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Grand entretien Louis Borfiga : "Le tennis français a un creux de génération, mais je donne rendez-vous dans quatre ou cinq ans"

Article rédigé par franceinfo: sport - Propos recueillis par Hortense Leblanc
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Louis Borfiga a formé Jo-Wilfried Tsonga, Gaël Monfils, Milos Raonic ou encore Bianca Andreescu. (Tennis Canada)

Formateur français réputé et reconnu, Louis Borfiga a eu sous son aile la génération Tsonga-Monfils-Simon. Il pose un regard lucide sur la crise que traverse le tennis français mais se veut résolument optimiste pour l'avenir.

Fin de cycle, déclin inéluctable, relève qui tarde à s'affirmer... Le tennis français a touché le fond à Roland-Garros cette année en battant un triste record : pas le moindre représentant tricolore – sur la petite trentaine de joueurs et joueuses engagés – n'est parvenu à atteindre le 3e tour du tournoi du Grand Chelem parisien. Une première dans l'ère Open, débutée il y a plus d'un demi-siècle (1968). Un résultat sans appel, tout sauf inattendu et dernière conséquence de maux profonds.

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La Fédération française de tennis (FFT), qui s'appuie sur une nouvelle direction depuis quelques mois, n'a d'ailleurs pas attendu cette déroute annoncée pour plancher sur des axes d'amélioration, en particulier concernant la formation. Et pour ce faire, elle compte notamment s'appuyer sur l'expérience de Louis Borfiga, qui va endosser un rôle de conseiller spécial du président de la FFT, Gilles Moretton, à l'automne.

"Luigi", 66 ans, a formé entre autres Fabrice Santoro, Gaël Monfils, Jo-Wilfried Tsonga ou Gilles Simon pendant ses 21 ans à la fédération, dont 14 à l'Insep, la fabrique à champions du sport français. Il a ensuite exporté son savoir-faire au Canada ces quinze dernières années. Il a notamment permis l'éclosion de Milos Raonic, Denis Shapovalov et Felix Auger-Aliassime – tous les trois dans le top 25 mondial – mais aussi de Bianca Andreescu, lauréate d'un titre du Grand Chelem (l'US Open) en 2019. Si, outre-Atlantique, la presse le considère comme l'homme qui a révolutionné la formation canadienne, Louis Borfiga ne souhaite pas être présenté en sauveur. Il pose un regard lucide sur la crise actuelle du tennis français mais se veut résolument optimiste pour l'avenir. Entretien.

Franceinfo: sport : Comment analysez-vous la déroute du tennis français à Roland-Garros ?

Louis Borfiga : Comme tout le monde, je trouve ça triste d'avoir de tels résultats. Il faut se mobiliser pour pouvoir redresser le tennis français, mais ça ne sert à rien de se lamenter. La génération dorée de Jo (Tsonga) et Gaël (Monfils) est un peu vieillissante et la nouvelle génération n'est pas encore prête pour prendre le relais, ils sont encore un peu trop jeunes. Je pense aussi que Lucas Pouille a eu une blessure qui l'a vraiment ralenti, et il a du mal à revenir à son meilleur niveau.

Monfils, Tsonga, Gasquet et Simon ont beaucoup donné [près d'une soixantaine de titres à eux quatre sur le circuit ATP depuis 2005]. Leurs corps commencent à être fatigués, ils sont en fin de parcours, donc leurs résultats sont compréhensibles. Il y a un creux de génération, une conjoncture défavorable qui fait que, cette année, ça a été un mauvais Roland-Garros.

La formation française est-elle moins bonne qu'elle n'a pu l'être par le passé ?

Non, bien au contraire. Mais on peut peut-être se dire qu'après le succès de Jo, Gaël ou Richard, tout le monde s'est relâché inconsciemment. Les résultats s'enchaînaient, et même si tout le monde a continué à faire son travail, il y a peut-être eu un relâchement et il a manqué un petit plus. Mais en aucun cas la formation ne doit être remise en cause. Moi qui suis à l'étranger, je continue à dire que les meilleurs entraîneurs sont en France. Maintenant, il faut remobiliser tout le monde.

Le tennis français compte de très bons éléments chez les juniors. Y a-t-il un problème d'accompagnement dans la transition vers la carrière professionnelle ? 

Oui, mais c'est un problème qui n'est pas spécifique à la France. La majorité des pays y font face. Ce n'est pas évident, et il faut encore réfléchir à comment on peut mieux accompagner cette transition. On peut améliorer ça en responsabilisant davantage les jeunes joueurs, leur faire prendre conscience que c'est leur projet, qu'ils doivent davantage s'investir. C'est le plus important pour moi.

Les jeunes Français sont-ils aussi suffisamment formés pour la terre battue ?

J'ai toujours pensé que la meilleure surface de formation était la terre battue. Ça, c'est clair. Et j'ai toujours été étonné qu'en France, il n'y ait pas davantage de terrains en terre battue. Quand vous jouez beaucoup sur dur, votre style de jeu s'adapte à cette surface. Il est évident que si on veut gagner Roland-Garros, il va falloir jouer davantage sur terre battue. C'est certain, c'est même capital. On a un Grand Chelem sur terre battue, on se doit de former des joueurs sur terre battue.

"Quand vous jouez beaucoup sur dur, votre style de jeu s'adapte à cette surface. Il est évident que si on veut gagner Roland-Garros, il va falloir jouer davantage sur terre battue. C'est certain, c'est même capital. On a un Grand Chelem sur terre battue, on se doit de former des joueurs sur terre battue."

Louis Borfiga

Je sais que Nicolas Escudé [l'actuel directeur technique national] est à 100% dans cette optique. Il faut multiplier les tournées sur terre battue pour les jeunes, c'est indispensable, et ça va être fait.

Vous avez, vous-même, fait progresser des joueurs grâce à la terre battue ?

J'ai eu un exemple avec Milos Raonic, qui était pourtant un joueur de dur. Quand il avait 17 ans, on ne l'a fait jouer quasiment que sur terre, pour pouvoir le rendre encore meilleur sur dur. La terre permet de travailler toutes les facettes de son jeu et ça permet également de faire progresser un joueur sur dur.

Les joueurs français manquent-ils de préparation mentale ?

J'ai discuté avec Pierre Cherret [l'ex-DTN] et je sais qu'il y a beaucoup de choses qui sont faites pour la préparation mentale. Mais je pense qu'il faut cultiver l'esprit sportif chez les jeunes, pour en faire des sportifs avant d'être des joueurs de tennis. Les amener à aimer le goût de l'effort, aimer faire du sport. Ça doit être un plaisir de faire du sport. Les jeunes Français doivent aussi retrouver plus d'ambition, et que tout le monde croit en eux. Le jour où Felix Auger-Aliassime a dit en conférence de presse, à 16 ans, qu'il n'avait aucune limite, alors là je me suis dit que j'avais réussi mon pari, il n'avait plus peur de personne.

Les pistes de travail avancées par la fédération pour sortir la tête de l'eau vous semblent-elles suffisantes ?

Je pense que ça va vraiment dans le bon sens. Le message qui est envoyé est le bon. Au vu de nos réunions avec les acteurs du tennis qui vont aider Nicolas Escudé, je suis très optimiste. Les équipes en place sont des équipes passionnées. Ça ne va pas se faire du jour au lendemain, mais je suis certain que ça va marcher. Les hommes qui portent ces pistes sont les bons.

Je suis à 100% d'accord avec la remise en place des pôles nationaux. Pour moi, c'est très important. Le fait d'avoir créé un département pour les moins de 14 ans, c'est primordial aussi. Ça met la priorité sur la formation dès le départ. On est en train de tisser une toile qui va porter ses fruits. Quand je lis que Jo et Richard veulent s'investir pour aider les prochaines générations, c'est aussi super important. Il y a beaucoup de signaux qui me rendent vraiment optimiste.

Au Canada, vous avez formé de grands joueurs. Beaucoup disent que vous avez révolutionné la formation. Quelle est votre méthode ?

Je me suis appuyé sur un centre national et des centres régionaux. Et je pense aussi que, au départ, on a eu un discours très ambitieux. On a fait des choses extrêmement simples en mettant en avant l'esprit d'équipe, la valeur travail. On a fait des tournées, on a essayé de sortir les jeunes de leur zone de confort. Ça a bien pris parce qu'on avait un message fort qui partait du haut, relayé par mes dirigeants. Et en arrivant, j'ai demandé quatre courts en terre battue. Ça a été fait très rapidement, donc on a joué beaucoup sur terre.

Le choix des entraîneurs pour encadrer les meilleurs jeunes a été important. J'ai toujours fait en sorte que les jeunes avec un très fort potentiel aient un entraîneur très compétent. Honnêtement, les joueurs comme Auger-Aliassime, Shapovalov ou Andreescu avaient déjà un gros potentiel. Mais là où on a réussi, c'est qu'on a exploité ce potentiel, on leur a donné les moyens de réussir. On a amené chaque athlète à atteindre son maximum. Que ce soit Milos Raonic ou Eugenie Bouchard, ils avaient aussi beaucoup d'ambitions, et nous on a réveillé ça.

Depuis que Gilles Moretton a déclaré que vous collaboriez avec la FFT, vous êtes parfois vu comme celui qui peut sauver le tennis français… 

C'est me voir meilleur que je ne le suis. Ce n'est pas moi qui vais sauver le tennis français. Je pense qu'on va le sauver tous ensemble, avec Nicolas Escudé et tous les acteurs de la FFT, que ce soit dans les clubs, dans les régions. En tout cas, j'aiderai modestement. Je suis très heureux de travailler avec eux, en plus je les connais très bien. Il faut retrouver l'esprit famille. Quand on est une équipe forte, on peut soulever les montagnes, c'est ce qu'on a fait au Canada. Je peux amener mon expérience et ma passion. C'est évident que j'ai envie d'aider le tennis français. Il m'a beaucoup donné, donc c'est à moi de rendre un peu. Je les vois déjà travailler, ils travaillent fort et bien. Il va falloir un peu de temps, mais je donne rendez-vous dans quatre ou cinq ans pour voir une belle génération.

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