Football : avec la multiplication récente des violences hors des stades, le hooliganisme resurgit-il pour autant en France ?

Article rédigé par Maÿlice Lavorel, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La police anti-émeute face aux débordements des supporters parisiens et lyonnais en Coupe de France, le 17 décembre 2021. (BERTRAND GUAY / AFP)
Les nombreux incidents autour des pelouses ces dernières saisons et semaines ont ravivé les débats sur le retour des hooligans dans les gradins. Si le hooliganisme existe et évolue, il ne concerne pas toutes les violences qui ont récemment secoué les tribunes.

Ce sont des images fortes de la saison, mais elles ne viennent pas du terrain. Les vitres d’un bus explosées, un entraîneur le visage en sang. Le dernier match de la 10e journée de Ligue 1 entre Marseille et Lyon, le dimanche 29 octobre, a été le théâtre d’incidents avant même le coup d’envoi, avec le caillassage du bus de l’OL sur le chemin du stade, dans lequel le coach lyonnais Fabio Grosso et l’un de ses adjoints ont été blessés. Bien plus grave, samedi 2 décembre, un supporter nantais a trouvé la mort peu avant le coup d'envoi de Nantes-Nice.

Cette saison, plusieurs rencontres ont été marquées par des débordements, en Ligue 1 et en Ligue 2, replaçant les sujets du hooliganisme et de la violence dans les stades sur le devant de la scène. Assiste-t-on à une résurgence du hooliganisme en France ? La question est complexe puisque les actes de hooliganisme et violences autour d’événements sportifs sont difficiles à recenser précisément, notamment à cause de la définition et de la différenciation des dynamiques, entre hooligans, ultras et supporters. 

Le bus de l'Olympique lyonnais à Marseille avant la 10e journée de Ligue 1, le 30 octobre 2023. (MAXPPP)

Aujourd'hui, celle du hooliganisme est bien présente en marge du ballon rond en France. "A partir du moment où il y a un affrontement spontané, qui vise la dégradation de biens matériels, qui vise à attaquer sans raison aucune des supporters adverses, cela doit être qualifié de hooliganisme", explique Dominique Bodin, professeur de sociologie à l’Institut d’études politiques de Fontainebleau et spécialiste du sujet. Quatre décennies après son arrivée en France, le mouvement hooligan a connu des évolutions. Parfois appelé "néo-hooliganisme" ou "hooliganisme 2.0", il se caractérise aujourd’hui notamment par des bagarres entre supporters dans des lieux éloignés des enceintes sportives.

 

La Division nationale de la lutte contre le hooliganisme (DNLH), dépendante du ministère de l’Intérieur, observe et produit régulièrement des rapports sur les débordements et les interpellations lors des rencontres des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2. Ces études dessinent une tendance : "En termes d’interpellations, on dénombre une hausse globale de 15 %, toutes infractions confondues, et toutes compétitions confondues", dévoile Thibaut Delaunay, responsable de l’instance. Soit 878 interpellations lors de l’exercice 2022-2023, contre 743 l’année d’avant. "Les deux domaines où les interpellations augmentent le plus sont la pyrotechnie et les violences, qui sont aussi les deux domaines où on relève le plus d’incidents."

Un mouvement hooligan qui s’éloigne des stades

Le commissaire de police rapporte également une délocalisation des actions violentes. "En dehors des stades, on a eu une recrudescence des faits d’affrontements, de rixes entre supporters, en extérieur [...]. On y est attentif parce que ça démontre un changement d’attitude au sein des groupes, une volonté d’aller plus à la confrontation avec l’adversaire", détaille-t-il. Pour la DNLH, les rixes se sont même propagées à des environnements qui étaient jusqu’à présent moins concernés. "Avant, ce phénomène touchait certains clubs et toujours les mêmes. Désormais sont concernés des clubs qui sont moins habitués à ça, qui ont des volumes de supporters moins élevés, y compris en Ligue 2."

En parallèle, le football français connaît aussi une certaine tension dans ses stades. Mais elle n'est pas toujours liée aux hooligans, de plus en plus écartés des enceintes sportives. "Les incidents aux abords immédiats des stades ou à l’intérieur sont plutôt le fait de groupes de supporters ultras, très engagés dans le soutien de leur club mais aussi dans une opposition à l’équipe et aux supporters adverses, ce qui peut engendrer des conflits", décrypte Nicolas Hourcade, sociologue spécialiste des supporters.

Le gardien de Clermont Mory Diaw au sol après avoir été blessé par un feu d'artifice lors du match de Ligue 1 face à Montpellier, le 8 octobre 2023. (PASCAL GUYOT / AFP)

Certains événements autour du terrain sont d’ailleurs en augmentation, comme le rapporte la DNLH, notamment les intrusions sur la pelouse. "Comme ça, cela ne semble pas présenter de caractère de risque, c’est souvent festif, ils veulent prendre une photo, ils ont fait un pari sur les réseaux sociaux, ils veulent un maillot. Mais un jour ou l’autre, on aura quelqu’un qui viendra s’en prendre à un joueur", assure Thibaut Delaunay. Lors de la dernière journée de L2 la saison passée, un supporter bordelais était ainsi venu s’attaquer au buteur de Rodez au bord de la pelouse.

Par leur intensité et leur multiplication, les débordements ont pu rappeler la dynamique des hooligans, sans que ce soit forcément de leur fait. "On a affaire à des individus qui peuvent adopter les codes du hooliganisme, comme des ultras qui s'adonnent parfois à des actes de violence", notait le responsable de la Division nationale de la lutte contre le hooliganisme, Thibaut Delaunay, dans une interview accordée à L'Équipe en septembre 2021. "Mais ils vont au stade et restent attachés à leur club. Il ne s'agit pas de hooligans en tant que tels." 

Des phénomènes et des explications divers

Les violences actuelles dans les stades émanent donc de différentes dynamiques et répondent à des logiques diverses. "Le problème du terme ‘hooliganisme’, c’est qu’il amalgame des faits très différents : lancer des pétards sur le terrain, se battre entre supporters près des stades, organiser des bagarres en dehors de tout match, faire des saluts nazis en tribune, jeter une pierre dans un bus... Il est important de distinguer les faits, parce que les explications ne sont pas les mêmes pour chacun", expose Nicolas Hourcade.

Des phénomènes pluriels qui ouvrent autant de pistes pour tenter d’expliquer ce niveau de tension élevé dans le football français. Ils peuvent provenir d’un conflit entre les supporters et le club ou de mauvais résultats sportifs. Pour Dominique Bodin, les rixes loin des stades répondent davantage à des logiques d’identité. "Ce qui se joue, c’est la construction des identités individuelles, collectives, qui peuvent avoir des tas de fondements", raconte-t-il. "Ils se battent pour des raisons sportives, historiques, culturelles."

"Un stade de football, c’est 40 000, 50 000, 60 000 personnes, c'est une ville. Dans une ville de cette population, vous avez des gens plus ou moins violents, des délinquants, des déviants. Pourquoi n’y aurait-il pas la même représentation dans une enceinte sportive ?"

Dominique Bodin, professeur de sociologie à l'IEP de Fontainebleau

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Certaines explications penchent également du côté organisationnel. "Quand ça se passe aux abords immédiats des stades, comme ça a été le cas pour l’Olympique de Marseille, cela traduit des fautes dans l’organisation de la sécurisation", affirme Dominique Bodin, qui a construit un master pour former les directeurs de la sécurité en collaboration avec la Ligue de football professionnel. Les capacités des pouvoirs publics à encadrer les foules sont aussi souvent pointées du doigt. "Il n'y a pas une habitude à gérer des déplacements importants de supporters", estime Ronan Evain, directeur général de l’association Football Supporters Europe.

Autre explication souvent avancée, mais sans encore de lien bien établi, la préexistence d'une tension élevée de façon globale dans la société. "On vit une époque où il y a beaucoup d’anxiété. Comme le stade est historiquement un lieu d’évacuation d’un certain nombre de tensions, il est possible qu’il ait particulièrement cette fonction-là dans la période actuelle, et que les passages à l’acte violent soient un peu plus fréquents qu’il y a dix ans", pose Nicolas Hourcade.

"Il faut relativiser l'idée que ça irait de mal en pis"

Récemment, le contexte de la pandémie a aussi dû être considéré. La saison 2021-2022 a ainsi été marquée par de nombreux accrochages dans les tribunes, après le retour du public. "On pouvait l'expliquer par l’excitation du retour dans les stades et la perte d’habitude dans la gestion des matchs", poursuit le sociologue. "Après une accalmie, les incidents semblent plus fréquents cette saison, mais il est difficile d’avoir des indicateurs fiables permettant de mesurer l’évolution."

De nos jours, il faut aussi tenir compte de l'impact des réseaux sociaux dans la diffusion de ces actes au plus grand nombre. "Les réseaux sociaux ne sont pas une cause des incidents. Par exemple, les agressions entre supporters sont dues aux rivalités entre groupes. En revanche, les téléphones portables et les réseaux sociaux en rendent visibles certains qui passaient inaperçus il y a quinze ou vingt ans car il n'y avait pas d'images", analyse Nicolas Hourcade.

Mais peut-on vraiment parler de résurgence ? Selon les spécialistes du sujet, la violence a en réalité toujours existé. "Il n’y a rien de très nouveau. La pandémie avait quelque part fait oublier que les incidents pouvaient se produire", tempère Dominique Bodin. La question du retour dépend aussi de la période de comparaison. "Il faut relativiser l’idée que ça irait de mal en pis. Il y a une trentaine d'années, les violences étaient significatives, notamment autour du PSG. La situation actuelle n'est pas pire, mais elle est un peu différente. Les violences touchent désormais plus de clubs car les rivalités sont plus nombreuses et s’inscrivent dans la durée. Et ces dernières semaines ont été marquées par plusieurs événements graves", rappelle Nicolas Hourcade.

Pour lui, la perception de ces actes a également changé. "Les incidents actuels choquent d’autant plus que cela fait des années qu’on lutte contre le hooliganisme et qu’on aimerait avoir des résultats plus probants."

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