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A l'occasion du choc OM-PSG, portrait de Jacques-Henri Eyraud, président-businessman ultra contesté dans la cité phocéenne

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le président de l'OM Jacques-Henri Eyraud, lors d'une conférence de presse le 4 septembre 2019 au centre d'entraînement de l'OM, à Marseille (Bouches-du-Rhône). (BORIS HORVAT / AFP)

Le président du club phocéen cristallise la colère des supporters. La faute à un parcours trop marqué business, à un caractère intransigeant ou à une certaine réticence aux particularismes marseillais ?

Je me sens bien quand la tension monte", assurait Jacques-Henri Eyraud aux Echos en 2007. Celui qui préside aux destinées de l'OM depuis quatre ans et demi est gâté, alors que se profile un explosif OM-PSG, dimanche 7 février, que le centre d'entraînement du club porte encore les stigmates d'une intrusion des supporters et que l'équipe est orpheline de son entraîneur, André Villas-Boas, mis à pied le 2 février. "JHE" est désormais la cible des supporters du club, bien plus que le propriétaire américain, Franck McCourt, qui l'a intronisé à ce poste à la surprise générale. Sur les réseaux comme sur des banderoles épinglées dans les rues de Marseille, des supporters invitent '"€y$craud" à "se casser" au plus vite.

Ce businessman qui a fait ses armes à Euro Disney, à Harvard et au Club Med, avant de créer le site d'info sportive Sporever, puis de reprendre le groupe Paris-Turf, était inconnu des amateurs de ballon rond en octobre 2016. D'éternelles petites lunettes rondes, un phrasé farci d'anglicismes, voilà un profil qui dénote dans le foot français. "Il nous disait tout le temps : 'L'Equipe, behind us' ["Le journal L'Equipe, derrière nous"], s'amuse un ancien de Sporever. C'est du JHE dans le texte."

Un prof adulé, un patron décrié

Le personnage a ses fans, nombreux, sur les bancs de Sciences Po, où il enseigne toujours, quitte à attraper un avion aux aurores pour faire l'aller-retour Marseille-Paris. "C'est le meilleur souvenir de ma scolarité", s'enflamme Akim Laacher, qui a depuis fondé une société spécialisée dans les énergies renouvelables en Afrique du Nord. Oubliez le côté professoral des cours en amphi, JHE circule au milieu de ses étudiants. Surtout, "on n'avait rien à noter, il nous faisait réfléchir sur des concepts entrepreneuriaux, dépeint Akim Laacher. Même ceux qui n'ouvraient jamais la bouche en cours participaient".

Sa cote d'amour se traduit en chiffres, dans cette école où les étudiants notent leurs professeurs. "Il obtenait les évaluations les plus enthousiastes", sourit Pavel Afanasiev, ex-étudiant de JHE, puis assistant de scolarité, rue Saint-Guillaume. Après leurs études, nombre d'élèves gardent le contact avec ce prof très disponible. "Il m'a fait une lettre de recommandation pour un double cursus avec Columbia, raconte Xavier Pinon, son élève en 2005. Il a décrit ma modeste entreprise, qui avait 200 euros de chiffres d'affaires à tout casser, comme prometteuse, avec des revenus réguliers." Il a eu le nez creux. "Aujourd'hui, ma boîte compte 1 200 salariés…"

Jacques-Henri Eyraud n'a pas laissé le même souvenir à ses salariés. "C'est un patron ligne dure, raconte un journaliste passé par Sporever. Il ne lâche rien. Sur les tickets restos, sur les primes, c'était non, sans marge de négociation." Il le décrit en outre comme "quelqu'un qui ne supporte pas qu'on remette en cause son autorité". "La seule chose qu'il a fini par lâcher, c'étaient des actions de la boîte, bloquées pour huit ou dix ans, poursuit le vétéran de la presse. Quand on nous les a promises, elles valaient 30 euros pièce, quand on a pu les vendre, elles valaient à peine de quoi se payer un café."

A entendre les salariés de Paris-Turf, JHE recycle ses recettes partout où il débarque. "Quand il est arrivé à la tête de l'OM, je savais comment ça allait se passer, soupire une ancienne du groupe, fan du club.

"Il fait le coup de la poudre aux yeux, les gens rêvent, et à un moment donné, c'est le brutal retour sur terre."

une ancienne salariée de Paris-Turf

à franceinfo.fr

Richard*, toujours salarié du groupe hippique se rappelle d'un "type brillant, qui comprend tout très vite, y compris dans des domaines dont il ne connaît rien". A commencer par le monde du cheval ? "Il nous jurait qu'il s'y intéressait, mais comme il disait tout le temps 'le hippisme' en réunion, on a toujours eu un doute. A mon sens, il voyait plus Paris-Turf comme un tremplin de carrière." Le groupe a été vendu fin 2020, avec seulement deux tiers des effectifs dans son attelage. Jacques-Henri Eyraud a été fait chevalier de la Légion d'honneur lors de la promotion du 1er janvier 2021.

"Avoir notre Jean-Michel Aulas"

Son arrivée à l'OM en 2016 est pourtant vue avec bienveillance par les supporters marseillais. "Un profil de gestionnaire, on n'en avait pas eu depuis 30 ans", glisse Urba, administrateur d'OM Forum. L'ancien associé de JHE à la tête de Sporever, Patrick Chêne, est encore plus enthousiaste, sur RMC : "S'il y a quelqu'un qui est capable de donner des bases solides à l'OM pour lui permettre d'être un grand club, c'est bien Jacques-Henri." "L'espoir était fort d'avoir notre Jean-Michel Aulas, un type qui allait nous tirer vers le haut et nous faire entrer de plain-pied dans le foot moderne", confie Nicolas Georges, quinze ans à se ruiner les cordes vocales au Vélodrome.

Même si elle sonne parfois faux, la communication d'Eyraud séduit. Il scande les paroles de Bad Boys de Marseille en conférence de presse – alors que ses premières amours le portent vers le rock des Clash ou de Rammstein –, répond aux utilisateurs les plus influents sur Twitter et appelle même certains d'entre eux. "C'était sympa d'avoir directement le patron au téléphone", sourit l'illustrateur PoF28.

"Est-ce qu'il kiffait la relation directe avec les supporters ou est-ce que c'était pour nous mettre dans sa poche ? Probablement un peu des deux."

PoF28, supporter de l'OM

à franceinfo

L'homme entend aussi imposer ses grands principes. Avec lui, le copinage et l'affairisme, c'est terminé. "J'ai envie de faire en sorte que les valeurs d'intégrité, d'éthique soient extrêmement importantes au quotidien." Sur le papier, ça claque, mais un premier transfert écorne vite ces nobles intentions. "J'ai arrêté de croire en lui quand, quelques semaines après son discours sur la fin des arrangements avec les agents, l'OM a recruté Grégory Sertic, qui avait les mêmes agents que l'entraîneur de l'équipe, Rudi Garcia, explique Urba. Ce joueur, on l'a traîné comme un boulet pendant des années."

Après des débuts encourageants, marqués par une finale de Ligue Europa (perdue) en 2018 contre l'Atlético Madrid, l'état de grâce se dissipe. Sans occulter de vrais progrès. "Il y a eu un travail indéniable au niveau du maillage des clubs locaux pour détecter les pépites locales, ou au niveau de la fondation OM, pour inscrire le club dans la ville. Des choses évidentes qui n'avaient pourtant jamais été faites", salue Louis*, suiveur olympien. Celui-ci a quand même "l'impression tenace qu'il y a eu plus d'efforts sur l'extra-sportif que sur le sportif." Comme cette légendaire vidéo de présentation du pull de Noël du club.

Même ces efforts-là ne sont pas exempts de couacs. La vente d'une guitare de Bruce Springsteen afin de lever 100 000 euros pour aider à reconstruire Notre-Dame de Paris avait provoqué l'ire de Pamela Anderson, compagne d'Adil Rami à l'époque, qui trouvait que d'autres causes plus locales méritaient l'attention. A titre de comparaison, le club avait débloqué 40 000 euros pour les sinistrés de la rue d'Aubagne, une semaine après l'effondrement des immeubles du centre-ville phocéen, en novembre 2018.

Un discours de "supporter parisien"

Dans un autre registre, JHE a fait tapisser le tunnel du Stade Vélodrome de messages censés motiver les troupes"tremble !" ou encore "bienvenue chez les fous" – et inspirer crainte à l'adversaire. Une idée étiquetée "start-up", jugée ridicule en interne. Beaucoup d'amoureux du club reprochent d'ailleurs à Jacques-Henri Eyraud de gérer l'OM comme une entreprise parmi d'autres. "On dirait qu'il ne veut pas s'adapter au contexte local", persifle un suiveur du club.

Après une première sortie, mal comprise selon lui, sur le trop grand nombre de supporters marseillais travaillant au sein du club, ses déclarations dans l'émission Téléfoot sur la fin de l'"OM des magouilles" sont particulièrement mal passées, dimanche 31 janvier. "C'est le discours que nous tiennent depuis des années les supporters parisiens !" s'étrangle Urba. "Je ne suis pas sûr que s'il s'était affiché avec un maillot du PSG sur un plateau télé, l'effet aurait été pire", fulmine Florian, un autre supporter de longue date.

Un conducteur observe une bannière déployée par des supporters de l'OM visant le président du club Jacques-Henry Eyraud, à Marseille, le 30 janvier 2021. (NICOLAS TUCAT / AFP)

La thèse du pétage de plombs en direct ne tient pas la route, à entendre ceux qui le connaissent depuis des lustres. "C'est un calculateur, dans le bon sens du terme", illustre José Rocamora, qui l'a côtoyé en équipe de France de taekwondo, dans les années 1980. JHE, "un mec super sympa, qui était obnubilé par ses études, contrairement à nous", a même été sacré champion de France. "Il réfléchit beaucoup pendant le combat, ce n'est pas le genre à se jeter tête baissée. Il sait gérer son effort." Un animal à sang froid ? Il y a de ça. Pavel Afanasiev rapporte cette confidence du patron de l'OM : "Quand on abordait le chapitre des défauts personnels, en cours, il reconnaissait ouvertement qu'il lui arrivait de projeter une image plus froide et distante que ce qu'il ressentait réellement."

Un président-entrepreneur est-il soluble dans l'Olympique de Marseille ? Plus maintenant, observe Christophe Bouchet, président du club au début des années 2000, dans Le Figaro : "JHE a voulu rationaliser l'OM, avec des mots inappropriés, mais on pouvait comprendre sa démarche." Eric Di Meco, défenseur légendaire du club, est plus sévère sur RMC : "J'ai l'impression qu'il n'aime pas les supporters de cette ville, qu'il n'aime pas l'histoire du club qu'il dirige."

Pour le supporter Nicolas Georges, ce n'est pas une question de profil, mais de bilan sportif. "Je suis sûr et certain qu'un président antipathique, mais procurant des résultats et un développement du club intéressant, n'aurait pas provoqué autant d'hostilité. Les supporters marseillais sont peut-être extravagants, mais ils sont aussi lucides pour la plupart." Et après avoir parlé de titre à l'automne, l'OM ne pointe aujourd'hui qu'à la 9e place de L1.

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés

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