Mondiaux de biathlon 2023 : "Quentin Fillon Maillet aurait pu lâcher mais il n'a pas baissé les bras", explique Martin Fourcade
"Je vous rappelle dans deux minutes, Quentin fait le dernier tir du relais mixte, la médaille se joue !" Quand on décroche le combiné, mercredi 8 février, on se rend bien compte que Martin Fourcade a tout gardé de la passion qui l'animait sur les skis. La télévision en fond sonore, la légende du biathlon français suit en observateur privilégié les Championnats du monde de biathlon, qui viennent de débuter à Oberhof, en Allemagne (du 8 au 19 février).
L'épreuve est par équipe, mais le dernier relais prend des airs de duel entre le Jurassien Quentin Fillon Maillet et le Norvégien Johannes Boe, irrésistible depuis le début de saison. Cette fois encore, le Français doit s’incliner sur les skis. L’équipe de France doit quant à elle se contenter du bronze, derrière l’Italie et la Norvège. C'est d'ailleurs de cela que l'on venait discuter avec Martin Fourcade. Comment expliquer que le Jurassien, remarquable à Pékin, soit passé à côté de son début de saison ? Décryptage.
Franceinfo: sport : Quentin Fillon Maillet réalise un début de saison en demi-teinte, après avoir remporté le gros globe de cristal l'an dernier. Comment l'expliquez-vous ?
Martin Fourcade : C'est un début de saison mitigé, Quentin est quatrième du classement mondial de coupe du monde à la veille des Mondiaux. Il lui manque un peu de fraîcheur et de vitesse sur les skis pour pouvoir rivaliser avec Johannes Boe et avec les autres Norvégiens. Pour être le meilleur biathlète au monde, tout se joue sur les skis. C'est là que les courses se gagnent.
La saison de Quentin était exceptionnelle l'an dernier. Il s'est affranchi de tous ses adversaires ! C'était peut être la saison de sa vie. Cette année, à l'inverse, il a une petite méforme par rapport aux valeurs de base qu'il montrait sur les précédentes Coupes du monde. Lui-même ne s'attendait sûrement pas à vivre pareil début de saison.
Est-ce que l'après-Jeux olympiques est une période difficile à gérer ?
A voir la saison de Johannes Boe, je ne suis pas sûr que l'on peut parler de syndrome post-olympique. Je ne l'ai en tout cas jamais ressenti comme tel, même si mes saisons 2015 et 2019 ne sont pas mes meilleures années. Forcément, Quentin a changé de dimension à Pékin, et c'est pour lui un nouveau statut à appréhender. Mais je pense qu'il aurait pu vivre exactement la même situation sur une saison traditionnelle. Les Jeux sont certainement un facteur de ce début de saison un peu moins performant, mais pas l'unique cause.
Aviez-vous adapté votre préparation de retour des Jeux olympiques en 2010, 2014 et 2018 ?
Je savais que mes concurrents et le grand public s'attendaient à me voir me satisfaire des Jeux olympiques. J'avais donc, au contraire, tendance à augmenter mon implication dans les années suivant les Jeux, pour montrer que ce n'était pas la fin de mon aventure et qu'il fallait encore compter sur moi.
Ce que j'ai peut-être mal fait en 2018 en revanche, c'est que j'aurais dû prendre plus de repos. J'ai attaqué trop vite, trop tôt, et je l'ai payé sur la saison 2019. Johannes Boe gère bien la récupération. C'est un athlète qui sait prendre du temps pour lui. Il a peut-être mieux dosé le ratio investissement-repos que Quentin, avant cette saison intense.
Il est difficile de s'accorder du repos après avoir réalisé une saison au firmament ?
Dans le sport de haut niveau, et particulièrement dans le biathlon, nous sommes dans une spirale où nous valorisons l'effort, l'entraînement, l'investissement. On a donc l'impression d'être tire-au-flanc si on n'est pas celui qui fait l'heure de plus, la séance de plus, le tour de plus. Mais quand on atteint un très haut niveau sur plusieurs années, il faut avoir le recul de se dire : "Ça ne va pas être la séance de plus, mais la séance de trop".
Je l’ai appris à mes dépens en 2019. Je suis notamment passé d'un entraîneur très protecteur, Stéphane Bouthiaux, à un entraîneur qui me connaissait moins et qui avait donc tendance à en rajouter à l'entraînement. Le feeling entre nous était très bon, mais je pense que l'on ne s'est pas assez écoutés à ce moment-là. Il a fallu que je prenne du repos et que je m'accorde le droit d'être un peu plus à l'écoute de mes sensations, plutôt que de me restreindre à suivre un programme normé. A vouloir en faire toujours plus, ça m'a coûté cher.
Quand les résultats ne suivent pas, la pression se fait-elle davantage ressentir, notamment sur le pas de tir ?
La pression influe à la marge. Je trouve que Quentin a très bien géré la situation. J'étais un peu inquiet sur ses courses au début de l'hiver, quand ça devenait récurrent qu'il soit un peu derrière. Je me suis dit : "Pourvu qu’il ne lâche pas !" Quand les résultats ne viennent pas, sans que l’on ne sache trop pourquoi, c’est très dur mentalement. Quand on a goûté à une saison où tout nous sourit, c'est difficile de revenir dans des schémas plus traditionnels où l’on est un parmi d'autres. De ne plus faire la différence, de ne plus dicter sa loi. Quentin aurait pu lâcher, mais il n'a pas baissé pas les bras, c'est quelque chose qui m'a marqué.
"C'est une belle preuve d'humilité de la part de Quentin, sur ce début de saison, que de le voir rester dans une super démarche, agressif et combatif malgré le fait qu'il ne soit pas au niveau de ses attentes."
Martin FourcadeFranceinfo: sport
Malgré sa méforme en début de saison, peut-il aller chercher le titre individuel sur ces Mondiaux, le seul qui manque à son palmarès ?
Impossible de prédire une course en biathlon. Mais ce serait mentir de dire qu'il est favori ou que la médaille lui tend les bras. Le début de saison est dominé par les Norvégiens, il faudra donc compter sur les erreurs des autres. Mais Alexis Pinturault, qui a eu lui aussi un début de saison compliqué, a damé le pion à tout le monde aux championnats du monde de ski alpin ! C'est tout le mal que je souhaite à Quentin.
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