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Roland-Garros: Louis Borfiga, l'homme qui a fait décoller le tennis canadien

Si le tennis canadien a fait éclore ces dernières années de jolies pépites (Raonic, Bouchard, Shapovalov, Auger-Aliassime, Andreescu), il le doit en grande partie à un Français: Louis Borfiga. Après 21 ans à la FFT, il avait rejoint le Canada en 2006, pour structurer et transformer la fédération canadienne, Tennis Canada. Retour sur une aventure couronnée de succès.
Article rédigé par Thierry Tazé-Bernard
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7 min
 

Milos Raonic, Denis Shapovalov, Felix Auger-Aliassime, Bianca Andreescu, Eugénie Bouchard. Tous ces noms sont désormais connus sur la planète tennis. Tous ces joueurs ont émergé en partie grâce à un homme: Louis Borfiga. Après avoir présidé aux destinés des meilleurs espoirs français pendant des années, il a tourné la page de la France.

Une carte blanche face à une page blanche. Lorsqu'il traverse l'Atlantique pour rejoindre le Canada en 2006, Louis Borfiga se lance dans un défi majeur: faire décoller le tennis canadien en acceptant le poste de vice-président du développement de l'élite à Tennis Canada, c'est-à-dire l'équivalent d'un Directeur technique national en France. Un titre qu'il n'a jamais eu dans l'Hexagone, malgré 21 années passées à la FFT dont 14 à l'INSEP, là où les Santoro, Tsonga, Simon, Monfils ont fini leur formation de joueur. L'ancien partenaire de Bjorn Borg à Monaco dans les années 70 a franchi le pas avec gourmandise, lui qui avait mené Monfils au triplé en juniors (Australie, Roland-Garros, Wimbledon) en 2004.

"Je voulais avoir une expérience à l’étranger. Et le Canada m’offrait ce challenge de pouvoir diriger son tennis et de mettre en place la politique que je pensais être la bonne", explique le technicien de 63 ans. "Ici, il n’y avait pas de structure. Tout était à bâtir. Il n’y avait rien comme structure solide. Il y avait des académies privées qui étaient en charge de former les jeunes." Avec une cerise sur le gâteau: "Ici, contrairement à la France, j’étais le leader." Avec carte blanche pour sortir le tennis canadien de l'anonymat duquel l'avait sorti que de manière éphémère la médaille d'or olympique du duo Nestor-Lareau en double hommes en 2000.

Le tennis sport mineur au milieu des sports de glace

Le chantier était énorme. Dans un pays où les sports de glace occupent le premier plan, il fallait sortir la petite balle jaune de l'indifférence. Cela commençait par une révolution de l'état d'esprit: "Cela manquait d’ambition. C'est ce qui m'a le plus marqué en arrivant. On se contentait de faire de bons matches. Ils pouvaient être contents d’avoir perdu en faisant un bon match. Mon premier message a été d’inculquer ça : jouer pour gagner. " Ses nouveaux dirigeants lui apportent leur soutien: des moyens et une confiance totale. A son arrivée, il demande la création d'un centre national, qui sera basé à Montréal, pour réunir les "meilleur moins de 18 ans au même endroit", et décide d'"établir une politique pour les moins de 12 ans, et suivre aussi les joueurs de transition, qui sont âgés de 19-20-21 ans. Après, il y a eu la création de centres régionaux, le premier à Toronto, le second à Vancouver puis un troisième à Calgary." Le tout pour irriguer ensuite le centre national. Un système qui ressemble beaucoup à ce qui existe en France.

Il demande aussi la construction de quatre courts en terre battue à Montréal. "C’est paradoxal de s’entraîner sur terre au Canada", glisse-t-il. Mais cela correspond à une vraie logique de Louis Borfiga, l'un de ses dadas comme il dit: "Ca permet de développer le sens tactique, de travailler sa régularité, son physique car les échanges sont plus longs. Et c’est plus facile de passer de la terre aux surfaces dures que l’inverse. Sur terre, il faut avoir une technique générale pointue." Un axe crucial de sa politique envers les jeunes. "A 12-13-14 ans, il est important d’avoir de bons entraîneurs. C’est à cet âge que les carences techniques peuvent vous limiter pour le futur", souligne-t-il.

Le plaisir comme axe d'apprentissage

C'est pour cela qu'il a fait appel à des compétences internationales. "Mes dirigeants m’ont bien dit de recruter les meilleurs, peu importe la nationalité", se souvient le technicien. "C’était une grande ouverture d’esprit de leur part." Un an après son arrivée, Guillaume Marx, connu à l'INSEP, l'a rejoint. "Pour moi, c'est l'un des meilleurs entraîneur du Tour", assure-t-il. Il s'occupe aujourd'hui de Félix Auger-Aliassime. Tout cela pour servir une philosophie simple: "Avoir les meilleurs entraîneurs aux meilleurs endroits. C’était  très important d’avoir une équipe d’entraîneurs performants en fonction des âges des enfants dont on avait la charge. Parfois, on veut trop compliquer les choses. La philosophie de l’entraînement, c’était de doter tous les jeunes d’une bonne technique, leur faire jouer beaucoup de tournois, et surtout beaucoup s’entraîner sur la terre battue."

Au-delà, il a une approche spécifique de son sport et de son rôle d'éducateur: "Le plaisir, c’est fondamental", scande-t-il. "Parfois, je vois certains se prennent très au sérieux dans les moins de 12 ans. Ce n’est pas possible. On s’amuse. Ce sont de petits enfants. Quand ils perdent un match, où est la gravité ? Cela doit rester un jeu, pas un métier."

Un avis que partage complètement l'un de ses anciens élèves, Fabrice Santoro: "Il a compris très vite que performance et plaisir pouvaient être liés". Aujourd'hui coach de Pierre-Hugues Herbert et du Canadien Milos Raonic, il s'est emparé de ces principes: "Parfois, on pense que plus c'est dur, plus on laisse le plaisir de côté. Je suis convaincu du contraire: plus c'est dur, plus il faut trouver du plaisir pour accepter les moments difficiles, chercher nos limites." Et l'ancien joueur français pointe une qualité de son ancien professeur: "La passion. C'est important de l'avoir, mais aussi de savoir la transmettre. Luigi a ses deux qualités."

Raonic et Bouchard 1ers à crédibiliser sa politique

"Luigi", comme l'appellent ses anciens élèves, a bénéficié d'un petit coup de pouce. Plusieurs même. "J’ai eu la chance d’avoir un Milos Raonic et une Eugénie Bouchard, qui avaient cette mentalité en eux, qui ont eu de bons résultats assez rapidement. Cela a crédibilisé mon action." A l'Open d'Australie 2011, âgé de 20 ans, Raonic sort des qualifications et atteint les 8e de finale en battant deux membres du Top 30 avant de s'incliner contre Ferrer. En 2012, alors que le Canada n'avait jamais remporté le moindre titre en Grand Chelem juniors, Eugénie Bouchard s'impose à Wimbledon chez les filles, en même temps que Filip Peliwo chez les garçons, lequel doublera avec l'US Open.

Aujourd'hui, Milos Raonic (28 ans), Denis Shapovalov (20 ans), Felix Auger-Aliassime  (18 ans) font partie du Top 30 chez les hommes, alors que Bianca Andreescu (18 ans) est dans le Top 30 chez les femmes et Eugénie Bouchard (25 ans), aujourd'hui 77e à la WTA, a atteint la finale à Wimbledon et les demi-finales en Australie et à Roland-Garros en 2014, à 20 ans.  "Tous ces joueurs ont atteint le haut, le très haut niveau depuis l'arrivée de Luigi", souligne Fabrice Santoro. "Ce serait assez logique que le Canada remporte la Coupe Davis, ce qui paraissait invraisemblable il y a dix ans." Et d'appuyer un peu plus les conséquences du travail de Louis Borfiga: "Ce n'est pas un hasard s'il y a autant de jouer qui arrivent à très haut niveau à l'heure actuelle. C'est le fruit d'un travail important." Mais l'intéressé n'est pas du genre à attendre qu'on lui tresse des lauriers. "On peut mettre toutes les structures en place, s’il n’y a pas de talent, on n’aurait pas de résultats. On a cinq joueurs avec beaucoup de talent. Le rôle de la Fédération et de les aider à l’exploiter", assure le vice-président du développement du tennis à Tennis Canada.

Dans ce cursus tennistique, il n'a pas non plus laissé de côté les études. "C'était l'une des rares recommandations de mes dirigeants. J'en était aussi convaincu: jusqu'à un certain âge, avoir ce que j'appelle une activité intellectuelle est très important. On a embauché un professeur, qui donne des cours sur place. Il m'est même arrivé de l'envoyer sur un tournoi pour que les jeunes continuent à travailler." Car il n'oublie pas son rôle d'éducateur: "Tous ne vont pas réussir", rappelle-t-il. Certains n'atteindront jamais le plus haut niveau. Changement de carrière pour revenir au "civil" ou rester dans le monde du tennis, tout doit leur être possible. "Je viens d'embaucher au centre national un jeune entraîneur qui avait commencé comme joueur sous Guillaume Marx. C'est aussi une récompense", se réjouit le Français. Aujourd'hui, à Montréal, il n'y a plus que des entraîneurs canadiens, en plus de Marx. La volonté de former et de transmettre de Louis Borfiga ne se dément jamais. 

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