Crise à l'OM : "Les supporters marseillais agissent comme des syndicats", explique Ludovic Lestrelin, sociologue spécialiste des supporters
L'Olympique de Marseille n'en est pas à sa première crise interne, mais celle qui la touche depuis le 18 septembre a atteint un stade rarement connu. La réunion houleuse entre les dirigeants et les supporters, lundi 18 septembre, où "les limites ont été dépassées" selon le président Pablo Longoria, a provoqué des remous majeurs. Dans la foulée, le dirigeant s'est mis en retrait, le coach Marcelino a démissionné. Vendredi 22 septembre, Pablo Longoria a tenu un discours ferme en annonçant la poursuite de son travail et sa volonté qu'une telle situation "ne se reproduise plus à l'avenir".
Un scénario explosif dans lequel les groupes de supporters ont joué les premiers rôles. Ludovic Lestrelin, maître de conférences en Staps à l'Université de Caen et auteur du livre Sociologie des supporters, a répondu aux questions de franceinfo: sport sur l'influence des supporters sur le club marseillais.
Franceinfo: sport : Comment les groupes de supporters marseillais, comme les South Winners qui comptent aujourd'hui plus de 5 000 adhérents, se sont-ils développés ?
Ludovic Lestrelin : Il y a eu un tournant dans les années 1980 où les jeunes supporters marseillais ont voulu innover leur façon de soutenir leur équipe. Ils se sont inspirés de ce qu’ils voyaient à l’étranger, notamment en Italie. Au départ, leur organisation était très artisanale, ils n'étaient pas nombreux, n'avaient pas beaucoup de matériel et n'étaient pas toujours déclarés à la préfecture en tant qu’association. Leur évolution n'est pas uniquement due aux qualités d’innovation et d’organisation des supporters mais aussi aux relations nouées avec différents acteurs.
Dans les années 1990, un dialogue s'est instauré entre le club et les supporters. Ce sont d'ailleurs davantage les salariés que les dirigeants qui ont joué un rôle majeur dans cette ascension, en offrant un certain nombre de facilités. Les groupes de fans ont eu la gestion exclusive de la billetterie des parties du stade qu'ils occupaient. C'est une réelle spécificité de l'Olympique de Marseille.
Est-ce que la présidence de Bernard Tapie, entre 1986 et 1993, a permis cette évolution ?
On y fait souvent référence mais c’est arrivé bien plus tard dans les années 1990, au moment du chantier de reconstruction du Vélodrome pour la Coupe du monde 1998. C’est là que ça s’est joué. Bernard Tapie n’était pas quotidiennement présent au club, ni à Marseille d'ailleurs. C’est plutôt grâce aux salariés, qui avaient le statut de cadre et qui pouvaient eux aussi décider de certaines choses au sein du club.
D’autres acteurs ont-ils joué un rôle ?
Les élus locaux, les personnalités politiques ont aussi noué des liens, plus ou moins intéressés, avec ces collectifs. Les médias ont également contribué à cette évolution lors de la grande période de l'OM dans les années 1990. Il y a eu une médiatisation accrue due aux bons résultats sportifs.
"Les médias ont valorisé la passion des supporters très engagés, auteurs d'animations spectaculaires. Ils ont offert aux leaders de ces groupes une certaine visibilité, un espace de parole pour commenter les décisions stratégiques des dirigeants et des entraîneurs."
Ludovic Lestrelin, sociologue spécialiste des supportersà franceinfo: sport
La montée en puissance des groupes de supporters est donc le fruit d'une évolution des rapports entre les fans, les élus, les médias et les clubs.
Quel est le poids réel des supporters dans l'écosystème de l'OM ?
Les hauts dirigeants qui se sont succédé à la tête de l'Olympique de Marseille ont toujours eu parfaitement conscience qu’ils devaient composer avec ces groupes et rapidement rencontrer les leaders. Maintenant que le club est moins dominant au niveau sportif, le public, en particulier celui debout dans le virage Depè et le virage Sud, est un réel atout marketing. Les supporters créent une ambiance très spécifique au Vélodrome, avec des animations qui proposent de belles images pour la télévision. L'OM ne peut pas se couper d'eux, c'est ce qui leur permet de garder un certain rayonnement sans avoir les meilleurs joueurs, ni les meilleurs résultats sportifs.
Est-ce qu'aujourd'hui, en pleine crise, cette puissance des clubs de supporters peut se révéler un piège pour l'OM ?
Ce sont des rapports de force qui sont plus ou moins équilibrés selon les périodes. Dans les situations de mécontentement, ils sont plus virulents et plus imposants. Ce sont un peu comme des syndicats à l'intérieur de l’entreprise, qu’est le club aujourd’hui, avec qui il faut entretenir un dialogue constant. À certains moments, le lien peut se tendre et des conflits éclatent. C'est une forme de contrôle comme il y a entre le syndicat Force ouvrière et le port à Marseille. Mais là, ce n’est pas le contrôle aux embauches mais aux entrées, aux places, à la billetterie.
Est-ce que ce fonctionnement peut évoluer, voire être réformé ?
Cette structure relationnelle n’est pas facilement réformable, en tout cas du point de vue des dirigeants. Même s’ils estiment qu’il faudrait travailler autrement, c'est compliqué de faire bouger quelque chose d'institué depuis quarante ans.
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