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Crise en Ukraine : la trêve olympique, une résolution pas toujours respectée

Article rédigé par franceinfo: sport, Loris Belin
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le président russe, Vladimir Poutine, dans les tribunes du Stade olympique de Pékin durant la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, le 4 février 2022.  (KREMLIN PRESS OFFICE / ANADOLU AGENCY / AFP)

Les relations entre la Russie et l'Ukraine sont de plus en plus tendues et font craindre un conflit en plein Jeux olympiques, traditionnelle période de cessez-le-feu. 

Une descente la tête la première en pleine période d'escalade. Vendredi 11 février, Vladyslav Heraskevych a fait parler de lui mais pas pour sa place au classement de l'épreuve de skeleton des Jeux olympiques de Pékin. Juste après la troisième manche de l'épreuve, l'Ukrainien s'est présenté devant les caméras avec un panneau barré d'un message "No war in Ukraine", ("Pas de guerre en Ukraine") sur fond de drapeau de sa nation. Ces dernières semaines, les tensions entre la Russie et l'Ukraine ont atteint un point proche de la rupture, après que plus de 100 000 soldats russes ont été postés le long de la frontière entre les deux États. En plein Jeux olympiques, symbole universaliste par excellence dans le monde du sport, l'écriteau de Heraskevych n'est pas passé inaperçu. 

Les JO sont traditionnellement une période de rassemblement. Pour s'en garantir, le Comité international et l'ONU promulguent tous les deux ans une "trêve olympique", tradition née de la Grèce antique minée alors par les guerres permanentes entre cités. Une résolution officielle est ainsi prise par les Nations unies afin de garantir cette trêve, qui s'étend du 4 février jusqu'au 20 mars, soit une semaine après la fin des Jeux paralympiques. Elle "demande à tous les États membres de s’associer à l’action que le Comité international olympique et le Comité international paralympique mènent pour faire du sport un outil de promotion de la paix, du dialogue et de la réconciliation dans les zones de conflit pendant les Jeux olympiques et paralympiques et après."

Des précédents ces dernières éditions

Les Jeux olympiques, grandes périodes du vivre ensemble ? En façade, les principes sont on ne peut plus louables. Mais derrière le vernis se cache une réalité bien moins rose. "Quand on regarde les dernières éditions, la trêve olympique ne semble pas avoir de poids, c'est même tout l'inverse, et à chaque fois en lien avec la Russie d'ailleurs", analyse Lukas Aubin, docteur en géopolitique et spécialiste de la géopolitique de la Russie et du sport. La communauté internationale craint une intervention militaire russe imminente, alors que Vladimir Poutine ne cesse de manifester son hostilité face à une entrée dans l'OTAN d'anciennes nations de l'ex-Union soviétique. 

"En 2008 pendant les Jeux d'été déjà à Pékin, la Russie avait répondu militairement à une attaque de la Géorgie et avait atteint Tbilissi en quelques heures, rappelle Lukas Aubin. On a aussi pu voir en 2014 l'impact du conflit ukrainien, et la tension qui montait entre les deux États à Sotchi. La trêve olympique est un mythe qui n'est pas respecté."

"Le CIO cherche à mener une politique de l'apolitisme"

Lukas Aubin, spécialiste de la géopolitique de la Russie et du sport

à Franceinfo

Face au constat de l'histoire, les déclarations de bonnes intentions volent en éclats. Vladyslav Heraskevych, lui, se fait taper sur les doigts. Car si le CIO fait la promotion de sa trêve, elle interdit dans le même temps la moindre "manifestation ou propagande politique, religieuse ou raciale" aux athlètes dans la règle 50 de la Charte olympique. "C'est ma position. Comme tous les gens normaux, je ne veux pas de guerre, a réagi l'athlète ukrainien. C'est mon point de vue donc je me bats pour ça, je me bats pour la paix. J'ai décidé avant les Jeux que je montrerai ma position au monde entier." Heraskevych n'a finalement pas été sanctionné par le CIO. Mais il n'a pas non plus été autorisé à montrer à nouveau son panneau dans la compétition.

"C'est l'illustration du caractère schizophrène du CIO, c'est absurde, même kafkaïen, considère Lukas Aubin. On cherche à dire quelque chose mais parfois, on fait l'inverse." Le chercheur estime que les JO, comme tous les grands événements sportifs, visent à minimiser l'intrusion du politique et du géopolitique dans le sportif. "Depuis la création du CIO moderne, en 1894, il marche sur des œufs. Le CIO cherche à mener une politique de l'apolitisme, et avoir une vitrine neutre alors qu'il est perpétuellement pris entre deux feux. Être pour l'inclusion, contre le racisme ou l'homophobie, c'est déjà une décision politique". Et de rappeler qu'à la genèse des JO modernes, "quand Pierre de Coubertin dit que les Jeux doivent être apolitiques, il dit aussi que les Jeux ne doivent pas être ouverts aux femmes ou aux colonies."

L'Ukrainien Vladyslav Heraskevych après l'épreuve olympique de skeleton, vendredi à Pékin. (CHRISTIAN BRUNA / EPA)

Aux prises de position, le CIO tente bien de leur préférer un recul dans l'ombre pour préserver l'image des Jeux olympiques comme celle d'un havre de paix. Plusieurs nations d'importance ont pourtant refusé d'envoyer une délégation diplomatique à Pékin cette année, "une première entorse à la trêve", rappelle Lukas Aubin. "Mais on est loin de 1976, 80 et 84, qui avaient entraîné des boycotts pour diverses raisons. Aujourd'hui, on signifie une intention, mais on ne va pas jusqu'à la sanction."

Face à la menace d'une guerre, le pacte de non-agression le temps des Jeux est un bien maigre rempart. Au-delà de l'engagement des nations olympiques pour la trêve, celle-ci ne protège en rien la compétition d'autres menaces, criminelles ou terroristes. La prise d'otages d'athlètes israéliens (11 seront tués) par le mouvement palestinien "Septembre noir" lors des JO de Munich en 1972 ou encore l'attentat à la bombe à Atlanta en 1996 en sont pour preuves.

Outre ces risques "extra-olympiques", la durée de vie de cette trêve limitée à quelques semaines de festivités sportives ne saurait être une garantie de maintien de l'ordre. Au moment de la crise russo-ukrainienne en 2014, Vladimir Poutine avait bien respecté cette trêve olympique. "Il fallait le temps des JO, puis le temps de la guerre, détaille Lukas Aubin. Quelques semaines après la fin des Jeux de Sotchi, la Crimée était annexée par la Russie. Quand on déploie 115 000 hommes à une frontière, croire que la Russie s'arrêtera à une trêve olympique serait illusoire", conclut-il. 

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