Avions réservés en double, cache-cache en scooter... Le jour où les organisateurs des Jeux d'Albertville 1992 ont dissimulé Michel Platini pour allumer la vasque olympique
"Messieurs, on a un problème." La cérémonie d'ouverture a déjà commencé, ce 8 février 1992, lorsque les organisateurs des Jeux olympiques d'hiver s'agitent en coulisse. "Du Tipp-Ex ! Qui a du Tipp-Ex ?" Il est 17 heures passées, Michel Platini doit allumer dans quelques minutes la vasque olympique dans le stade d'Albertville, en Savoie, devant les caméras du monde entier. Sauf qu'il y a "un problème" : l'ancien numéro 10 des Bleus contrevient aux règles du Comité international olympique (CIO). Enfin, ses chaussures, une paire de basket de la marque Lacoste. Impossible. Impensable. Interdit. "Pas de marque ! Il ne faut pas de marque !", s'insurge Michel Barnier, alors co-organisateur de l'événement au côté du triple champion olympique de ski alpin en 1968, Jean-Claude Killy.
A ce moment précis, aucun des 35 000 spectateurs présents sur place n'a la moindre idée de ce qui se joue à quelques dizaines de mètres du show. Personne, pas même le président de la République, François Mitterrand, assis en tribune présidentielle, ne doit être au courant. Ni même le chorégraphe Philippe Decouflé, qui imagine le spectacle depuis des mois. Michel Platini pose alors ses pieds sur le bureau et s'adresse à la seule personne présente autour de lui : le chef du service de presse de l'événement. "Il me dit : 'Vas-y, mets du blanc sur le crocodile'", raconte Jean-Marc Eysseric, d'une voix lumineuse. L'enfant d'Albertville, 24 ans à l'époque, est aux anges. "Je suis un fan de foot, et je me dis : 'Putain, j'ai le pied droit de Platini dans mes mains ! Je répète, j'ai le pied droit de Platini dans mes mains !'"
Alors que l'identité de la personne qui allumera la vasque olympique à Paris, vendredi 26 juillet, est aussi secrète que les codes nucléaires, franceinfo a replongé trente-deux ans en arrière. Ce 8 février 1992 "était une journée hors du temps", se souvient, nostalgique, Michel Barnier. "Ce ne sont pas seulement les JO qui se jouent, c'est l'image de la France à l'étranger, et pour l'éternité. On voulait qu'on parle d'Albertville, pas seulement en Autriche, en Allemagne ou en Italie, mais aussi au Brésil, en Argentine...", replace celui qui deviendra plus tard ministre, puis député européen.
"François Mitterrand n'avait rien trouvé à redire sur le choix de Michel Platini."
Michel Barnier, ancien ministreà franceinfo
Pour atteindre de pareils objectifs, il faut savoir mettre les petits plats dans les grands. A l'époque déjà, des rumeurs annoncent que le dernier relayeur sera une femme, une certaine Marie-José Pérec, future star des JO de Barcelone, cinq mois plus tard. Mais Jean-Claude Killy veut "Platoche", et l'ancien skieur est prêt à tout pour le convaincre. "Je suis prêt à camper devant chez toi tant que tu n'auras pas dit oui", lui lance-t-il.
"Mais pourquoi il y a deux avions sur le tarmac ?"
Le matin du 8 février 1992, en arrivant à l'aéroport du Bourget, Michel Platini est d'ailleurs le premier surpris. "Mais pourquoi il y a deux avions sur le tarmac ?", demande-t-il. "Michel, vous ne pouvez pas arriver en retard à Albertville. Donc si le premier tombe en panne, vous monterez dans le deuxième", lui répond-on le plus naturellement du monde.
A l'atterrissage en Savoie, le triple Ballon d'or passe à table. Il déjeune avec les deux co-présidents Jean-Claude Killy et Michel Barnier. On l'emmène ensuite discrètement dans un bureau, proche du stade temporaire monté spécialement pour ces Jeux. "S'il vous plaît, cachez Michel dans le bureau", ordonne Jean-Claude Killy. La star a l'interdiction d'en sortir. "Même quelques secondes ?", tente-t-il. Pour passer le temps jusqu'à l'allumage de la vasque, quelqu'un lui allume la télé : l'équipe de France de hockey sur glace affronte le Canada, en direct de la patinoire de Méribel.
Celui qui deviendra plus tard président de l'UEFA s'en sort finalement bien. Pensez à Nikos Kaklamanakis, qui est resté caché pendant cinq heures dans un vestiaire du stade olympique à Athènes, en 2004. "Personne ne devait savoir que j'étais là. Même ma copine n'était pas au courant, rigole aujourd'hui le champion olympique de planche à voile en 1996. Mais bon, cinq heures d'attente pour 60 secondes de prestation..."
En scooter derrière Jean-Claude Blanc
La nuit vient de tomber sur les montagnes savoyardes. C'est l'heure de l'ultime briefing. Le directeur des cérémonies des Jeux d'Albertville déplie un plan du stade sur le bureau. Un certain Jean-Claude Blanc, alors âgé de 29 ans. "Michel, le dernier relayeur va arriver par la forêt. Vous prenez la torche, vous faites un tour complet de stade, puis un demi-tour, et là, vous empruntez l'escalier. C'est assez clair ?", interroge le futur directeur général du PSG et de la Juventus Turin. Michel Platini acquiesce, tout en fumant une dernière cigarette.
Il enfile sa tenue de gala, un jogging blanc et rouge, façon "moniteur de ski". Pied droit, pied gauche, il s'échauffe, trottine dans le bureau. Un bruit de bécane surgit près de la "cachette". Au guidon du deux-roues, encore Jean-Claude Blanc. "Platoche" enfile un casque, s'installe à l'arrière, et enroule ses mains autour de la taille de son chauffeur de luxe.
Direction le stade situé à 200 mètres de là. Le scooter se gare derrière des sapins, entre deux tribunes. Le show Platini en mondovision va commencer. Le sélectionneur de l'Equipe de France de foot prend la main d'un enfant : François-Cyrille Grange, le frère du célèbre skieur Jean-Baptiste Grange. "Quand Michel Platini est arrivé, je venais juste d'apprendre que c'était lui. Ils ont gardé ça secret jusqu'à ce que les gens le voient arriver dans le stade. Pour un enfant de 9 ans, c'était dur de suivre Platini qui était encore en forme à l'époque", raconte-t-il à franceinfo. Les voilà qui trottinent jusqu'à l'objet tant convoité. Puis, dans la nuit savoyarde, la vasque s'embrase.
Avant de se dévoiler au monde, la torche dans la main droite, Michel Platini glisse cette phrase aux quelques privilégiés qui l'entourent : "C'est bien la première fois que je cours devant 35 000 personnes sans pouvoir marquer un but..."
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