauvais coup, ça se voit aussi. Ça, c'est vraiment génial. Pourvu que ça dure. Le programme des 24 prochaines heures, ça va être beaucoup de bol. Là, on s'apprête à passer dans le Fromveur, dans le chenal au sud d'Ouessant, face au courant. Ça va être un passage délicat. Voilà les news. Salut !


Thomas Coville

Skipper de Sodebo Ultim 3
53 ans, né le 10 mai 1968 à Rennes


Thomas Coville. 6e participation à la Transat Jacques-Vabre. Vainqueur en 2017 avec Jean-Luc Nelias, 2e en 2015 avec Jean-Luc Nélias sur "Sodebo Ultim". Recordman de l’Atlantique Nord en solitaire en 4 jours 11 heures 10 minutes 23 secondes. (VINCENT CURUTCHET / SODEBO)

Thomas Rouxel

38 ans, né le 26 novembre 1982 à Saint-Brieuc

Thomas Rouxel. 2e participation à la Transat Jacques-Vabre, 2e en 2017 avec Sébastien Josse sur "Gitana 17". (VINCENT CURUTCHET / SODEBO)

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