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France-Nouvelle-Zélande : les anciens Bleus livrent les clés de leurs exploits face aux All Blacks

Six ex-internationaux français reviennent sur ces rares moments que sont les victoires face aux All Blacks. De quoi donner des idées à la génération actuelle qui affronte la Nouvelle-Zélande samedi (21h).

Article rédigé par Justine Saint-Sevin
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Les Bleus face au haka néo-zélandais, avant leur victoire (42-33), le 18 novembre 2000.  (LAUNETTE FLORIAN / MAXPPP)

C’est une recette bien compliquée à réaliser, mais nécessaire pour espérer battre une équipe quasi-invincible. Après avoir dominé difficilement l’Argentine, montré un meilleur visage sans forcément briller face à la Géorgie, le XV de France espère trouver la solution samedi soir au Stade de France en clôture de sa tournée d’automne contre l’épouvantail du rugby mondial : les All Blacks. Vincent Clerc, Cédric Heymans, Jean-Baptiste Elissalde, Damien Traille, Xavier Garbajosa et Philippe Saint-André, tous, les ont battus au moins une fois dans leur carrière. Les six anciens internationaux plongent dans leurs souvenirs pour distiller les ingrédients secrets de leurs victoires.

Mettre une bonne dose de défi physique

C’est une réponse unanime. Sans combat, pas d’exploit à espérer contre les triples champions du monde (1987, 2011, 2015). "À chaque fois, c’était des matchs totalement indécis, qu’on a gagnés en les prenant dans l’engagement physique", débute l’ancien ailier ou arrière Cédric Heymans. Ce dernier, a remporté aux côtés de Vincent Clerc et Damien Traille le quart de finale de la Coupe du monde en 2007 (20-18) et le test match du 13 juin 2009 (22-27) à Dunedin. "Comme l’ont fait les Irlandais, il va falloir ne pas trop se consommer dans les rucks, casser des plaquages, les mettre sous pression", emboîte son ancien coéquipier du Stade Toulousain Vincent Clerc.

Contre les Blacks, la bataille se joue également dans les airs, sur les phases défensives comme offensives. "Tu dois être présent et ne jamais leur donner de coup gratuit. Si tu n’es pas à la retombée du ballon quand ils le récupèrent pour mettre la pression et que tu leur laisses du temps pour mettre en place leur contre-attaque rapide, ce n’est pas la peine", poursuit Philippe Saint-André, capitaine des Bleus lors des trois victoires consécutives en 1994 et 1995, marquées par le fameux essai du bout du monde.

Quand on les a battus, j’ai la sensation qu’on a eu un engagement total et beaucoup de réussite. On retrouve ça dans l’ADN du Stade toulousain, quand on met tous ces ingrédients, tout est pour vous, les rebonds, les décisions arbitrales, vous avez préparé l’enveloppe pour le cadeau.

Cédric Heymans, ancien trois quart aile polyvalent du XV de France (2000-2011)

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En effet, en s’imposant le week-end dernier à Dublin (29-20), les Irlandais ont montré la voie aux Bleus. Même si méfiance, la bête blessée sera sûrement d’autant plus dangereuse, elle qui n’a pas pour habitude de perdre des matchs et encore moins deux consécutifs. Si le sélectionneur Fabien Galthié a affirmé qu’il ne fallait "pas copier les Irlandais", pour lui, comme pour Cédric Heymans, il y a des choses à s'approprier. "Nos qualités sont différentes, les stratégies aussi, mais certaines choses qui font que les Irlandais ont gagné se retrouvent dans nos victoires." "Comme eux, il faudra avancer à l’impact, gagner des duels, et se relever au plus vite après les plaquages", confirme l’ancien arrière Xavier Garbajosa, présent lors de la victoire au Mondial en 1999 et lors du choc automnal à Marseille en 2000, dernière victoire à domicile face aux Blacks.

Doser sa dépense d’énergie en ne se consommant pas inutilement au sol est également un point essentiel. Car il faut en garder sous le pied pour proposer une défense capable de contenir des gabarits aussi costauds qu’agiles. Pour l’ex demi-de-mêlée, Jean-Baptiste Elissalde, c’est un secteur qui avait été particulièrement déterminant en 2007. "La résilience de notre équipe à défendre, c’est ça qui me revient en premier. On n’avait pas eu beaucoup de ballons, mais de la réussite sur nos deux, trois coups. C’était assez miraculeux comme victoire", atteste-t-il avant de souligner l’apport de "performances individuelles incroyables". Parmi elles, celle du troisième ligne aile, sécateur emblématique des Bleus, Thierry Dusautoir. Ce dernier avait établi un record de plaquage en un match ce jour-là avec 38 réalisations. Vous avez dit engagement physique ?

Bouillant en défense, Thierry Dusautoir marque un essai déterminant dans la victoire des Bleus (20-18) face à la Nouvelle-Zélande, en quart de finale du Mondial 2007, à Cardiff. (SÉBASTIEN LAPEYRERE / MAXPPP TEAMSHOOT)

Saisir la bataille mentale dès l’avant-match

Là encore, ils sont d’accord. La victoire passe aussi par la tête. Et cette bataille, se joue dès l’avant-match. Face aux apôtres du rugby, il n’est pas toujours facile d’ignorer un léger sentiment d’infériorité. "Vu leur rayonnement sur le rugby mondial depuis des années, c’est normal. Tu es dans un entre-deux avec à la fois la peur d’être submergé et l’excitation de l’exploit", résume Vincent Clerc. Difficile d’ignorer le palmarès d’un ogre qui adore s’offrir le scalp de tous ses adversaires à coup d’addition bien salée.

Même s'ils l'abordent de manière différente, tous évoquent l'importance du haka. "C’est quelque chose de très solennel, que je vivais comme un moment suspendu. Tu observes tout, les expressions du visage, la chorégraphie guerrière, il n’y avait pas de stress ou de volonté de défi en particulier", soutient pour sa part Xavier Garbajosa. "L’important c’est que ça ne te bouffe pas, mais au contraire que ça t’aide à te sublimer, que ça décuple ta motivation, ta générosité pour t’envoyer, liste l’ancien sélectionneur et capitaine des Bleus, Philippe Saint-André. C'est l'occasion de te souvenir que le match commence vraiment après, et que ce sera du 15 contre 15."

Quand on s’est approché d’eux en 2007, je ne les ai pas vraiment regardés. Avec mes 75 kg, j’allais défier personne. Je me suis recentré pour ne pas perdre d’énergie, j’ai basculé sur ce que je devais faire après. J’ai pensé à mon vis-à-vis et à ceux qui m’avaient permis d’être là à cet instant.

Jean-Baptiste Elissalde, ancien demi-de-mêlée du XV de France

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Alors que les Bleus avaient répondu au rituel guerrier en s’avançant bras-dessus bras-dessous sur la ligne des 50 mètres en 2007, d'autres sont, au contraire, allés chercher plusieurs fois ce défi du regard dès le haka.

Le XV de France face au haka néo-zélandais, lors du quart de finale de la Coupe du monde 2007, à Cardiff. (ROSS LAND / POOL)

Un grand moment, inscrit dans les pages de l’histoire du rugby, qui lient d’ailleurs Vincent Clerc, Damien Traille, Jean-Baptiste Elissalde et Cédric Heymans. "Cétait très fort. À ce moment-là, on les a perturbés, c’est certain", se remémore ce dernier. Assez pour que des Bleus, pourtant défaits en ouverture du Mondial par l'Argentine, et peu convaincants jusqu’alors, s’extirpent d’un quart de finale où on leur promettait l’enfer. Ils avaient également proposé un V de la victoire, avant la finale perdue (7-8) de 2011.

Ce haka sera de nouveau très important samedi selon Vincent Clerc. "C’est un moment qu’on attend avec enthousiasme, parce que c’est quelque chose qui fait rêver tout rugbyman. Samedi, certains vont vivre leur premier. Le premier, t’es obligé de le subir un peu, on est plus observateur et ensuite on entre dans le défi, dans l’anticipation de son premier duel avec son vis-à-vis. Il faut qu’ils se nourrissent de cette expérience pour la suite", conseille-t-il.

Concasser le tout par un mélange de possession et d’occupation

"Si vous leur laissez le ballon et qu’ils mettent en place leur maîtrise totale du rugby, qu’ils gèrent le rythme du match, c’est terminé", prévient Vincent Clerc. L’affirmation du deuxième meilleur marqueur de l’histoire du XV de France (34 essais, contre 38 pour Serge Blanco), peut paraître radicale, mais elle fait écho aux propos tenus par le numéro 9 néo-zélandais, TJ Perenara, après la défaite concédée face à l’Irlande. "La façon la plus simple de nous arrêter est de nous priver de ballons." Au total, le XV du Trèfle présentait un taux de possession de 61% et de 67% d’occupation à la fin de la rencontre.

Le plus grand défaut d’une équipe comme les Blacks qui aime la possession, c’est qu’elle n’aime pas défendre et courir après le score.

Cédric Heymans, ancien trois quart aile polyvalent du XV de France (2000-2011)

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Si la victoire de 2007 a prouvé que passer son temps à défendre et ne pas maîtriser la possession ne conduisait pas à coup sûr vers la défaite, c’est un élément qui explique en partie celle concédée le week-end dernier. Le sélectionneur néo-zélandais, Ian Foster, estimait qu’avoir été privé de ballons avait entrainé de la "frustration" les poussant "à concéder des pénalités". "La discipline est importante et les fautes coûtent cher quand vous passez votre temps à défendre dans votre camp. Surtout si les adversaires en profitent pour prendre les trois points", appuyait, d’ailleurs, le talonneur de cette équipe Codie Taylor. "Et de ton côté, quand les Blacks t’offrent ces cadeaux ou que tu as de rares occasions, tu dois en profiter un maximum. C’est comme ça que tu les déstabilises. Il faut réussir à les faire douter, à leur faire perdre le fil", complète Damien Traille.

Quand t’es devant, ils ne tentent pas les gestes fous qu’ils oseraient tenter s’ils menaient de 10-15 points. Ces gestes, quand ils les tentent et les réussissent, tout peut s’emballer et tu en prends 30 en suivant.

Philippe Saint-André, ancien capitaine et sélectionneur du XV de France (1990-1997, 2011-2015)

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Au-delà de la possession, mener au score est un atout indéniable. "Les Blacks n’ont pas l’habitude, ils préfèrent être chasseurs que chassés. L’équipe qui prend le score maîtrise le match, l’autre, au contraire, doit se découvrir. Certaines équipes comme Castres par exemple aiment ça et le font très bien, c’est une question de culture. Ce n’est pas celle des Blacks", avance Cédric Heymans. Prendre le score, c’est pousser hors de sa zone de confort cette équipe habituée à tout maîtriser. Et même quand on parvient à cocher la case, il faut "rester sur ses gardes", ajoute Vincent Clerc. "Face à eux, la moindre défaillance, c’est les points assurés. Ils sont très patients, ne s’affolent jamais. Ils guettent la moindre occasion d’essai et ne lâchent rien jusqu’à la dernière minute."

Une pointe de virtuosité pour assaisonner le tout

Toutefois, une fois le doute installé, la machine commence à s’engourdir. Et quoi de mieux pour finir de la dérégler que de lui opposer le rugby à la française souvent considéré comme le plus fantasque et le plus imprévisible ? "C’est peut-être pour ça qu’ils nous redoutent un peu plus que d’autres nations, parce qu’on n’est pas une équipe de système, du moins il y a une grande part laissée à l’initiative, à l’intuition. Même si on a ajouté du cadre ces dernières années, cette folie fait partie de notre culture", atteste Xavier Garbajosa.

Il y a un b.a.-ba pour battre les Blacks : physique, agressivité, gagner ses duels, ne pas faire de fautes bêtes, mais ça, c’est le minimum si tu veux rivaliser. Ils ne laissent rien au hasard, on dit que le diable se cache dans les détails, eux ils l’ont croqué. Ils travaillent pour répondre à toutes les situations, s’ils ont une infériorité numérique, un blessé, ils savent quoi faire. Si tu veux gagner, il faut les surprendre.

Xavier Garbajosa, ancien trois quart polyvalent du XV de France (1998-2003)

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C'est là qu'entre en jeu le fameux "french flair" qui revient dans toutes les bouches des adversaires des XV tricolores successifs depuis des années. Et quoi de mieux pour le représenter que Jean-Luc Sadourny, auteur de l'essai du bout du monde le 3 juillet 1994.

L'arrière français, Jean-Luc Sadourny, symbole du french flair, contre la Nouvelle-Zélande, le 18 novembre 2000. (OLIVIER MORIN / AFP)

Samedi, face aux coéquipiers de Sam Whitelock, les anciens Bleus estiment que cette génération a plus de choses à gagner qu’à perdre. "Pour l’instant, c’est un match sans enjeu qui va servir à s’étalonner et peut-être aussi à démystifier les All Blacks pour certains avant le Mondial. C’est une expérience, une chance incroyable dont ils doivent se servir", amorce Vincent Clerc. "C’est le bon moment pour un exploit, les Blacks sont en fin de saison, peut-être fatigués, même s’ils seront revanchards", enchaîne Jean-Baptiste Elissalde. Xavier Garbajosa y croit aussi : "Pour battre les Blacks, il te faut au moins cinq joueurs qui sont les meilleurs à leur poste, on n'est pas loin d’y être avec cette génération. De mon vivant, je n’ai jamais vu une telle diversité de talents à tous les postes. C’est un vrai atout, pour les rencontres contre les Blacks, mais aussi pour l’objectif ultime qu’est la Coupe du monde 2023.

Voilà 21 ans que les Bleus n’ont plus battu les Néo-Zélandais à domicile, c’était le 18 novembre 2000, à Marseille. Ils étaient passés proches de réitérer l’exploit en 2002 (nul 20-20), Vincent Clerc honorait alors sa première cape. Samedi soir, les joueurs de Fabien Galthié ont l’occasion de mettre fin à une série de 15 défaites consécutives contre les hommes en noir. Pour leurs aînés, ils ont tous les ingrédients pour. Reste à les cuisiner d’une main de maître.

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