Coupe du monde 2018 : des cuistots des équipes nationales nous livrent leurs recettes pour un Mondial réussi
Vous pensiez que les joueurs allaient manger des pâtes pendant un mois ? Vous vous trompiez ! Et attention : cet article pourrait même vous ouvrir l'appétit.
Et si le Mondial se gagnait dans l'assiette ? C'est le credo des chefs cuisiniers des 32 équipes nationales qui vont participer à la Coupe du monde en Russie. "Les repas sont peut-être le moment le plus important de la préparation", martèle Mats Bronström, aux fourneaux pour l'équipe de Suède depuis vingt-deux ans. N'allez pas croire que Cristiano Ronaldo, Neymar et Antoine Griezmann vont manger des pâtes pendant cinquante jours, jusqu'à la finale. Au contraire. Fort de l'expérience de huit cuisiniers présents au Mondial, franceinfo vous dévoile la recette de la victoire.
1Préparez des pâtes, bien sûr !
Le nerf de la guerre. Impossible de remporter une grande compétition sans des pâtes de champions du monde. Avant le Mondial 1998, Zidane et le contingent des Bleus qui évoluaient dans le championnat italien avaient envoyé le cuisinier des Bleus, André Bisson, faire un stage en Italie pour apprendre à cuire des pâtes al dente. Faut-il y voir un lien de cause à effet avec le sacre final ? Pas impossible. Certaines équipes sont passées au stade supérieur. Le cuistot de la Mannschaft va jusqu'à fabriquer ses propres pâtes. Et pas avec de la farine de supermarché. "Exclusivement avec du kamut, une forme de blé sans gluten, plus digeste", explique dans la Frankfürter Allgemeine Zeitung Anton Schmaus, le Nationalmannschaftskoch.
On trouve presque toujours des pâtes dans le buffet proposé aux joueurs. La particularité, c'est qu'une fois leur plâtrée de spaghettis avalée, ils se lèvent pour remplir leur assiette à nouveau. "Les jours de match, les joueurs mangent deux fois plus que ce que vous et moi avaleriez", insiste Mats Bronström. Les chefs jouent sur les sauces (la bolognaise, c'est bien, les pâtes à l'ail, une catastrophe pour la digestion), rien ne vaut de varier les plaisirs.
2Faites frémir la fibre patriotique
Ça sonne comme un cliché, mais c'est la pure vérité : les Suédois aiment manger des boulettes de viande, les Suisses sont très regardants sur la qualité du fromage, les Panaméens ont importé du sancocho, la soupe traditionnelle épicée... Et tant qu'on y est, les Islandais sont arrivés en Russie avec leur bocal de hakarl (du requin fermenté) sous le bras ? "Ah non, ça c'est uniquement à Noël et pour les touristes, s'amuse Hinrik Guobjagarson, le chef islandais. En revanche, si vous voulez rester dans les stéréotypes culinaires, on a même trouvé une version russe de notre skyr – un yaourt épais. Nous n'aurons ainsi pas à en importer, ce qui est rendu compliqué par l'embargo russe sur certains produits européens." Côté polonais, on triche un peu en profitant de la proximité des spécialités entre Varsovie et Moscou, reconnaît le chef Tomasz Leśniak. "Nos deux cuisines ont en commun le pierogi – le plat préféré des joueurs, des sortes de raviolis farcis aux pommes de terre et au fromage blanc – qui s'appelle pelmeni là-bas."
Selon les nationalités, on est plus ou moins regardant sur la qualité des produits trouvés en Russie.
Je suis allé faire des repérages au supermarché du coin, et je suis désolé, je ne peux pas cuisiner correctement avec le chocolat russe.
Emil Bolli, chef de la sélection suisseà franceinfo
Le cuistot helvète aime mitonner des desserts chocolatés à ses ouailles. "Si le chocolat au lait n'est pas bon pour les joueurs, ils ont droit toutefois à des gâteaux à base de chocolat noir à 75%, minimum, au buffet."
Coup de chance, la Suisse n'est pas concernée par l'embargo sur les produits alimentaires... L'Uruguay non plus, et ça tombe bien, explique le chef Aldo Cauteruccio, responsable de la Celeste : "Nous allons emporter de l'herbe de maté [qui permet de faire une sorte de thé épais très populaire en Amérique du Sud]. Les joueurs en boivent des litres et des litres, 150 kg ne seront pas de trop !"
3Ajoutez une bonne louche de superstition
Vinicius Capovilla est brésilien, et porte la toque de chef des équipes d'Australie depuis quatre ans. Ce que les joueurs lui réclament, ce n'est pas du kangourou à la broche... mais des œufs pochés. Un rituel matinal lors de tous les rassemblements de toutes les compétitions, équipes masculine, féminine et espoir compris. "J'ai compté, je me rapproche des 50 000 œufs pochés depuis que je travaille pour la fédération, sourit le cuistot des Socceroos. C'est ça d'avoir une équipe dont le régime est très protéiné !"
L'équipe de Suède a longtemps carburé au semla, une brioche fourrée à la pâte d'amande, typique de ce pays. "Cette tradition a été instituée il y a seize ans, lors d'un déplacement en Moldavie. J'en ai fait pour pratiquement tous nos matchs... jusqu'à il y a quatre ou cinq ans, quand notre capitaine a décidé que ce n'était pas très sain. J'envisage quand même d'en préparer une ou deux fois pendant le Mondial."
4Saupoudrez d'une pincée d'exotisme
Ce serait dommage de passer un mois en Russie sans tester un plat local, non ? C'est pourtant ce qui attend les joueurs du Panama. Fanny Cardoze, la nutritionniste de la sélection, explique que les joueurs évoluant en très grande majorité au pays, les exposer aux joies des spécialités de Mordovie (souvenez-vous, le petit coin de paradis de Gérard Depardieu) comme la patte d'ours – en réalité un steak haché à base de foie de veau – constitue un sérieux risque.
On ne va pas expérimenter des plats auxquels les joueurs ne sont pas habitués. Après la fin de la compétition, peut-être...
Fanny Cardoze, nutritionniste du Panamaà franceinfo
Les fragiles estomacs panaméens constituent une exception. Tous les chefs contactés affirment expérimenter régulièrement des plats avec les spécialités du coin. Vinicius Capovilla a ainsi préparé son coup en embauchant un sous-chef russophone pour tester la gastronomie locale : "Vitaly va nous préparer son formidable bortsch, des raviolis... Comme nous sommes à Kazan, nous allons aussi tester la cuisine tatare, comme l'echpochmak (une pâtisserie fourrée au boeuf haché et aux pommes de terre) ou le kystyby (une crêpe fourrée aux pommes de terre)."
Polonais et Islandais, qui étaient basés sur la côte Atlantique pendant l'Euro 2016, gardent un souvenir ému des fruits de mer hexagonaux. "Ça ne se passe pas toujours comme ça. Aux Iles Féroé, où ils ont pourtant une importante flotte de pêche, impossible de trouver autre chose que du poisson surgelé...", se souvient Emil Bolli, le chef suisse.
5Ménagez une bonne dose... de gras
Oubliez l'image d'Épinal du footballeur qui ne mange que de la salade et du poisson blanc. Pour soutenir le moral des troupes, rien de tel que de la graisse. Pour l'équipe d'Uruguay, ce sera asado une fois par semaine, "pas trop près des matchs", nous précise le Philippe Etchebest local, qui anime des émissions comme "Top chef" au pays. Et pour des raisons d'équilibre nutritionnel, oubliez la viande de bœuf tartinée de matière grasse qui cuit pendant des heures pour être mangée à la cuillère. "On fera avec les moyens du bord en Russie, explique Aldo Cauterrucio, et probablement avec des viandes moins grasses, comme du poulet ou du poisson. Pas nécessairement un 'asado' typique, mais l’important, c'est le feu".
Les Suisses, eux, auront droit à une bonne entrecôte avec des frites les lendemains de victoire. "J'ai prévu de leur faire des hamburgers ou un kebab, c'est ce que cette génération de joueurs préfère, abonde Mats Broström. Ce sont de grands garçons, ils savent ce qui est bon pour eux et ce dont il ne faut pas abuser. Le plus important, c'est qu'ils ne grignotent pas dans leurs chambres." L'époque du trafic de chocolat qui avait cours dans les chambrées de Clairefontaine en 1998 semble révolue.
6Et goûtez avant de servir
La finale de la Coupe du monde de rugby 1995, la Nouvelle-Zélande l'a plus perdue face à un jus d'orange frelaté que face aux Springboks. Depuis, la psychose qui entoure les cuisines lors des grands événements sportifs est encore montée d'un cran. La faute à l'affaire Skripal, du nom de cet ex-espion russe empoisonné dans une paisible bourgade anglaise en mars dernier. Les Anglais, justement, vont déployer une sécurité maximale avec une délégation réduite et un goûteur pour tous les plats. Une procédure qui a l'air exceptionnelle, mais qui ne l'est pas tant que ça. "Je goûte tous les plats qui sortent de ma cuisine, affirme Emil Bolli. Et quand je ne suis pas dans la cuisine, ma fille surveille les plats qui sont sur le feu."
Malgré la présence de son équipe dans le groupe de la Russie, le cuistot uruguayen Aldo Cauteruccio n'est "pas plus inquiet que cela". "Ils sont paranos, ces Anglais", sourit l'un des chefs contactés, qui ne souhaite pas spécialement être nommé pour cette phrase. "Maintenant que vous le dites, je ferai un peu plus attention", réagit quand même le cuistot suédois.
Mais aucun ne se berce d'illusions sur les capacités de leurs frigos face aux techniques du FSB. A l'image de l'Islandais Hinrik Guobjagarson : "Si quelqu'un veut affaiblir notre équipe, je pense qu'il y parviendra d'une façon ou d'une autre et qu'on ne pourra pas y faire grand-chose."
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