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Euro 2016 : les petits secrets de Clairefontaine, le quartier général des Bleus

Depuis les années 1980, ce vénérable château du XVIIe siècle a vu passer beaucoup de joueurs et autant d'anecdotes croustillantes. 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le château de Clairefontaine, qui abrite les joueurs de l'équipe de France, en 2016. (AFP)

Clairefontaine, 818 habitants, est célèbre dans tout l'Hexagone pour abriter le centre d'entraînement de l'équipe de France de football. Voire dans le monde entier. Au point que Gérard Larcher, alors maire de Rambouillet (25 000 habitants), a un jour pris ombrage de la notoriété du village voisin, quand des investisseurs américains lui ont répondu : "Ah, oui, à côté de Clairefontaine !"

Plongée dans le château où se jouera une bonne part de la réussite des Bleus à l'Euro, eux qui s'y installent mardi 24 mai après leur stage sur la côte basque. 

Au cœur de la forêt

Pour accéder au château de Montjoye – édifice du XVIIe siècle, belle hauteur sous plafond pour les pièces de réception, une vingtaine de chambres –, il faut s'enfoncer dans la forêt qui jouxte Clairefontaine. Quand la banque Lazard a mis en vente l'endroit et que la FFF l'a acheté en 1982, un vent de fronde a soufflé chez les Clarifontains. L'arrivée de la bande à Platini n'allait apporter que nuisances et désagréments dans ce petit village préservé, qui s'enorgueillit d'avoir hébergé Rachmaninov et où Jean-Paul Belmondo a enfilé l'aube d'enfant de chœur pendant son enfance. La colère est retombée : les footballeurs ne fréquentent (presque) jamais le village, et les groupies idem. C'est mieux (aussi) pour les joueurs : quand Zidane a voulu se faire couper les cheveux dans un centre commercial du coin en pleine Coupe du monde 1998, il a créé une émeute, notait Le Monde à l'époque. Depuis, ce sont les coiffeurs qui se déplacent.

Dominique de Villepin reçoit un maillot de Zinedine Zidane lors d'une visite à Clairefontaine, le 28 mai 2006. (PASCAL PAVANI / AFP POOL)

Le lieu est propice à l'isolement. "C’est vrai qu’il n’y a pas grand-chose à faire, reconnaît l'ancien attaquant international Louis Saha à 20minutes.fr. On est coincés au château, au milieu de nulle part. On peut compter les arbres." L'introspection ne réussit pas à tous les footballeurs. L'ancien gardien Grégory Coupet n'a pas de grands souvenirs du château : "Les journées sont longues. Je suis seul dans ma chambre, je passe le plus clair de mon temps à téléphoner à ma femme, à ma famille. Comme je m'ennuie terriblement, je vais parfois m'entraîner seul, ou je traîne près d'un petit bar où je croise des éducateurs qui passent leur diplôme."

Cassettes porno et escapades nocturnes

Les rares distractions sont à chercher dans le salon des Bleus. Y trône un billard, financé par les amendes des joueurs à la fin des années 1980 – elles pouvaient monter jusqu'à 1 000 francs, une somme pour l'époque. Désormais, on joue selon des règles inventées par Karim Benzema : la défaite coûte 150 euros – de l'argent de poche pour les joueurs d'aujourd'hui. On y trouve aussi un babyfoot… fabriqué par l'entreprise appartenant au défenseur Mathieu Debuchy, forfait pour l'Euro. A l'extérieur, la table de ping-pong, où, paraît-il, Paul Pogba a de faux airs de Jean-Philippe Gatien, le pongiste français champion olympique à Barcelone en 1992. Sans oublier les inévitables consoles de jeu où excelle Antoine Griezmann. Il y a bien une bibliothèque – en 1998, c'est Bernard Pivot qui avait assuré la sélection –, mais elle sert peu. En 2014, seuls deux Bleus ont emprunté un des livres mis à leur disposition par Didier Deschamps, rapporte Le Parisien

De façon moins officielle, des joueurs trompent l'ennui avec des films pour adultes. L'ancien médecin de l'équipe, Jean-Pierre Paclet, avait lâché : "Les cassettes porno à Clairefontaine, ça circulera toujours." Peut-être plus sous forme de VHS, quand même ? C'est toujours mieux que ces joueurs qui faisaient le mur dans les années 1990, période Gérard Houllier, y compris après la cruelle élimination du Mondial américain face à la Bulgarie d'Emil Kostadinov, pour se rendre Chez Adam, la discothèque d'un des papes du X français : "Il était devenu courant d'y organiser des soirées d'après match que les joueurs surnomment 'dégagements', à comprendre dans les deux sens du terme", se souvient Henri Emile dans le livre Cantona, le rebelle qui voulut être roi. Par où passaient-ils ? Mystère. Robert Pirès se rappelle aussi une escapade nocturne avec Nicolas Anelka, époque Espoirs. Avec un but plus innocent : "Nous sommes allés nous faire un McDo à Trappes."

Sachez quand même qu'il existe une porte dérobée à Clairefontaine. Les Bleus ont failli y passer le soir du 12 juillet 1998, quand plusieurs milliers de personnes s'étaient massées le long de la route menant à l'entrée du château. Mais, sur l'insistance d'Aimé Jacquet, la parade improvisée du bus des Bleus eut lieu jusqu'au bout de la nuit, à 5 km/h.

Un dortoir riche en petites histoires

Tout est fait pour mettre les joueurs dans les meilleures conditions. A commencer par les décharger de tout souci matériel. Loïc Rémy raconte, dans le livre La bande à Deschamps, être arrivé léger pour l'Euro 2012 : "Je suis venu avec le strict minimum. Des caleçons et ma trousse de toilette. Mais je l'aurais oubliée, ce n'était pas grave. Il y a tout, tout, tout ici. On est assistés de A à Z."

Le confort des chambres a été revu depuis les années 1980 – la tête de lit de Zinedine Zidane a quand même été sauvée de la benne in extremis par Philippe Tournon, l'attaché de presse des Bleus. Quand il s'installe dans sa chambre pour sa première sélection, le jeune Didier Deschamps n'ose pas dire à ses compagnons de chambrée, Joël Bats et Daniel Xuereb, que, de son lit, il n'arrive pas à voir la télévision, raconte son biographe Bernard Pascuito. En 1998, le jeunot Robert Pirès hérite d'une chambre au confort spartiate sous les toits. Emmanuel Petit le chambre : "Eh toi, le Portugais, tu peux pas faire des travaux dans ta chambre pourrie ? Regarde, il y a des trous dans les murs."

L'hébergement obéit à des règles non-écrites strictes. Le staff en bas, les joueurs aux étages. Chaque chambre porte le nom d'un champion du monde. Didier Deschamps ne dort pas dans la chambre qui porte son nom, mais dans la n°17, la "Thierry Henry". A chaque rassemblement, un membre du staff répartit les joueurs en fonction des affinités de chacun... et de leurs habitudes de sommeil. Même si les chambres simples sont devenues la norme, et les doubles celles réservées aux petits nouveaux. Lors de l'épopée de 1998, la piaule de Fabien Barthez fait office de fumoir. "Je venais y discuter, fumer une clope", se souvient Emmanuel Petit dans son livre Franc-tireur

Depuis 2010, les chambres sont munies d'un coffre pour les effets personnels de chaque joueur. Des vols y avaient lieu régulièrement, au point qu'un salarié avait été jugé pour de menus larcins, des maillots revendus une fortune sur internet. "Il était de notoriété publique que de nombreux vols d'argent et de matériel étaient régulièrement commis à Clairefontaine", raconte un gendarme au Parisien.

La chasse à la taupe

A Clairefontaine, les joueurs obéissent à un code tacite fondamental. Règle n°1 : le petit nouveau doit se faire tout petit. "Rien de méchant, mais je ne fais pas partie du monde de certains, se souvient Grégory Coupet, arrivé comme doublure de Fabien Barthez en 2001 dans son livre Arrêts de jeu. A table et dans le bus, les places sont attitrées et on ne s'assoit jamais sans demander au préalable si la place est réservée." En 1998, Didier Deschamps avait un tel pouvoir sur son groupe qu'il définissait jusqu'à l'heure du coucher, peut-on lire dans le livre La décennie décadente du football français.

Même si le sélectionneur n'y a pas son bureau – il se trouve toujours au siège de la FFF, dans le 15e arrondissement –, Clairefontaine demeure un outil formidable, avec de nombreux terrains d'entraînement : l'un pour la presse, un autre planqué au milieu des arbres pour les mises en place tactiques. Renforcé de bâches, pour se protéger des journalistes qui grimpaient dans les arbres. Mais les secrets du sélectionneur se retrouvaient toujours dans la presse. Raymond Domenech raconte dans son livre Tout seul avoir découvert des taupes dans le personnel, qui renseignaient les journalistes : "A Clairefontaine, les bureaux donnent par de larges verrières sur le terrain d'entraînement. Par recoupements, le staff et moi avons abouti à la conclusion que seules deux personnes pouvaient être incriminées."

Le château de Clairefontaine et la fameuse verrière, le 1er avril 2016. (FRANCK FIFE / AFP)

Histoire de motiver les joueurs, on ne fait pas spécialement dans la finesse. Les salons s'appellent Aimé Jacquet, Roger Lemerre ou Raymond Kopa, les grands anciens. En 2008, le préparateur des gardiens Fabrice Grange avait décidé d'accrocher le poster de l'équipe finaliste du Mondial 2006 aux côtés des équipes de 1958 (3e du Mondial), de 1998 (championne du monde) et de 2000 (championne d'Europe), qui avaient droit à un cadre. "L'affiche est restée cinq jours accrochée au mur", se souvient Raymond Domenech, amer.

Du chocolat échangé sous le manteau

Pour nourrir tout ce beau monde, les Bleus disposent d'un cuisinier qui leur concocte des mets aux petits oignons. Avec un régime alimentaire adapté à chacun – du coquelet pour Eric Cantona, de la sole pour Lizarazu, de la volaille pour Thuram... mais aussi avec des interdits : les Bleus n'ont eu droit à des frites qu'une seule fois lors des huit semaines de préparation avant le Mondial 1998. A l'époque, le médecin des Bleus faisait la chasse au chocolat. Les joueurs allaient jusqu'à s'échanger les tablettes sous le manteau, se souvient l'ancien cuistot des Bleus André Bisson dans L'Echo républicain

Plus récemment, Clairefontaine est devenu un lieu de pèlerinage. Emmanuel Petit s'y est rendu pour les besoins d'un documentaire, en 2014. Submergé par l'émotion, il y a versé quelques larmes. Thierry Henry, qui y a fait ses classes dès son adolescence, y a emmené le légendaire basketteur Steve Nash. Celui-ci a déclaré, sans rire, y avoir passé "l'un des plus beaux jours de sa vie". 

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